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Lifestyle - La Mode

Balenciaga ouvre une ère cybernétique

Le 6 décembre, le visionnaire Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga, recevait une poignée d’invités pour la présentation de sa collection automne-hiver 2021. À la grande surprise des présents, ce ne sera ni un défilé réel ni un film, mais un jeu vidéo que chacun est invité à tester sur place.

Balenciaga ouvre une ère cybernétique

Balenciaga automne-hiver 2021. Photos Balenciaga

Un migrant, comme on dit : Demna Gvasalia est né en Géorgie, mais sa famille fuyant le massacre consécutif à la guerre civile de 1991-1993, il se déplace de ville en ville jusqu’à se fixer en Allemagne, à Düsseldorf, en 2000. Son entourage le voit banquier. Il suit des études en finances, mais la chute du mur de Berlin a ouvert les yeux de l’adolescent qu’il était sur un monde autrement scintillant que celui de l’URSS dont il garde cependant de puissantes réminiscences. C’est ainsi qu’il se retrouve étudiant en mode masculine aux beaux-arts d’Anvers où il offre en retour sa vision surprenante et décalée, déjà avant-gardiste, faite d’étoffes de fin de stock et de ces imprimés standards et prêt-à-porter bon marché en cours de l’autre côté du rideau de fer. À cela s’ajoute sa fascination pour le consumérisme occidental sauvage des premières années 2000, paysage dans lequel il puise à pleines brassées les logos les plus obsédants, d’Ikea à DHL, en passant par la foultitude des clichés occidentaux.

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Rien n’est pour lui assez moderne, et tout ce qui a déjà été tenté est pour lui obsolète. Sa marque Vetements, fondée avec son frère en 2014 après un passage chez Louis Vuitton, brouille les lignes et sert, dès sa spectaculaire collection automne-hiver 2014-2015, de nouvelle base à tout jeune créateur qui ne trouve plus dans la mode classique matière à s’exprimer. C’est d’ailleurs en octobre 2015 qu’il est engagé par François-Henri Pinault à prendre en charge la direction artistique de l’une des plus vénérables enseignes de ce qui était alors le groupe Kering : Balenciaga. Gvasalia quittera Vetements en 2019 pour s’y consacrer entièrement.


Balenciaga automne-hiver 2021. Photos Balenciaga


L’héritier de Cristobal

Le monacal Cristobal Balenciaga se serait-il retourné dans sa tombe à l’annonce de cette étrange succession ?

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Celui que l’industrie a toujours désigné, entre superlatifs et dévotion, comme Le maître, Le couturier des couturiers, Notre maître à tous, L’alchimiste de la couture, L’architecte de la mode, avait déjà jeté l’éponge en 1968, quatre ans avant sa mort, renonçant à un art qu’il jugeait désormais dévoyé, reprochant à l’Europe son renoncement à l’élégance. De père humble pêcheur, de mère couturière, il maîtrise dès l’enfance la couture avec un talent qui touche au génie. Quand il s’établit à son compte, dans son Pays basque, en 1920, il est aussitôt l’habilleur quasi officiel des dames de la cour d’Espagne. Sa science de la couture, sa vision architecturale des volumes, sa propre rigueur morale lui font concevoir le vêtement avant tout comme une attitude. Une robe Balenciaga vous donnait tout de suite de la tenue, une aura qui inspirait le respect et forçait l’admiration.


Balenciaga automne-hiver 2021. Photos Balenciaga


Retrouve-t-on tout cela chez Gvasalia ? En dépit des apparences, des volumes surdimensionnés du Géorgien et de sa manie de détourner tout ce qui existe, Gvasalia est sans aucun doute l’hériter du grand Cristobal, d’abord par sa singularité, ensuite par cette même obsession de l’attitude qui le pousse à créer des vêtements qui inspirent la force, enfin par cette recherche permanente de ce que pourrait être le futur qui lui donne constamment une longueur d’avance sur ses pairs. Le pessimisme ? Dépassé. Le défilé filmé ? Dépassé. Que reste-t-il pour présenter une collection en pleine pandémie ? La réponse de Gvasalia s’impose déjà comme une évidence. Introduire le spectateur dans son univers à travers l’un des plus grands jeux vidéo jamais conçus. Offrir à son avatar la possibilité de choisir les éléments qui vont contribuer à l’armer contre un avenir qui se révèle hostile. Lui donner enfin le pouvoir de changer ce monde qui se dégrade à vue d’œil, mais dans lequel chaque jour qui se lève offre d’infinies possibilités de créer un impact positif.


Balenciaga automne-hiver 2021. Photos Balenciaga


Danser seul dans un cercle lumineux Dans ce jeu qui s’appelle

Afterworld : The Age of Tomorrow, on part d’une boutique Balenciaga, vraisemblablement celle de Paris avec son vaste espace récupéré sur un ancien garage, rue Saint-Honoré. De porte en porte, d’énigme en énigme et sur 5 niveaux, y compris le niveau de départ, on va ensuite parcourir, en suivant des flèches lumineuses, une artère urbaine avec ses échafaudages, ses véhicules étranges et ses passants qui vont à reculons dans la grisaille d’un hiver maussade dans une ville mal tenue, jonchée d’ordures. On va ensuite arriver à un dépotoir où, en déchiffrant les affiches, on comprend qu’on peut se faire inviter à une T-Party. Alice n’est pas loin, mais il reste à trouver l’autre côté du miroir. Ce niveau franchi, on se retrouve dans une forêt – Brocéliande ? Depuis les Chevaliers de la Table ronde, en passant par Shakespeare, il a toujours fallu le détour d’une forêt pour trouver une solution aux problèmes. Et là, comme au Pays des merveilles, on va suivre un lapin ou casser des œufs de Pâques pour arriver à cette T-Party qui se donne dans une forêt magique. Balenciaga est ici dans la prémonition : dans ce jeu vidéo conçu avant la pandémie, les gens dansent seuls, entourés de cercles lumineux qui semblent infranchissables, distanciation sociale oblige. Le dernier niveau où l’avatar qui vous représente, après en avoir assemblé tous les éléments en cours de jeu, se retrouve habillé d’une armure entière, debout sur une falaise surplombant un horizon de crépuscule ou d’aurore, retirant, victorieux, une épée coincée dans la roche. Et si la mode, au final, pouvait sauver le monde ? Chez Gvasalia, les couvertures se transforment en manteaux, les vastes pantalons déchirés révèlent d’autres vêtements, peut-être des combinaisons de superhéros, les matières métallisées jouent les armures secrètes.


Balenciaga automne-hiver 2021. Photos Balenciaga


L’une des industries les plus polluantes tient aujourd’hui entre ses mains les clés d’un ressourcement plus humain et d’une réduction de la production au profit du recyclage. À chacun de jouer sa partie pour contribuer au sauvetage de la planète avant le désastre climatique annoncé.

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