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Lifestyle - Un peu plus

Je suis épuisée d’être libanaise

Je suis épuisée d’être libanaise

Photo Bigstock

Depuis ma naissance, être libanaise est un poids. Une gageure de tous les instants. Une mise en péril permanente. « La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes », disait Voltaire. Plus aujourd’hui. La peine est incommensurable, le péril est devenu notre quotidien. Et plus rien ne donne espoir. Pourtant, j’en ai eu de l’espoir, on en a eu. Au début des années 90, quand la guerre s’est terminée. En 2005, quand le peuple s’est réveillé en masse. Mais les assassinats sont devenus légion, la guerre de 2006 nous a abattus. Et nous nous sommes relevés. Malgré eux. Malgré ces anciens chefs de guerre que je ne sais plus comment qualifier. Puis il y a eu octobre 2019. Le drapeau libanais était hissé à nouveau. Le peuple s’est unifié, et une fois de plus, ils ont eu raison de nous. Ils nous ont écrasés, et le coup final qu’ils nous ont asséné fut le 4 août dernier. Ils ont tout emporté avec eux et aujourd’hui, en ce début d’année, alors que nous sommes dans un effondrement économique sans précédent, ils nous ont plongés dans une crise sanitaire et hospitalière inhumaine.

Je suis épuisée d’être libanaise. Épuisée d’avoir la peur au ventre en permanence. Épuisée d’être humiliée, rabaissée, volée, méprisée. Épuisée de ne pas voir le bout du tunnel, d’être jetée au fond d’un gouffre dont je n’arrive pas à sortir. Prostrée, je ne trouve plus la force de me battre. À quoi bon d’ailleurs? Pourtant je me suis battue corps et âme. En écrivant semaine après semaine, en descendant inlassablement dans la rue, me prenant des gaz lacrymogènes dans les yeux, aidant ceux qui ont été blessés. J’ai crié ma haine et ma rage. J’ai dû porter secours à mes proches lors de l’explosion. J’ai essayé d’aider pendant des semaines, autant que je le pouvais, ceux qui ont été meurtris et qui avaient tout perdu. J’ai fait ce que n’importe quel Libanais aurait fait. C’était naturel pour moi. Puis le quotidien a repris sa place. Un quotidien morose et d’une tristesse absolue. Je me suis consacrée au parti politique que nous sommes en train de fonder. J’ai puisé mon énergie dans cette jeunesse qui m’entoure. Dans leurs espoirs, dans leur combativité, dans leur intelligence. J’ai cru en eux et j’y crois encore. Mais je ne crois plus en moi. Je ne crois plus au Liban. Ce Liban qui, au lendemain des fêtes de fin d’année, a entamé sa danse macabre. J’ai été testée positive au Covid-19, comme certains membres de ma famille. Moi, plus chanceuse, ailleurs que sur ma terre natale. Et de loin, je regarde mon pays souffrir. Mes proches souffrir. Mes frères et sœurs d’armes être désemparé(e)s. Je ne retrouve plus leur sourire, ni le mien. Je les vois se démener tant bien que mal, accrochés à une lueur d’espoir qui s’éteint peu à peu. J’envie leur force, cette force qui m’a quittée.

Ils ont eu raison de moi. La classe politique a eu raison de moi. Et à mon tour, je plie face à elle. Et je crève à l’idée de m’avouer vaincue. Elle a fait pénétrer en moi une douleur que je ne connaissais pas. Une tristesse que je ne soupçonnais pas. Je n’ai qu’une envie, qu’un seul désir : quitter le navire. Ne pas revenir au Liban et partir loin. Même si ça va mal ailleurs, ça va mieux qu’au Liban. Je suis accablée et déçue d’écrire ces lignes. Je m’en veux. Je m’en veux parce que j’ai reçu des tas de messages de gens qui voyaient en moi et en nous l’espoir qui leur manquait. J’ai lu des phrases où on me disait que le travail que nous avions accompli ces derniers mois réconciliait certains avec leur libanité. Mais combien sommes-nous à œuvrer pour l’avenir? Combien sommes-nous à tenter le tout pour le tout, pour nous-mêmes et pour les autres ?

