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Nos Lecteurs ont la Parole

L’État au risque de sa subjugation

Un pays disparaît quand il n’a plus la possibilité de se défendre ou de nourrir sa population, quand toute autorité s’y sera diluée ou fracturée ou quand ses leaders nominaux, dépassant le stade du déni, admettent qu’ils n’ont plus d’autre issue que la capitulation sans condition. C’est là que le jeu des nations intervient pour effacer une entité de la carte géographique et pour la fusionner avec une autre.

Aussi, n’étaient le délabrement et l’inconsistance du pouvoir actuel à Damas, le Liban aurait été liquidé sans autre forme de procès.

Un peu de politique fiction : imaginons une Syrie maîtresse d’elle-même comme sous Hafez el-Assad, eh bien on serait allégrement passé de la finlandisation effective de notre patrie à son annexion pure et simple par le puissant voisin. Un régime confédéral, au bas mot, nous aurait été imposé. Et les Nations unies, pour l’occasion, se seraient fendues, en guise de condoléances, d’une déclaration réprouvant le viol des consciences et des frontières et condamnant la main basse injustifiable sur le pays du Cèdre, tout en assurant les Libanais indépendantistes de leurs profonds regrets. Ceux des nôtres qui auraient pu songer, en telle occurrence, à brandir l’effet dissuasif du chapitre VII de la Charte de l’ONU en auraient été pour leurs frais.

Est-ce le lot funeste de tout État défaillant (failed state) ? Ainsi le Liban aurait vécu ! Et n’est-ce pas un score pour notre pays que d’avoir pu célébrer son premier centenaire l’année dernière ? Célébration honteuse, certes, s’étant déroulée sans tambour ni trompette !

Mais que le voisin syrien soit si chancelant, que l’envie de nous phagocyter lui soit passée n’empêche pas que le Liban vive en ce moment, les yeux grands ouverts, cette déliquescence que le droit de la guerre désigne par le substantif debellatio, ou subjugation. Ce concept défunt, aux yeux de certains publicistes, a été déterré pour servir de support juridique à l’occupation de l’Irak en 2003 par les armées de la coalition. À rappeler que la chute de Bagdad et le délitement consécutif du pouvoir baathiste consacrèrent l’anéantissement d’un État autrefois souverain sur son territoire. Un pays « subjugué » n’a pas voix au chapitre et son avenir politique, qui est à la merci des vainqueurs, lui est asséné comme un coup de massue par ceux qui l’auraient dompté.

Sommes-nous sous occupation ?

L’exception libanaise tiendra cependant au fait que la liquidation de notre cher et jeune pays se ferait sans intervention militaire ou occupation étrangère, contrairement à ce qui fut le cas de Carthage à l’issue de la troisième guerre punique ou de l’Allemagne lors de sa capitulation en 1945. Sans occupation étrangère, dites-vous ?

Vous qui rétorquez, que vous faut-il donc de plus ? De quel aveuglement êtes-vous donc les victimes ? Noyautage de l’administration et croissance d’un État dans l’État ne constituent pas donc à vos yeux de Béotiens des preuves suffisantes d’une mainmise tentaculaire, par le « parti de l’étranger », sur nos destinées ?

Quand les troupes alliées eurent écrasé le nazisme, Edgar Morin écrivit L’an zéro de l’Allemagne pour dresser un état des lieux dans un pays désormais occupé par quatre nations victorieuses. Il y insista sur l’état mental du peuple vaincu, en état de somnambulisme, en proie à la faim et aux rumeurs.

Somnambulisme des Allemands ou aveuglement ou lâcheté des Libanais, cela revient au même. Et tenez-vous bien, il y en a, et des meilleurs, pour apporter le démenti et nier le fait de notre asservissement et de notre inféodation au Commonwealth des mollahs.

Depuis le déclenchement de la guerre civile en 1975, l’État libanais n’est pas tout à fait l’autorité souveraine en son pré carré. L’accord de Taëf, compromis illusoire s’il en fut, est prescrit dans les faits : il est inapplicable tant qu’une Syrie toute-puissante et implacable ne peut jouer le rôle de médiateur ou celui d’arbitre pour imposer sa volonté aux divers groupes qui s’entre-déchirent sans vergogne sur la place publique.

Des régimes et des hommes

Walid Joumblatt vient de déclarer que « le Liban est devenu une province iranienne ingouvernable » ;

ayant une généalogie, le leader socialiste sait de quoi il parle. De son côté, Gebran Bassil a lancé l’idée d’un changement de régime. À ce dernier, qui ne semble pas avoir assimilé les leçons de notre catéchisme historique, il n’y a qu’une réplique : ce ne sont jamais les Libanais qui décident de leur propre sort et notre destin constitutionnel et notre surface géographique dépendent de l’entente internationale ou régionale.

Pas plus à Taëf en 1989, où nos députés étaient cloîtrés ou maintenus quasi-otages, qu’à la Résidence des Pins où le Grand Liban fut proclamé en 1920 par un général français les populations ne furent proprement consultées. Et pas plus avec le règlement de Chekib Effendi de 1845 qu’avec le règlement organique de 1861 on ne respecta le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes !

