
Photo d’illustration. Joël Saget/AFP
La campagne de vaccination contre le Covid-19 a démarré en trombe, en décembre, au Proche et au Moyen-Orient. Israël a déjà inoculé plus d’un million et demi de doses en deux semaines et les Émirats arabes unis annoncent près de 900 000 injections jusque-là. Mais dans un Liban en crise, où le nombre de contaminations explose après les fêtes de fin d’année, la population attend toujours la mise à exécution des promesses officielles. Selon le ministre sortant de la Santé, Hamad Hassan, la campagne gratuite de vaccination devrait débuter en février, avec l’arrivée au début du mois d’un million et demi de doses du vaccin Pfizer/BioNTech, grâce à un soutien financier de la Banque mondiale.
Toutefois, en l’absence d’informations claires sur le processus, le corps médical s’impatiente. Il craint, d’une part, une « politisation » du vaccin, son utilisation à des fins clientélistes, et, d’autre part, l’absence de stratégie de vaccination à l’échelle nationale. Qui sera vacciné en premier ? Qui procédera aux vaccinations et où ? Quelles procédures pour l’enregistrement des personnes âgées et à risque ? Pourquoi aucune information n’est-elle disponible moins d’un mois avant le début annoncé de la campagne ? Pourquoi accorder l’exclusivité à un vaccin cher et difficile à conserver (à -70 degrés), alors que deux autres vaccins, Moderna et AstraZeneca (Oxford), ont déjà obtenu les approbations internationales nécessaires ? Les questions sont nombreuses. Et le scepticisme plane quant à la capacité d’un État moribond à gérer seul la question, et avec transparence, sur l’ensemble du territoire. Et ce malgré les propos rassurants du ministre sortant Hassan jeudi soir.
« Nous sommes très inquiets. Car nous n’avons pas eu vent d’un calendrier de vaccination clair ou d’un plan global de campagne », regrette le docteur Tony Abdel Massih, professeur associé de cardiologie. Compte tenu de « l’expérience libanaise », le directeur de l’unité de l’insuffisance cardiaque à l’Hôtel-Dieu de France ne peut s’empêcher de craindre le scénario du « vaccin électoral », autrement dit « le partage des parts entre les grands partis politiques », et un « manque d’équité » dans le processus de vaccination à l’échelle nationale. « Dans les pays arabes où la vaccination est lancée à large échelle, les habitants prioritaires sont informés par SMS de leur rendez-vous. Et nous, toujours pas », gronde le praticien. « L’opacité » avec laquelle est gérée la question du vaccin est également décriée par les Blouses blanches. Ce groupe de médecins et d’universitaires de différents hôpitaux du pays, né de l’après-17 octobre 2019 et qui milite pour le droit à la santé notamment, interpelle les autorités pour davantage de transparence dans la stratégie du ministère de la Santé, notamment au niveau des processus d’acquisition et de distribution des vaccins. « On annonce un accord avec Pfizer pour un million et demi de doses. Non seulement cet accord n’a toujours pas été signé, mais les doses promises ne permettront de vacciner que 750 000 personnes, à raison de deux doses pour chacune à une vingtaine de jours d’intervalle », dénonce le docteur Georges Ghanem, directeur médical de l’hôpital universitaire privé LAUMC-hôpital Rizk. « Le nombre de doses étant largement inférieur aux besoins de la population, pourquoi accorder le monopole à une seule compagnie ? Et avons-nous l’infrastructure pour administrer correctement ce vaccin qui nécessite d’être conservé à -70 degrés, sans parler de son coût particulièrement élevé? » demande le médecin.
« D’abord les personnes prioritaires »
C’est dans ce cadre que le président de l’ordre des médecins, le professeur Charaf Abou Charaf, invite les autorités à aller vite pour importer d’autres vaccins et à ouvrir aussi la voie à leur importation par le secteur privé. « Le vaccin AstraZeneca est moins cher et plus facile à conserver, il ne coûte que 2,5 euros, assure-t-il à titre d’exemple. Il peut être importé rapidement, ce qui peremttrait de lancer sans plus attendre une campagne à grande échelle avec l’aide des médecins du pays. Car il faut parer au plus pressé. Les hôpitaux sont saturés et le personnel soignant débordé. » Le cardiologue pédiatre se dit néanmoins confiant sur la question. « Face aux attentes, le ministre de la Santé a promis que d’autres vaccins seront importés et qu’il pourrait autoriser le secteur privé à s’impliquer », observe-t-il. Le processus pourrait toutefois prendre « un bon mois ». Il n’en reste pas moins qu’« une coordination est nécessaire entre toutes les instances concernées pour un meilleur résultat ». Une critique indirecte des querelles entre les différentes administrations qui se font la guerre des données et des prérogatives.
