La photo, poignante, a fait le tour des réseaux sociaux : on y voit un enfant haut comme trois pommes, les mains menottées dans le dos, levant les yeux vers un agent de police. L’auteur de ce cliché est un avocat, Jad Tohmé, qui se trouvait au Palais de justice de Beyrouth et qui, révolté par ce qu’il a vu le 22 décembre, a voulu lancer le débat sur la procédure d’arrestation des mineurs, particulièrement les moins de 12 ans. La photo a profondément touché les internautes qui ont abondamment réagi à la vue des menottes, estimant que de telles méthodes étaient d’un autre âge. Mais qu’en est-il réellement de la loi, au Liban, et du cas particulier de cet enfant ?
Les Forces de sécurité intérieure (FSI), dont on voit deux agents entourant le petit garçon dans la photo, ont immédiatement réagi à la circulation du cliché. Dans leur communiqué, diffusé lundi, il est indiqué que l’enfant de 10 ans (né en 2010), sans papiers, « est suspecté d’avoir commis plusieurs délits, notamment le vol d’une moto récemment ». Les FSI reconnaissent néanmoins que l’enfant est, finalement, « une victime de son environnement et de sa famille ».
« Le 22 décembre, l’enfant a été emmené afin d’être auditionné par la justice. Lorsque la personne en charge des détenus mineurs a demandé pourquoi l’enfant était menotté, l’un des agents lui a expliqué que le mineur avait tenté de s’échapper lors de son transfert au Palais de justice », est-il encore expliqué. Toujours selon la police, « l’enfant aurait affirmé à la personne en question qu’il n’hésiterait pas à prendre la fuite à la première occasion ». Les FSI précisent que l’enfant a été remis en liberté le jour même et a été « transféré aux parties compétentes ».
Le mineur doit encore être entendu dans deux affaires de vols commis précédemment.
La police souligne enfin que « les lois libanaises ne précisent pas la manière de menotter les détenus mineurs lors de leur transfert » et affirment qu’ils sont traités « comme tous les autres détenus lors de ces transferts ».
Joint par L’Orient-Le Jour, l’avocat Jad Tohmé, qui a entrepris des recherches à la suite de cette affaire, reconnaît qu’il n’y a pas de texte relatif au menottage des mineurs en particulier, ni dans la législation nationale ni dans les conventions internationales, seulement ce qu’on appelle les Règles Nelson Mandela sur le traitement des détenus, et qui sont un protocole non contraignant. « En revanche, affirme-t-il, il existe au Liban une loi portant le numéro 422 sur la protection des mineurs, dont l’article 5 divise les sanctions entre celles qui privent de liberté et les autres, et dont l’article 6 stipule que les mineurs de moins de 12 ans ne devraient jamais être soumis au premier type de sanctions. Dans ce sens-là, menotter un enfant de cet âge est une entorse à la loi. »
Les FSI disent que l’enfant menaçait de s’enfuir. « Doit-on toujours croire ce qu’un enfant de cet âge prétend ? Même les adultes sont impressionnés par l’uniforme militaire, alors que serait-ce d’un enfant ? », répond-il. L’avocat s’insurge aussi contre les détails contenus dans le communiqué des FSI au sujet de la situation de l’enfant. « La loi sur la protection des mineurs empêche qu’on étale ainsi les détails juridiques dans une affaire impliquant un enfant », assure-t-il. Pour autant, l’avocat assure ne pas avoir les FSI en ligne de mire, mais vouloir que toutes les parties concernées soient conscientes de l’état d’une société où un enfant de dix ans se trouve obligé de voler.
Critiqué par certains pour avoir publié la photo, selon ses propres dires, il précise avoir « flouté le visage de l’enfant et celui des agents » et n’avoir eu recours à ce procédé que pour lancer le débat autour de la procédure propre aux mineurs.