Je n’ai plus le souffle ni la force de continuer. Et je sais que je ne suis pas la seule. Je le vois, je l’entends, je le palpe. Je ne sais plus vers qui et vers quoi me tourner. Je ne sais plus qui je suis. Je ne me reconnais pas. Est-ce la déprime liée à ce putain de virus ? Est-ce un passage obligé pour pouvoir continuer ? J’espère que c’est temporaire. Que moi comme vous retrouverons la vigueur de nous révolter. On m’a souvent demandé jusqu’à quand je continuerais à me battre, j’ai toujours répondu jusqu’à la fin. Ma fin à moi. Mais je ne veux pas que cette fin-là soit arrivée. Je ne veux pas que ce soit la fin de moi. Je suis désolée d’avoir écrit ces mots. Je vous demande pardon. J’espère que ce sera une catharsis. Mais je ne veux plus être résiliente. Je veux juste vivre. Vivre, tout simplement. Moi, comme n’importe quel Libanais, n’importe quelle Libanaise.

Depuis ma naissance, être libanaise est un poids. Une gageure de tous les instants. Une mise en péril permanente. « La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes », disait Voltaire. Plus aujourd’hui. La peine est incommensurable, le péril est devenu notre quotidien. Et plus rien ne donne espoir. Pourtant, j’en ai eu de l’espoir, on en a eu. Au début des années 90, quand...

commentaires (17)

Non, nous sommes idiots.

DJACK

18 h 55, le 23 janvier 2021

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Commentaires (17)

  • Non, nous sommes idiots.

    DJACK

    18 h 55, le 23 janvier 2021

  • Israel a eu raison du Liban , c'est tout

    Chucri Abboud

    12 h 30, le 23 janvier 2021

  • Vous dites : Je veux juste vivre. Vivre, tout simplement. Moi, comme N’IMPORTE quel Libanais, N’IMPORTE quelle Libanaise Eh bien cessez de vous lamenter inutilement et soyez constructive en TENANT la main de TOUS LES LIBANAIS ET TOUTES LES LIBANAISES autrement allez ailleurs. Votre pessimisme est malheureusement hivernal …

    aliosha

    11 h 38, le 23 janvier 2021

  • Medea , votre réaction est normale , ne vous inquièter pas . Aucun envahisseur / saboteur , interne ou externe n à réussi à déraciner notre Libanité ..Peux t on déraciner un Cèdre Millénaire ? Notre Diaspora ( don’t je fais partie ) rendra l espoir et la joie de vivre .Ses moyens financiers et têtes pensantes n’ont nullement besoin de IMF / Cèdre / Charité du golf ... Tenez bon et ne quitter pas le navire ... Il ne vous laissera pas vous quitter ...

    DAOUK AMER

    06 h 35, le 23 janvier 2021

  • C’est la langue du DESESPOIRE qui fend tous les cœurs normaux ,

    Liliane Hadaya

    00 h 20, le 23 janvier 2021

  • C'est quoi ce commentaire ? quelle langue ???

    Dominique Sfeir

    17 h 55, le 22 janvier 2021

  • Oui domain in Libyan libre ??“

    Leyla Habib

    15 h 30, le 22 janvier 2021

  • Merci Médéa! Que c'est vrai, on est tous espuisés jusqu'à rendre l'âme, et le Liban est épuisé des mécréants qui le tiennent en lèche! S'il y a une leçon à apprendre des juifs qui pour 2000ans répétaient leur salut quotidien: "demain à Jérusalem", nous devons répéter, même pour l'éternité:" demain un Liban Libre!"

