À gauche, le président de la République, Michel Aoun. À droite, le président du Parlement, Nabih Berry. Entre les deux, leur principal allié : le Hezbollah. L’objet de la bataille ? L’audit juricomptable de la Banque du Liban (BDL), qui doit permettre d’avoir une vision plus claire des comptes de la Banque centrale et de déceler d’éventuels détournements de fonds par le passé. Michel Aoun en a fait une affaire personnelle. Nabih Berry a tout fait pour enterrer le projet. Une fois de plus depuis le début du mandat Aoun, le Hezbollah se trouve pris en tenailles entre ses deux partenaires. Comment, dans cette situation, ménager la chèvre et le chou ? Comment prendre position sans provoquer le courroux de l’autre camp, sachant que le parti a plus que jamais besoin de préserver ses alliances, à un moment où il fait l’objet d’une pression maximale de la part des États-Unis et de leurs alliés ?
Alors que le Parlement se réunissait hier à la demande du chef de l’État pour prendre position sur cette question, le chef du bloc de la Fidélité à la résistance (Hezbollah), Mohammad Raad, a résumé la position de son parti d’une façon suffisamment large pour satisfaire – pour l’instant – tout le monde : « Nous soutenons fermement l’audit juricomptable au sein de la BDL et nous sommes d’accord pour que cet audit s’applique aussi à toutes les administrations et tous les ministères. Et si le secret bancaire est un obstacle à cela, nous proposons une suspension exceptionnelle de ce secret », a-t-il affirmé. Le Hezbollah répond ainsi positivement à la fois à la demande du CPL et à celle d’Amal. Le parti chrétien, ou plutôt son chef Gebran Bassil – certains barons du CPL ne sont pas sur la même ligne–, semble considérer qu’il a moins à perdre que les autres dans cette affaire et utilise l’audit comme une arme politique pour affaiblir l’autre camp et se débarrasser du gouverneur de la BDL, Riad Salamé. Le parti chiite (Amal) semble pour sa part considérer qu’il a encore plus à perdre que les autres. La société d’audit international Alvarez & Marsal a résilié son contrat avec l’État en raison du refus du ministre sortant des Finances Ghazi Wazni, proche de M. Berry, et de la Banque centrale de lui fournir les documents requis pour mener à bien cette mission, sous prétexte du respect du secret bancaire. Le parti du président de la Chambre a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne tolérerait pas une politique de deux poids, deux mesures en matière d’audit, encore moins un acte de « vengeance politique » qui viserait une partie précise, le gouverneur de la Banque du Liban, et tous ceux que l’audit risque de placer sous les projecteurs. Pour Nabih Berry, pas question d’être le seul à payer les pots cassés. Ses proches font valoir depuis des semaines que l’audit de la BDL doit être accompagné d’un audit plus général qui engloberait toutes les institutions, tous ministères et les caisses publiques, une façon de pointer du doigt le CPL, accusé de s’être engraissé à travers la cooptation du ministère de l’Énergie. « Parler d’audit auprès de l’ensemble de l’administration et des institutions publiques signifie reporter ad vitam aeternam le projet », commente un analyste politique proche du Hezbollah. « C’est un poker menteur où personne n’est prêt à aller au bout, mais où tout le monde cherche à gagner des points », résume un bon connaisseur de la vie politique locale.
« Que faut-il qu’on dise de plus pour que les gens nous croient ? »
Le Hezbollah a un avantage sur tous les autres. Il gravite en dehors du système bancaire, plus particulièrement depuis 2016, lorsque l’étau américain s’est resserré, et ne s’est adonné que très récemment au traditionnel jeu clientéliste libanais, pouvant compter sur ses propres ressources financières. Mais le parti chiite s’est gardé de préciser s’il fallait suspendre l’audit de la BDL le temps de pouvoir l’élargir à tous les ministères de l’État. « Pourquoi voulez-vous donc nous embarrasser avec cette question de priorité ? » s’emporte Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah. « Nous l’avons dit et redit. Nous sommes pour l’aboutissement de cet audit et soutenons le président de la République à fond sur cette question, indique-t-il à L’Orient-Le Jour. Que faut-il qu’on dise de plus pour que les gens nous croient ? »
Le parti chiite ne cache pas son désamour pour le gouverneur de la Banque centrale, qu’il accuse d’être à l’origine de la crise économique qui frappe le pays. Sa rhétorique anticapitaliste se trouve confortée par l’effondrement du système financier libanais. Le Hezb doit aussi satisfaire les demandes de sa base populaire, dont une partie est exclue de ce système financier, en matière de lutte contre la corruption. « La bataille principale pour le Hezbollah aujourd’hui est de se positionner comme le chantre de la lutte contre la corruption », avance Mohammad Obeid, ancien directeur général de l’Information et proche du parti chiite. Ce dernier avait fait de cette thématique sa principale promesse de campagne lors des législatives de 2018. Le parti avait même chargé un de ses députés, Hassan Fadlallah, de suivre de près les affaires de corruption et de pointer du doigt les malversations. Des manœuvres qui n’ont jamais abouti et qui étaient vraisemblablement destinées à apaiser les esprits plutôt qu’à mener effectivement une guerre contre les corrompus. « Aujourd’hui, nous avons la responsabilité de dire aux Libanais où sont passés leurs économies », assure le porte-parole du parti. De cette façon, le Hezbollah cherche aussi à démontrer qu’il n’est pas responsable de l’effondrement financier du pays, alors que de nombreux Libanais l’en accusent. « Le parti ne veut plus entendre dire qu’il est partie prenante de la corruption ou que les sanctions américaines qui se sont abattues sur lui ont contribué à assécher financièrement le pays », commente Mohammad Obeid. Le parti de Dieu est-il néanmoins prêt à aller jusqu’au bout? « Le Hezbollah veut l’audit, mais il n’est pas très rassuré à l’idée qu’une société étrangère le réalise, celle-ci pouvant travailler pour le compte d’une puissance extérieure », explique Ziad Nassereddine, économiste proche du parti de Dieu. « Le Hezb ne peut pas accepter de n’avoir aucun contrôle sur la société en charge de l’audit », décrypte un analyste financier. Mais le plus important est sans doute ailleurs. « L’audit va ouvrir la boîte de pandore et affaiblir les alliés politiques du Hezbollah. Il n’a vraiment pas intérêt à se retrouver dans cette situation », ajoute-t-il. Le parti chiite a démontré depuis la révolution d’octobre que le plus important pour lui était de maintenir le statu quo. Le dilemme est toujours le même : préserver ses alliés ou satisfaire sa base populaire ?
commentaires (9)
Les corrompus professionnels du parlement ont resolu le probleme a leur maniere, en recommadant un audit juricomptable general, sur toutes les institutions de l’Etat, ils savent bien que c’est la meilleure facon…de ne rien faire. Ils esperent ainsi continuer tranquillement leurs activites criminelles, tout en laissant croire qu’ils sont pour des audits comptables…qui les incriminerait presque tous.
Goraieb Nada
09 h 52, le 29 novembre 2020