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Un pays disparaît quand il n’a plus la possibilité de se défendre ou de nourrir sa population, quand toute autorité s’y sera diluée ou fracturée ou quand ses leaders nominaux, dépassant le stade du déni, admettent qu’ils n’ont plus d’autre issue que la capitulation sans condition. C’est là que le jeu des nations intervient pour effacer une entité de la carte géographique et...

commentaires (2)

Vous écrivez : ""Quand les troupes alliées eurent écrasé le nazisme, Edgar Morin écrivit L’an zéro de l’Allemagne pour dresser un état des lieux dans un pays désormais occupé par quatre nations victorieuses. Il y insista sur l’état mental du peuple vaincu, en état de somnambulisme, en proie à la faim et aux rumeurs"". Souveraineté, accords, entente internationale. Laissons de côté l’Allemagne et Edgar Morin (il aurait pu parler de l’Algérie occupée par la France) et regardons un autre exemple le Portugal au regard de l’Espagne, (Y viva España! J’aime l’Espagne, je ne peux rien, c’est plus fort que moi). D’un point de vue géographique, la seule carte au monde à comprendre le territoire d’un autre Etat, si ne me trompe pas. (On parle également d’Israël et de la Palestine-Cisjordanie, mais c’est un autre débat). Longtemps les Portugais soupçonnaient leurs voisins de corriger l’erreur historique. Bon, où je veux en venir, que finalement les réalités géographique et économiques prendront le pas sur l’Histoire, et que l’adhésion à l’Europe a scellé leur entente et les fait dépasser les susceptibilités. Bref, quand nous serons libres au Liban, dans le cadre d’une fédération, avec des traités économiques, commerciaux, et alors là le succès ne dépend que de nous. Quant à notre "mental" auquel vous faites allusion, chez nous au Liban, il est en bois de cèdre.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

14 h 23, le 22 janvier 2021

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Commentaires (2)

  • Vous écrivez : ""Quand les troupes alliées eurent écrasé le nazisme, Edgar Morin écrivit L’an zéro de l’Allemagne pour dresser un état des lieux dans un pays désormais occupé par quatre nations victorieuses. Il y insista sur l’état mental du peuple vaincu, en état de somnambulisme, en proie à la faim et aux rumeurs"". Souveraineté, accords, entente internationale. Laissons de côté l’Allemagne et Edgar Morin (il aurait pu parler de l’Algérie occupée par la France) et regardons un autre exemple le Portugal au regard de l’Espagne, (Y viva España! J’aime l’Espagne, je ne peux rien, c’est plus fort que moi). D’un point de vue géographique, la seule carte au monde à comprendre le territoire d’un autre Etat, si ne me trompe pas. (On parle également d’Israël et de la Palestine-Cisjordanie, mais c’est un autre débat). Longtemps les Portugais soupçonnaient leurs voisins de corriger l’erreur historique. Bon, où je veux en venir, que finalement les réalités géographique et économiques prendront le pas sur l’Histoire, et que l’adhésion à l’Europe a scellé leur entente et les fait dépasser les susceptibilités. Bref, quand nous serons libres au Liban, dans le cadre d’une fédération, avec des traités économiques, commerciaux, et alors là le succès ne dépend que de nous. Quant à notre "mental" auquel vous faites allusion, chez nous au Liban, il est en bois de cèdre.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    14 h 23, le 22 janvier 2021

  • C’est à la perfection. On se demande où creuser la moindre faille tellement c’est bien argumenté, documenté, et surtout bien écrit. Vous écrivez : ""Depuis le déclenchement de la guerre civile en 1975, l’État libanais n’est pas tout à fait l’autorité souveraine en son pré carré"". Et un peu plus loin : ""ce ne sont jamais les Libanais qui décident de leur propre sort et notre destin constitutionnel et notre surface géographique dépendent de l’entente internationale ou régionale"". C’est donc la sentence que beaucoup de Libanais n’aime pas entendre, car en matière de souveraineté, elle s’est fait piétiner par les fameux Accords du Caire, et on ne peut s’en vouloir qu’à nous même. On ne revient pas au contexte de l’époque, c’est très long. Plus près de nous dans le temps, écoutons le président Trump qui ne disait que des bêtises, quand il invoquait de créer de "vraies frontières" : ""Parce qu’un pays sans frontières, n’est pas un vrai pays"". Et alors la construction du mur avec le Mexique ? Biden son successeur a promis d’arrêter sa construction, et ce n’était pas la solution. Je veux dire par là, que des accords s’imposent par quelle volonté ? Par celle du plus fort ? Le cas israélien est plus frappant. Il impose les forces de l’Onu à ses frontières, (comme en 2006, les casques onusiens se sont renforcés à nos frontières) quand il ne construit un mur, autre que celui des lamentations. Souveraineté donc, par des frontières hermétiques.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 38, le 22 janvier 2021

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