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Société - Polémique

Le torchon brûle entre le barreau de Beyrouth et les FSI

Après ce qu’ils estiment être une « agression flagrante » d’un des leurs, Jimmy Hadchiti, par la police, les avocats, soutenus par leurs confrères de Tripoli, reconduisent leur grève aujourd’hui.

Le torchon brûle entre le barreau de Beyrouth et les FSI

Grève des avocats hier et aujourd’hui. Photo al-Markaziya

En grève depuis hier, les avocats de Beyrouth reconduisent leur mouvement aujourd’hui pour protester contre « l’agression flagrante » d’un des leurs, Jimmy Hadchiti, dimanche dernier, par les forces de l’ordre, dans le cadre d’une affaire de stationnement gênant dans la région de Hadeth, face au magasin Karout. L’ordre des avocats, par la voix de son bâtonnier Melhem Khalaf, dénonce aussi « l’arrestation arbitraire de l’avocat sans fondement légal, à la suite d’une décision surréelle du juge chargé de l’enquête », Fady Akiki. Maintenu en garde à vue au poste de police de Hammana, Me Hadchiti a été relâché hier après-midi, sous caution d’élection de domicile, tout comme le policier qui l’aurait agressé.

Pourquoi n’avoir pas dressé une contravention ?

L’affaire est toutefois loin d’être terminée. L’épouse de Jimmy Hadchiti, Clara Geha, journaliste à la chaîne télévisée al-Jadeed, multiplie les accusations contre les forces de l’ordre. À L’Orient-Le Jour, elle raconte que l’affaire a débuté alors qu’elle faisait des courses avec son époux et leurs deux enfants en bas âge. « Mon mari a garé la voiture en double file derrière d’autres voitures. Il est allé faire une course pour quelques minutes. Et je suis restée dans le véhicule avec mes enfants. La clé était toujours sur le contact », affirme-t-elle. C’est alors qu’un policier lui a demandé de déplacer le véhicule. « J’ai d’abord répondu que mon mari arrivait tout de suite. » Face à l’insistance de l’agent, la jeune femme sort de la voiture pour se mettre au volant. « Mais il m’a filmée et a filmé la plaque de la voiture, ce qui est inadmissible », insiste-t-elle. La femme exprime alors sa colère et le ton monte. Mme Geha se présente alors, énonçant sa profession de journaliste à la télévision al-Jadeed. « Il m’a aussitôt accablée d’injures, insultant au passage le patron de la chaîne », assure-t-elle. L’arrivée de Jimmy Hadchiti ne fait qu’envenimer la situation. Ce dernier invective l’agent qui a filmé son épouse. L’altercation s’éternise. Le dérapage survient avec l’arrivée d’un agent de police à moto. « Mon mari a été battu et insulté sous les yeux de nos enfants », déplore Clara Geha. Dans la vidéo qu’elle a filmée et diffusée sur al-Jadeed, on entend effectivement les cris des enfants terrorisés par la scène, suppliant l’agent de ne pas frapper leur père. On y voit un agent agressif que des confrères tentent de retenir. Jimmy Hadchiti y apparaît aussi, blessé au visage. « Pourquoi m’insulter et battre mon époux ? » demande-t-elle. « Si nous avons commis une infraction, pourquoi nous agresser verbalement et physiquement ? Pourquoi ne nous a-t-on pas donné une contravention ? » poursuit-elle, assurant que « nul n’est au-dessus des lois ».

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La situation ne finira par se calmer qu’avec l’arrivée du bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf. Jimmy Hadchiti et l’agent sont alors embarqués. Les propos de Mme Geha sont corroborés par l’avocat de son époux, Mazen Hoteit, connu pour son engagement auprès des contestataires harcelés par les autorités. Sauf que ce dernier n’a pas réussi à se procurer les vidéos de surveillance, comme il l’avait pourtant réclamé. « Tantôt on me dit que le courant était coupé au moment de l’incident, tantôt on me dit que la caméra était abîmée. Et lorsque les FSI ont fini par nous remettre les vidéos, elles étaient vierges », déplore-t-il auprès de L’OLJ. L’avocat n’en déplore pas moins les atteintes flagrantes aux droits de son confrère. « Les forces de l’ordre ont multiplié les exactions. L’agent violent a une nouvelle fois agressé Jimmy Hadchiti au poste de police de Hammana, devant les officiers », assure Me Hoteit. « Sans oublier qu’un avocat n’a pas à comparaître devant les forces de l’ordre. Seul le juge peut l’interroger », précise-t-il. « Nous glissons vers l’État policier, regrette l’avocat. C’est la sécurité qui contrôle la justice. »

Les FSI publient une vidéo

Après un long silence radio, c’est sur Twitter, et vidéo à l’appui, que les FSI ont diffusé leur version de l’affaire. On y voit une voiture garée en double file, gênant vraisemblablement la circulation. Un agent s’approche du véhicule et parle brièvement aux occupants. L’institution assure que l’agent accusé de violences verbales « n’a fait que son devoir », qu’il a suivi « la procédure habituelle ». « Il s’est éloigné de la voiture pour photographier l’infraction. Il n’a absolument pas agressé la conductrice », soutient le communiqué, accusant Mme Geha « d’avoir conduit son véhicule à contresens, mettant en péril sa vie, celles de ses enfants et des automobilistes ». Ce que montre une vidéo publiée par l’institution sécuritaire. Quant à l’altercation avec Me Hadchiti, les FSI précisent que l’avocat l’a provoquée. Ils publient dans ce sens deux autres vidéos, l’une « montrant l’avocat avancer en direction de l’agent », l’autre filmant « l’altercation ».

