Réunis dans le bâtiment de l’Unesco à Beyrouth pour examiner un certain nombre de textes, les députés ont approuvé hier une proposition de loi qui lève pendant un an le secret bancaire sur les comptes de la Banque du Liban (BDL) et ceux des institutions publiques, à savoir ceux qu’elles détiennent à la Banque centrale. Le député de Zahlé Georges Okaïs, appartenant aux Forces libanaises, a confirmé à L’Orient-Le Jour que la version définitive du texte, qui n’avait pas encore été publiée hier soir, reprenait l’essentiel de la proposition rédigée par sa formation politique avec « quelques modifications ».
Le nouveau texte a notamment introduit la mention faite des comptes des institutions publiques et a ajouté une référence à la déclaration du Parlement du 27 novembre prenant position en faveur du lancement d’un audit de la BDL et plus précisément son volet juricomptable (forensic audit), une procédure visant à retracer l’historique des transactions afin de détecter d’éventuelles fraudes. Officiellement, l’adoption de cette loi vise donc à faciliter cette procédure lancée en septembre et paralysée depuis fin novembre.
Effet d’annonce
L’adoption de cette nouvelle loi a été logiquement saluée par le député des Forces libanaises Georges Adwan, ainsi que par le président de la commission parlementaire des Finances Ibrahim Kanaan, du Courant patriotique libre (aouniste), qui compte parmi les partisans de l’audit. Même son de cloche du côté de l’ancien ministre des Finances Ali Hassan Khalil, du mouvement Amal du président du Parlement Nabih Berry, dont le soutien à l’opération était beaucoup moins franc. Contacté par l’AFP, l’avocat Nizar Saghiyé, directeur exécutif de l’association Legal Agenda, s’est lui demandé si cette loi sera effectivement utile pour relancer l’audit juricomptable de la BDL ou s’il s’agit d’un « effet d’annonce ». Une source bancaire anonyme a pour sa part évoqué deux possibilités à L’Orient-Le Jour : « Soit c’est une initiative sérieuse prise par les députés face à une pression croissante qui viendrait de l’extérieur ; soit c’est une nouvelle tentative de gagner du temps. » La ministre sortante de la Justice Marie-Claude Najm a, quant à elle, annoncé en fin de soirée sur son compte Twitter que « tous les prétextes sont tombés », invitant dès lors « la BDL à remettre au ministère des Finances tous les documents requis ».
L’audit de la Banque centrale, et plus précisément son volet juricomptable, fait partie des réformes les plus urgentes réclamées par les principaux soutiens d’un Liban en crise depuis plus d’un an, ainsi que par le Fonds monétaire international (FMI) que les responsables libanais avaient commencé à démarcher en mai dernier pour débloquer une assistance financière. Après plusieurs mois de tractations, le gouvernement sortant dirigé par Hassane Diab a mandaté le 1er septembre le cabinet international Alvarez & Marsal pour se charger du volet juricomptable de l’audit, en même temps que KPMG pour le volet comptable et Oliver Wyman pour toutes les particularités liées au statut de la Banque centrale.
Moins de trois mois plus tard, Alvarez & Marsal jetait finalement l’éponge après que la BDL a refusé de lui fournir toute une série de documents qu’il avait demandés, en se réfugiant derrière la loi sur le secret bancaire en vigueur au Liban depuis les années 1950. Cet argument, partagé par le ministre des Finances, Ghazi Wazni – appartenant au mouvement Amal –, a néanmoins été jugé irrecevable notamment par la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm, nommée à ce poste par le chef de l’État Michel Aoun. Très discret jusqu’à ce point, le Parlement s’était alors mobilisé dans la foulée du désistement d’Alvarez & Marsal pour prendre position, après que la présidence libanaise a envoyé un courrier pour demander à l’Assemblée de « coopérer avec l’exécutif ».
Loi insuffisante
Reste à savoir si cette levée provisoire et ciblée du secret bancaire va effectivement surmonter les obstacles invoqués par la BDL pour refuser les requêtes d’Alvarez & Marsal et auxquels risqueraient de se heurter d’éventuels nouveaux candidats. Contacté par L’OLJ, l’avocat fiscaliste et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic) Karim Daher estime que « bien qu’importante et nécessaire, cette loi reste insuffisante » en l’état pour faire avancer les choses. « Le texte n’est pas ambigu en soi et suspend bien, dans son intégralité, l’application du secret bancaire prévu par la loi de 1956 et son corollaire l’article 151 du code de la monnaie et du crédit notamment pour les comptes de la BDL et ceux des institutions publiques. Malheureusement, et sous réserve de la confirmation des informations après publication et lecture du texte final, la nouvelle loi n’inclut pas expressément les comptes des tiers liés à ces entités, ce qui limite son efficacité », a-t-il noté.