Des institutions indispensables au système
Sondée par L’Orient-Le Jour sur ce cas, Amira Sukkar, présidente de l’Union pour la protection de l’enfance au Liban (UPEL), rappelle que les enfants sans papiers sont particulièrement vulnérables à l’exploitation et aux abus, ce qui peut les mener à la délinquance. « Selon moi, les FSI appliquent un critère qui est le même pour tous les suspects menés à l’interrogatoire, où ils arrivent menottés, même si d’un point de vue des droits de l’homme, je suis contre qu’on menotte un enfant », explique-t-elle. Elle confirme ce que souligne le communiqué des FSI, à savoir que « la déléguée de l’UPEL a demandé à l’agent pourquoi le petit n’avait pas au moins les mains menottées à l’avant ». « Mais les policiers craignaient qu’il ne s’enfuit, étant responsables de son transfert à la Cour, poursuit-elle. Il faut cependant savoir que le mineur n’est jamais menotté lorsqu’il comparaît devant un juge ou quand il est interrogé. »
Au-delà de la question des menottes, elle pointe du doigt des problèmes plus généraux en relation avec le système en place.
« Il n’existe pas d’organisation qui puisse accueillir ces enfants en conflit avec la loi ou qui sanctionne les parents qui les abandonnent à leur sort, dit-elle. Une maison de correction ne sera prête qu’en 2021, or elle devrait faire partie intégrante du système ainsi que le stipule la loi. L’autre institution qui devrait être créée est un centre de surveillance où des enfants à risque de délinquance devraient être hébergés quelque temps pour y être surveillés et réhabilités, avant une condamnation quelconque. Dans tous les cas, l’enfant ne devrait pas être retenu à la prison de Roumieh (la principale du pays). Enfin, il faudrait adapter la procédure judiciaire à l’enfance, pour éviter aux mineurs l’humiliation d’être traînés au Palais de justice. »
Amira Sukkar estime que dans le cas d’un enfant de cet âge, même s’il est récidiviste, il faudrait privilégier son placement dans une association. « Ce mineur en particulier a été libéré depuis cet incident, raconte-t-elle. Nous allons tenter de le suivre auprès de son entourage et recommander au juge de charger une association spécialisée de suivre son cas, tout en prévoyant une potentielle aide aux parents, vu qu’il dit vouloir les aider. »
Proportionnel à la menace et dicté par la nécessité
Se focalisant plus particulièrement sur l’acte de menotter un enfant, Suzanne Jabbour, PDG de l’association Restart, spécialisée dans l’action au sein des prisons et contre la torture, estime que « les menottes en soi sont un acte d’imposition par la force et il ne faut en user que dans le cadre de lignes directrices précises qui tiennent compte de l’âge, du cas en question, du crime ou délit commis, de la propension du prévenu à la violence… ».
En d’autres termes, souligne l’experte à L’OLJ, l’usage des menottes devrait être proportionnel à la menace que représente un individu et dicté par la nécessité. « Quelle menace représente un enfant de cette taille ? » se demande-t-elle. Elle refuse pourtant d’accabler les agents de l’ordre qui devraient, selon elle, être soumis à des sessions de formation pour apprendre à accomplir leur mission tout en gérant des cas particuliers tels que la présence d’un enfant dans ce cadre.
Suzanne Jabbour évoque par ailleurs les conventions internationales, ratifiées par le Liban, qui vont à l’encontre de telles pratiques, notamment la Convention internationale contre la torture qui définit non seulement ce qu’est la torture, mais ce que sont les mauvais traitements, et la Convention internationale des droits de l’enfance, qui dans son article 40 stipule que l’intérêt de l’enfant doit primer en toute occasion, même si celui-ci est en conflit avec la loi.
commentaires (9)
Il faut montrer à ces monsieurs dames de l autorité judiciaire le film de Nadine labaki CAPHARNAÜM C est exactement cela Dr Fadi LABAKI
fadi labaki
14 h 47, le 05 janvier 2021