L’enquête doit à présent déterminer les responsabilités. Entre-temps, les réactions se multiplient. L’ordre des avocats de Tripoli s’est solidarisé avec le barreau de Beyrouth, mettant en garde contre « le délitement des institutions », regrettant « l’incident entre deux institutions qui travaillent habituellement ensemble ». De même, la ministre sortante de l’Information, Manal Abdel Samad, s’est insurgée contre « l’agression verbale à l’égard de la journaliste Clara Geha » et « l’agression d’un père de famille devant ses propres enfants ». Sur les réseaux sociaux, les contestataires sont montés au créneau en faveur des époux Hadchiti.

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Il n’en reste pas moins que des voix dissonantes s’élèvent, critiquant vertement la prise de position du bâtonnier Melhem Khalaf. « Maître Melhem Khalaf (…), laissez la justice suivre son cours. Solidaires du juge Akiki », écrit sur Facebook l’activiste Alfred Moukarzel. « Les immunités servent à protéger des intérêts personnels », dénonce M. Moukarzel auprès de L’OLJ. Juriste de formation, il se demande si l’incident dont a été victime Jimmy Hadchiti s’est bien déroulé dans le cadre de l’exercice de sa profession d’avocat. « Dans le cas contraire, M. Hadchiti doit être considéré comme un simple citoyen. Il est donc du devoir de la justice d’enquêter. Dans ce cadre, l’ordre des avocats ne peut invoquer l’immunité », affirme-t-il, estimant que « cette histoire ne tient pas la route ». L’Orient-Le Jour n’a pas réussi à joindre le bâtonnier de Beyrouth pour obtenir davantage de précisions. Mais selon un avocat qui requiert l’anonymat, « ce nouvel incident vient s’ajouter à une série d’atteintes délibérées contre des avocats ». « Les avocats pourraient être sciemment ciblés, estime-t-il. Alors que nous devrions travailler de pair avec les forces de l’ordre, voilà que la classe politique se démène pour nous monter les uns contre les autres. »

En grève depuis hier, les avocats de Beyrouth reconduisent leur mouvement aujourd’hui pour protester contre « l’agression flagrante » d’un des leurs, Jimmy Hadchiti, dimanche dernier, par les forces de l’ordre, dans le cadre d’une affaire de stationnement gênant dans la région de Hadeth, face au magasin Karout. L’ordre des avocats, par la voix de son bâtonnier Melhem...

commentaires (4)

Moralité: garez vous sur des places de parking, et non pas en double file. Même si ça vous force à marcher sur quelques mètres supplémentaires. Et ne jamais insulter un agent des forces de l'ordre.

Gros Gnon

19 h 44, le 05 janvier 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Moralité: garez vous sur des places de parking, et non pas en double file. Même si ça vous force à marcher sur quelques mètres supplémentaires. Et ne jamais insulter un agent des forces de l'ordre.

    Gros Gnon

    19 h 44, le 05 janvier 2021

  • A mon avis 3 raisons fondamentales se cachent derrières ce type d'incident. 1) D'abord le manque de confiance des parties dans le système politico-judiciaire puisqu'ils ont cherché à s'imposer les uns aux autres immédiatement. 2) Le manque de civisme, les insultes et l'usage de la force physique sont des signes du déclin aggravé et évident dû initialement à la guerre civile et à la situation économique pesante. 3) le manque du sens de la longévité, puisque chacun a imaginé qu'il s'agit d'une affaire vitale qui se joue sur le champ et qu'il n'est plus question de penser à autre chose et de se retirer dans le calme. Tout cela rappelle l'incompétence de la majorité de ceux qui ont conduit les affaire du pays depuis 1968 (l'accord du Caire)

    Shou fi

    14 h 46, le 05 janvier 2021

  • Quelque soit la raison : Même si le couple est à 100% fautif. Lever la main et frapper. Ici c'est carrément TABASSER un citoyen : est inadmissible. Avocat , journaliste ou pas...On s'en tape. TABASSER un citoyen qui insulte? Un policier doit faire son boulot sans broncher. Si le citoyen utilise la violence, le devoir du policier est de maîtriser ce citoyen. Dans tous les cas, se jeter dessus et le tabasser n'est pas digne d'une société qui se dit civilisée. C'est juste dans les république bananières, dictatoriales que ca se passe. Malheureusement, c'est le cas au liban. Le liban est loin d'être civilisé aujourd'hui, à l'ombre de la mentalité actuelle. Chaque personne au liban qui porte une arme se croit ( et c'est vrai ) impunie et intouchable.

    LE FRANCOPHONE

    13 h 50, le 05 janvier 2021

  • Indépendamment du fait que l'on sait généralement que les forces de l'ordre, souvent, transgressent les lois et les accommodent à leur sauce.. cette fois il semble que probablement les torts soient partagés . L'épouse de l'avocat qui, lui, dans le cas présent doit être considéré comme un citoyen ordinaire et non officiant dans le cadre de ses fonctions, a outrepassé ses droits en se garant en double file et en faisant prévaloir sa fonction de journaliste, ce qui ne la place pas au dessus des lois... En procédant de la sorte, elle n'a fait qu'augmenter le "bordel" ambiant qui existe au Liban, bordel élevé à la hauteur d'une véritable institution. Et si la vidéo produite par les FSI s'avère vraie la loi et seulement la loi doit s'appliquer, trop souvent nos concitoyens ont tendance à hiérarchiser, ce que l'on peut généralement considérer comme un délit , par rapport à une position sociale ou professionnelle.

    C…

    13 h 37, le 05 janvier 2021

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