« L’impact de cette nouvelle loi est aussi limité par le fait que le Parlement a vidé de sa substance un précédent texte, voté le 28 mai et permettant de lever le secret bancaire pour toute une série de hauts responsables et d’élus ainsi que pour toute personne ayant un rapport avec l’argent public, comme les concessionnaires de travaux et services publics », a encore noté le président de l’Aldic. Le texte auquel Me Daher fait référence prévoyait en effet de lever le secret bancaire sur des comptes détenus notamment par les ministres, députés, fonctionnaires, conseillers, candidats (anciens et futurs) aux élections législatives et municipales et présidents de conseils d’administration des médias, ainsi que par leurs conjoints et leurs enfants, notamment dans le cadre d’affaires de corruption et de blanchiment d’argent. Il avait été adopté à la hâte en fin de séance fin mai après que le président du Parlement a demandé de retirer la mention « toutes les autorités judiciaires dans le cadre d’une enquête » parmi les parties autorisées à lever le secret bancaire. Ce qui a littéralement rendu le texte inopérant en l’absence d’ailleurs de la constitution d’une commission nationale de lutte contre la corruption. Pour assurer l’efficacité de la nouvelle loi, il convient impérativement d’adopter cette précédente loi toujours dans les « travées » des ordres du jour du Parlement, après son renvoi par le président de la République pour une seconde lecture.
« Concrètement, le fait que la nouvelle loi n’inclut pas les tiers pourrait entraver l’action des auditeurs pour remonter jusqu’aux comptes des auteurs/bénéficiaires des actes de corruption et de malversation dans les banques commerciales ; et le fait que la loi du 28 mai a été caviardée limite les possibilités de poursuivre des responsables ou des élus si l’audit révèle des informations permettant de remonter jusqu’à eux », résume pour sa part la source bancaire interrogée.
Enfin, rien ne garantit que l’adoption de cette loi va, à elle seule, supprimer tous les obstacles qui ont jusqu’à présent bloqué l’audit de la BDL, d’autant plus que, selon nos sources, KPMG et Oliver Wyman rencontreraient également d’importantes difficultés pour mener leurs missions respectives à bien.
Le contrat entre EDL et EDZ prolongé comme attendu
Les députés ont approuvé hier une proposition de loi prolongeant pour deux ans, avec obligation de remettre le marché public en jeu via un nouvel appel d’offres pendant cette période, le contrat d’exploitation liant depuis début 2019 le fournisseur d’État, Électricité du Liban (EDL), à la société Électricité de Zahlé (EDZ). Institué par la loi n° 107 adoptée en novembre 2018, ce contrat avait remplacé l’ancien régime de concession dont bénéficiait la société depuis 1923.
Il avait aussi reconnu les prérogatives de production d’électricité que la concession s’était réappropriées en 2015 en louant des unités de production au diesel au spécialiste écossais Agrekko pour fournir, pendant les coupures imposées par EDL, du courant aux abonnés de Zahlé et de 16 localités voisines dont elle gère le réseau de distribution et la collecte des factures.
Selon une source proche du dossier, EDL devrait parapher le contrat dans les prochaines semaines, ce qu’elle n’avait pas fait pendant les deux premières années d’exécution en invoquant le fait que le ministère des Finances ne l’avait pas non plus signé. « Au-delà de la mention de l’appel d’offres, la loi autorise le renouvellement du contrat aux mêmes conditions que celles qui couraient jusqu’ici, et valide rétroactivement tout ce qui a été fait depuis début 2019 », a ajouté la source.
La situation d’EDZ a été très médiatisée depuis que l’ancienne concession a commencé à produire son courant en 2015. Le modèle a été récemment passé au crible dans une étude publiée sous l’égide du programme Anti-Corruption Evidence (ACE) financé par l’agence gouvernementale britannique UKaid, qui revient sur ses avantages et ses inconvénients.
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LES CLOWNS SE REPETENT SUR LA SCENE.
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 25, le 22 décembre 2020