La population sera-t-elle laissée pour compte au profit des plus riches et des affidés du régime ? La question est légitime dans ce climat de méfiance envers la vision officielle. Selon le directeur de l’hôpital public Rafic Hariri, le Dr Firas Abiad, il est « nécessaire d’adopter une stratégie claire de vaccination ». « Il faut aussi donner des réponses aux interrogations des médecins qui demeurent dans le flou total », insiste-t-il. « Seule la commission chargée des préparatifs du vaccin anti-Covid-19 est susceptible de fournir les réponses attendues », fait remarquer le praticien.
Sauf que, selon le président de cette commission, le Dr Abdel Rahman Bizri, spécialiste en maladies infectieuses, « la stratégie est toujours en train d’être peaufinée » sous l’égide de l’État et avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé. « La campagne de vaccination touchera d’abord les personnes prioritaires, assure le responsable, sans fixer de dates pour l’instant. Il s’agit du personnel soignant, puis des personnes âgées, puis des secteurs indispensables, puis des personnes à risque et enfin du reste de la population, jusqu’à toucher au moins 70 % de la population pour une immunité collective. » Il ne reste plus qu’à aménager les centres de vaccination. « Pour ce faire, des centres hospitaliers seront aménagés à travers le pays. Nous en étudions les détails, notamment l’accès, le courant électrique, l’entraînement du personnel et des médecins », explique-t-il. « Début février, ils devraient être fin prêts pour une première simulation », promet le Dr Bizri, insistant sur « le souci d’organiser une logistique efficace ».
« L’accord a été donné au secteur privé »
Alors que sont montrés du doigt la lenteur de l’État, son entêtement à ne pas ouvrir la voie à d’autres vaccins et sa volonté d’écarter du processus un secteur privé pourtant efficace, le ministère de la Santé a finalement mis de l’eau dans son vin. Après avoir opposé une fin de non-recevoir aux hôpitaux universitaires privés soucieux d’importer des doses de vaccin et de lancer des campagnes de vaccination, il a assoupli hier sa position face à la pression scientifique, médiatique et politique.
Le LAUMC-hôpital Rizk a appris en fin d’après-midi que sa demande d’importer le vaccin américain Moderna (conservation à -20 degrés) pourrait être acceptée au plus tôt. « Nous avons des contacts étroits avec l’entreprise pharmaceutique Moderna. Nous avons proposé de procéder gratuitement à la vaccination de la communauté élargie de notre institution hospitalière universitaire, soit 50 000 personnes dans un premier temps », révèle le Dr Georges Ghanem. « Notre proposition au ministère de la Santé pourrait être bientôt acceptée », se félicite-t-il. « L’accord a été donné au secteur privé d’importer des vaccins reconnus par la FDA américaine et par l’Organisation mondiale de la santé », confirme à L’OLJ une source au sein du ministère concerné. « Nous attendons que les promesses se réalisent, tempère le Dr Ghanem. La porte est ouverte. Nous commençons les négociations avec le ministère de la Santé qui doit impérativement donner son accord, affirme-t-il. Car la santé des Libanais est en jeu. Et sur ce point, aucun compromis n’est permis. »
commentaires (7)
Illusion : A supposer qu’on soit vacciner le 15 Février ou même avant on peut ôter le masque de protection et cesser de laver les mains et que les écoles reprennent normalement etc. etc. le lendemain même ???? Allons donc. La musique partisane, confessionnelle et même au niveau professionnel ( medical : quel honte !) va continuer et les accusations de part et d’autres ne vont pas cesser …Honte à nous PRÉTENTIEUX LIBANAIS tant qu’on reste diviser on ne mérite que la merde dans laquelle on flotte.
aliosha
12 h 39, le 10 janvier 2021