    Wlek Sanferlou

    13 h 17, le 22 janvier 2021

  • Quel constat et quel "gémissement" , quelle lassitude et quel vide??? Cet état est malheureusement une triste réalité, mais vous ne sauriez chère Madame être responsable de cette situation! Vous décrivez avec courage ce que vit la majorité du peuple libanais, après cette accumulation de malheurs et cette absence totale de gouvernance qui ont accompagné son quotidien depuis si longtemps, qu'il en est lui aussi, profondément usé! Prenez un break et cédez la place à ceux de vos concitoyens qui ont encore de la résistance, pour qu'ils puissent porter le flambeau de la vie et de la lutte, jusqu'à la victoire de ce Liban message, de celui du vivre ensemble de la paix et de la Neutralité!

    Salim Dahdah

    13 h 14, le 22 janvier 2021

  • Ne pas avoir ce sentiment serait inhumain donc totalement légitime. Mais l'existence de personnes nobles et honnêtes redonne de l'espoir. Quelle soit loin ou proche, géographiquement, notre élite reviendra un jour et reconstruira tout ce que cette racaille a démoli. Les charognards devront céder un jour la place et ceci de leur plein gré. L'un des meilleurs outils pour hâter ce départ serait de fermer tous les robinets d'aide financière et internationale, ce qui provoquera un manque d’interêt total en l’absence de sous... En attendant et compte tenu du besoin, ces aides seraient les bienvenues via les «ONG» du secteur privé qui sauront mieux que quiconque les canaliser vers leurs destinations et aider ceux dans le besoin à survivre dans l’attente de la fin de ces messieurs

    Paul Chammas

    13 h 10, le 22 janvier 2021

  • Chère Médéa, Je vous ai suivi durant tous ces mois, partagé vos états d'âme et vos espoirs. Comme libanais de la diaspora, nous avons partagé chaque jour, je devrai dire chaque minute, ce vent d'espoir magnifique que vous avez porté avec d'autres sur le terrain. Les larmes ont laissé la place à une sensation de tristesse et le mot est faible, pour ce que le peuple libanais endure mais aussi à une nausée persistante pour ceux qui en sont responsables. Cependant, je sais que le pays du Cèdre se relèvera , comme il l'a toujours fait. LIBAN ON T'AIME.

    Eddé Philippe

    12 h 57, le 22 janvier 2021

  • Ne le sommes-nous pas toutes et tous ? https://www.facebook.com/665562782/posts/10159133460637783/?d=n

    lila

    12 h 17, le 22 janvier 2021

  • Médéa, vous ecrivez ce que nous ressentons tous. Nous autres, libanais, sommes condamnés à nous surpasser. Notre volonté de vivre tout simplement est plus que légitime. Mais, si nous quittons le navire, maintenant, nous porterons en nous une cicatrice si profonde qu'elle pourrait culpabiliser notre bonheur ailleurs, si on le trouve. Donnons nous encore une année de combat. Le mal est si profond que le soigner va prendre du temps. Mais le diagnostic est établi. C'est le 1er pas vers le traitement. Les cancers sont longs, pénibles, mortels parfois mais pas toujours. Courage.

    Jocelyne Hayeck

    10 h 49, le 22 janvier 2021

  • Comme c'est vrai :-( .......

    Rita Khairallah

    09 h 39, le 22 janvier 2021

  • très vrai...et ceci depuis 1975,la guerre civile incroyable qu ils ont fabriqué et exécuté sur nous,sur la génération de nos parents! On mérite le meilleur et une protection,les Libanais,comme au temps du mandat français...!

    Marie Claude

    08 h 34, le 22 janvier 2021

  • ......Walaou le general Aoun est au pouvoir et il y a des gens pas contents???

    joseph abousleiman

    07 h 32, le 22 janvier 2021

  • Il est des émotions et des ressentis qui nous entraînent vers la mort : tristesse, honte, découragement, et d’autres qui favorisent la vie : colère, joie, effroi. Nous n’avons pas le luxe de laisser les émotions de mort prendre le dessus en nous. Les émotions de vie peuvent nous guider à sortir de ce marasme. Votre voix compte pour beaucoup, ne laissez pas ce découragement passager prendre racines. Vous n’êtes pas seule !

    Mecattaf Rony

    06 h 36, le 22 janvier 2021

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