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Culture - Danse

Les stéréotypes dans les ballets classiques, à démonter ou à préserver ?

De la « cancel culture » à l’Opéra de Paris ? Nullement, mais un début de réflexion sur les stéréotypes d’un autre âge dans le répertoire du ballet classique, un exercice délicat entre patrimoine et modernité.

Les stéréotypes dans les ballets classiques, à démonter ou à préserver ?

Une scène du ballet « Le Corsaire » du compositeur Adolphe Adam mis en scène par Alexeï Ratmanski sur la scène du théâtre Bolchoï à Moscou. Vladimir Fedorenko/Ria Novosti/AFP

Quelques mois après un manifeste inédit sur la diversité à l’Opéra de Paris rédigé par des danseurs et employés noirs et métis de l’institution, la question du répertoire a été mise en lumière par une polémique. Fin décembre, le nouveau directeur général de l’Opéra, Alexander Neef, affirme dans Le Monde que « certaines œuvres vont sans doute disparaître du répertoire », après un paragraphe évoquant Le Lac des cygnes et Casse-Noisette.

La Toile s’enflamme et l’extrême droite, par la voix de Marine Le Pen, dénonce un « antiracisme devenu fou ». L’Opéra dément rapidement, invoquant une « juxtaposition malencontreuse ».

Trace d’un passé

La controverse fait écho à d’autres : le New York Times qui se demande s’il faut continuer à exposer Gauguin qui eut des relations sexuelles avec de très jeunes filles ; Dix petits nègres rebaptisé Ils étaient dix ; HBO Max qui retire temporairement Autant en emporte le vent pour y ajouter une contextualisation en plein mouvement Black Lives Matter.

Les ballets académiques du XIXe siècle sont plus connus pour leur brillante chorégraphie que pour l’exactitude de leur représentation des cultures extraeuropéennes.

« C’est la question de l’exotisme », très à la mode à l’époque dans tous les arts, rappelle à l’AFP l’historienne de la danse Sylvie Jacq-Mioche, citant en exemple les toiles de Delacroix.

Si le « blackface » a disparu ces cinq dernières années de l’Opéra, si le coiffage de cheveux crépus et le teint des collants et des pointes sont en cours d’adaptation et si la diversité au sein du ballet peut se travailler sur la durée, la question du répertoire est plus complexe.

Dans La Bayadère, des fakirs hindous apparaissent comme serviles, alors qu’il s’agit d’ascètes respectés en Inde, et dans Raymonda, le Sarrasin est un rôle sombre.

L’historien Pap Ndiaye et la secrétaire générale du défenseur des droits, Constance Rivière, doivent bientôt rendre à l’Opéra un rapport se penchant entre autres sur la question des stéréotypes.

Si les ballets académiques sont déclinés en plusieurs versions (à l’Opéra, ce sont celles de Rudolf Noureev pour la plupart), c’est « parce que les corps ont changé et la technique aussi », rappelle Sylvie Jacq-Mioche. Quid des mentalités ? « Il s’agit d’une trace d’un passé qui a existé », dit-elle, rappelant qu’« un ballet qui n’est pas dansé tombe dans l’oubli ».

Selon elle, les classiques peuvent coexister avec des ballets qui s’en inspirent et parlent du monde d’aujourd’hui, citant la Giselle du Britannique Akram Khan, la Coppél.i.A de Jean-Christophe Maillot ou Le Lac des cygnes de Matthew Bourne, exclusivement masculin.

Non aux caricatures

« N’importe quelle œuvre peut être recontextualisée », assure Kader Belarbi, ancien danseur étoile et directeur du Ballet du Capitole. Ayant revisité entre autres Le Corsaire (créé à Paris en 1856), il est pour une « relecture en profondeur » des classiques, sans « qu’il y ait une perte de mémoire » et « qu’on devienne aseptisé ». « On ne peut pas condamner un passé, mais il ne faut pas rester dans des clichés caricaturaux de personnages et une pantomime désuète. »

Dans La Bayadère que le Capitole était censé présenter en 2020, « nous avons décidé que les “Indiens” ne seraient pas maquillés en couleur sombre... Et pour le ballet Les Mirages, nous discuterons pour repenser le passage des “négrillons” », indique le directeur qui veut « faire attention à certaines sensibilités ou susceptibilités, mais sans tomber dans le politiquement correct ».

De l’autre côté de l’Atlantique, Phil Chan, danseur américano-chinois, a cofondé en 2017 une association qui milite pour l’élimination des clichés asiatiques dans les ballets classiques. « Le ballet change tout le temps, ce n’est pas comme la Joconde. Aujourd’hui, nos voisins sont indiens, nos cousins sont noirs, nos collègues sont chinois ; on ne peut plus mettre l’Europe au centre, avec les autre pays dansant à la périphérie. »

Il a réécrit le livret du Corsaire avec l’historien de la danse Doug Fullington et a repris la chorégraphie originale, en changeant le contexte du harem, des pirates et du pacha. « C’est quoi notre version d’un harem aujourd’hui ? Un concours de beauté ! Et le pacha est ce mec qui pense que s’il est très célèbre, il peut toucher les femmes sans leur permission... Ça vous rappelle quelqu’un ? » lance le danseur.

Rana MOUSSAOUI/AFP

Quelques mois après un manifeste inédit sur la diversité à l’Opéra de Paris rédigé par des danseurs et employés noirs et métis de l’institution, la question du répertoire a été mise en lumière par une polémique. Fin décembre, le nouveau directeur général de l’Opéra, Alexander Neef, affirme dans Le Monde que « certaines œuvres vont sans doute disparaître...

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