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Nos Lecteurs ont la Parole

Négligence et détails

Quelque chose allait exploser. Quelque chose devait exploser. On ne savait ni quoi, ni quand, ni comment. Ça a été le port. Ça a été la ville. Un certain 4 août, à 18h08.

Il y avait cette corruption qui se passe de commentaire. Le confessionnalisme, qui lui est lié. Un État dans l’État. Des États dans l’État. Les allégeances à des forces étrangères. Il y avait bien des choses qu’un politologue saurait expliquer. Mais il y avait bien plus simple, qui ne nécessite pas d’études poussées sur le Moyen-Orient compliqué. Il y avait cette chose, banale en apparence, que pratique chacun. Comme une culture commune. Il y avait cette chose bête et presque invisible, la négligence.

La négligence a le pouvoir de paraître inoffensive, parce qu’elle semble anodine. Alors on laisse faire. On n’y prête pas attention et regarde de travers ceux qui la dénoncent. Elle est faite de détails, de choses infimes, presque rien. Une date non respectée, quelques minutes ou quelques jours ou quelques semaines de retard, l’usage de mots non adéquats, un document mal présenté, une réunion sans ordre du jour, des oublis, une réponse qui ne vient pas, une information confidentielle divulguée, une autre à divulguer non diffusée, un protocole non respecté.

Un lexique, intraduisible dans d’autres langues, est prévu en arabe : bassita, ma’lech, yalla meché el-hal, ma bedda hal add et autres expressions pour dire que rien n’est grave, ni important. Des expressions aussi pour qualifier ceux qui font autrement. Ces personnes étranges portent l’échelle en largeur, ils marchent avec un dictionnaire. Ils entravent la marche du monde en quelque sorte.

Ces gens-là, qui pensent faire le minimum, en respectant une date ou un rendez-vous, en utilisant des mots précis, en informant quand nécessaire ou se taisant quand il le faut, en soignant un texte, une phrase ou un document, en s’excusant pour quelques minutes de retard, en répondant dans les délais, on les traite de « perfectionnistes », insulte suprême. Leur exigence est prise pour une obsession, un genre de névrose.

Ces gens-là, on en parle avec pitié, s’en moque ou les traite d’emmerdeurs. Une fois décédés, on en fait les éloges. Un moment, ils doutent d’eux-mêmes, s’excusent de déranger, tentent de se débarrasser de cette tare qui les habite. Mais plus se répand la culture de la négligence, plus ils soignent. Le moindre détail, les accents, les majuscules, points, virgules et points-virgules. Ils vont à la ligne dans leurs textos. La non-négligence devient un genre d’éthique, une façon de résister.

La négligence est dangereuse. Une bombe, mais à retardement. Elle agit sans bruit, par accumulation, et puis un jour explose. Elle casse les ports, les villes, les institutions et les pays. Le diable est en effet dans les détails.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Quelque chose allait exploser. Quelque chose devait exploser. On ne savait ni quoi, ni quand, ni comment. Ça a été le port. Ça a été la ville. Un certain 4 août, à 18h08. Il y avait cette corruption qui se passe de commentaire. Le confessionnalisme, qui lui est lié. Un État dans l’État. Des États dans l’État. Les allégeances à des forces étrangères. Il y avait bien des choses...

commentaires (3)

Le négligence est partout instaurée en "art de vivre" . Tout aussi terrible est cette culture de la résignation qui finit par nous faire tout accepter même le pire : Méché el hal, rabna bidabir... et le temps finit par "guérir tous les maux".

moubarak suzanne

15 h 59, le 13 janvier 2021

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Commentaires (3)

  • Le négligence est partout instaurée en "art de vivre" . Tout aussi terrible est cette culture de la résignation qui finit par nous faire tout accepter même le pire : Méché el hal, rabna bidabir... et le temps finit par "guérir tous les maux".

    moubarak suzanne

    15 h 59, le 13 janvier 2021

  • rafraichissante perspective qui etiquette la source de nos maux ! en fait cela expose -s'il en faut- LE MAL tout en lettres majuscules : differences culturelle sociale & politique !

    Gaby SIOUFI

    16 h 13, le 11 janvier 2021

  • Comme c'est bien dit Mme Moghaizel-Nasr!

    Sabine Chamoun

    13 h 11, le 11 janvier 2021

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