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Nos Lecteurs ont la Parole

Le parallèle des tragédies de Nashville et de Beyrouth

La récente bombe qui a explosé au cœur du centre-ville de Nashville, aux États-Unis, la cité emblématique de la « country music », est l’œuvre délibérée d’Anthony Warner qui avait placé un engin explosif à l’intérieur de sa caravane. Mais qui donc était ce monsieur Warner ? Apparemment, c’était une personne esseulée de 63 ans qui gérait de façon autonome sa propre boîte informatique.

Avant de commettre son crime, il se désista généreusement de ses propriétés au profit d’une femme. Aussi, il informa courtoisement ses clients de l’arrêt de son travail pour cause de retraite. Il fut la seule victime de cette explosion. La raison est qu’il décida de commettre son crime tôt le matin de Noël, c’est-à-dire durant une période de peu d’affluence. Aussi, il avait alerté la population de déserter les lieux illico en diffusant à tue-tête un enregistrement informatisé ayant une voix de femme.

Selon des témoins oculaires, ces avertissements ont résonné de l’intérieur de sa caravane pendant environ une demi-heure avant d’entamer un compte à rebours de 15 minutes. Ces avertissements lugubres étaient entrecoupés par le tube de Downtown, la chanson à succès de Petula Clark en 1964. La chanson dit que « lorsque la vie vous rend seul et misérable, vous pouvez toujours aller au centre-ville avec ses bruits et sa frénésie pour oublier vos soucis ».

La déflagration qui s’ensuivit causa d’énormes dégâts aux bâtiments avoisinants. Il est intéressant de constater que l’endroit du crime fut judicieusement choisi par Anthony Warner. À la base, c’était un lieu historique avant qu’une gentrification rampante ne lui ôte son authenticité et sa personnalité. En effet, des investisseurs motivés par l’appât du gain décidèrent de démolir les anciennes bâtisses de charme pour les remplacer par des attractions touristiques criardes.

L’attentat à la bombe de Nashville semble donc être une manifestation visible du profond malaise résultant d’une mutation urbaine qui transforme le patrimoine d’une ville en un espace commercial dénué de chaleur humaine. Plus proche de nous, à Beyrouth, nous avons aussi été témoins de cette effroyable transformation urbaine. Autrefois, les souks de Beyrouth grouillaient de monde avec ses odeurs de café, de fruit et de friture. Ce bazar était bavard avec son concert de klaxons et son bourdonnement de conversations.

Dans ce creuset chaleureux, on conversait en arabe, en français et en anglais. On entendait l’accent de la ville et celui du village. On gesticulait et on communiquait avec les mains. On refaisait le monde à notre manière et on riait de plein cœur. Et puis le silence s’imposa brutalement avec l’avènement de la guerre civile en 1975.

Tout ce beau monde fut détruit. Le centre-ville fut ensuite reconstruit durant la dernière tranche du XXe siècle par des investisseurs sans scrupules. Les avenues et les bâtiments furent dupliqués à l’ancien model et manucurés à la perfection. Malheureusement, ce travail gigantesque engendra une coquille. De l’extérieur, la coquille est belle et majestueuse. De l’intérieur, la coquille est vide et insipide.

Le centre-ville de Beyrouth est aujourd’hui dépourvu de pouls, de veines, de cœur et surtout d’âme. Ce nouvel espace ne correspond en rien au souk d’antan, ni dans sa frénésie, ni dans sa nonchalance, ni dans sa piété, ni dans sa gaieté.

La tragédie de Beyrouth, ville millénaire qu’on surnommait dans l’Antiquité Béryte et qui abrita pendant de nombreux siècles l’une des plus grandes écoles de droit de l’Empire romain, est infiniment plus affligeante que la tragédie de Nashville. Comble de malchance, il y eut cette date fatidique du 4 août 2020 avec sa terrible double explosion criminelle. Espérons toujours que Gemmayzé et les autres quartiers à cachet traditionnel ne connaissent pas le même sort funeste que les souks de Beyrouth.


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La récente bombe qui a explosé au cœur du centre-ville de Nashville, aux États-Unis, la cité emblématique de la « country music », est l’œuvre délibérée d’Anthony Warner qui avait placé un engin explosif à l’intérieur de sa caravane. Mais qui donc était ce monsieur Warner ? Apparemment, c’était une personne esseulée de 63 ans qui gérait de façon autonome sa...

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