Rechercher
Rechercher

Culture - Théâtre

Les zoukakeux ont pété les plombs et le résultat est jubilatoire

Trois représentations seulement, dont la dernière est ce soir, de la pièce « I Hate Theater, I Love Pornography » (« Je déteste le théâtre, j’aime la pornographie ») au théâtre al-Madina, par une troupe qui vient poser un regard cynique sur les sociétés malades de trop de pourriture, à travers un texte tout en ambivalence. Et cacophonie.

Les zoukakeux ont pété les plombs et le résultat est jubilatoire

Si l’œuvre de Zoukak ne délivre pas de message, pas de morale et encore moins de consigne, elle constate tout de même, de façon partiale et cynique, un état du monde très angoissant. Photo DR

Il aura fallu une pièce de la troupe Zoukak avec un titre aussi irrévérencieux, drôle, caustique et racoleur, bref irrésistible, pour nous inciter à nous déconfiner et revenir au théâtre après un an d’abstinence et de disette. Quand l’une des plus talentueuses équipes libanaises de dramaturges et d’acteurs prétend « détester le théâtre et aimer la pornographie », nombreux sont ceux qui ne résistent pas à l’appel des planches. Ils sont effectivement là, un peu avant 20h, sur l’esplanade du théâtre al-Madina, discutant, fumant, rigolant. Comme au bon vieux temps où le mot distanciation ne collait pas au (mot) physique. À la billetterie, on vous explique que les places ne sont pas numérotées et que le spectateur peut choisir de débourser la somme qu’il veut, entre 30 000 et 150 000 livres libanaises. À l’entrée, prise de température, gel hydroalcoolique et distribution de masques chirurgicaux. Rassurant.

La grande salle du théâtre est presque pleine, avec quelques sièges épars laissés néanmoins vacants pour respecter la fameuse distanciation.


« I Hate Theater, I Love Pornography » n’étonne pas autant qu’elle détonne. Photo DR


Pas assez rassurant

Recroquevillée au bord de son siège bordant l’allée, l’auteure de ces lignes s’accroche à son masque KN95 comme si c’était une bouée de sauvetage en se demandant si les places ont toujours été aussi proches les unes des autres. Et c’est à ce moment-là qu’elle réalise une chose inhabituelle : le vacarme ambiant ne vient pas des spectateurs tout excités de leur première grande sortie au théâtre. La clameur vient des planches. Le spectacle a commencé et les lumières de la salle ne sont pas encore éteintes. Et les acteurs s’en donnent à cœur joie. Entre les « ah ! ah ! ah ! » des unes et les « oh ! oh ! oh ! » des autres, entre le décolleté pigeonnant de l’une et le velours moulant de l’autre, entre le torse nu de l’un et le torse tatoué de l’autre, les tympans sont brusquement martelés et les pupilles se dilatent. Est-ce bien un pendentif en forme de sexe masculin que Hashem Adnan porte autour du cou ?

Bienvenue dans le monde disjoncté de Zoukak. Lamia Abi Azar, Maya Zbib, Hashem Adnan, Junaid Sarieddine, Omar Abi Azar (metteur en scène), Ziad Chakaroun et Khodor Ellaik vont ainsi, durant soixante minutes, construire et abolir tout notre environnement, sous le regard du public pris à témoin.

Tour à tour, chacun va déballer son sac. Et le reste n’est que gesticulations, halètements, dénonciations, cris, diatribes, rythmes syncopés, déhanchements, grognements…


La troupe Zoukak sur les planches du théâtre al-Madina. Photo DR


Clichés story

Parmi les bribes de phrases et les mots lancés au milieu de la cacophonie, une pléthore de mots clichés utilisés par les médias, surtout occidentaux, pour parler du Liban et de la Syrie : résilience, phénix, migration illégale, mutilation génitale, viols conjugaux, homosexualité taboue, genre ambigu, identité culturelle, jihad sexuel, hommos, chaleur méditerranéenne, explosion de Beyrouth…

On l’aura compris, dans le principal collimateur de cette pièce : le schisme entre les pays du Nord et ceux du Sud. Les pays qui subventionnent le théâtre et ceux qui en produisent les pièces qui sont montées de toutes… pièces pour recevoir des aides du Nord.

Si l’œuvre de Zoukak ne délivre pas de message, pas de morale et encore moins de consigne, elle constate tout de même de façon partiale et cynique un état du monde très angoissant. Le malaise qu’elle procure est édulcoré par le plaisir du rire – oui, le spectacle est drôle, même dans ses obscénités et ses outrances –, mais ne disparaît jamais.

I Hate Theater, I Love Pornography n’étonne pas autant qu’elle détonne. Venant de la troupe, plus rien ne nous étonne. Oser l’hyperbole, ça la connaît. Elle nourrit sa dramaturgie en n’épargnant aucun préjugé, aucun poncif.

Mais elle donne là également une critique bien affûtée du théâtre contemporain, de la lassitude d’un art qui se veut politique et ne fait qu’ânonner des platitudes. Un moment plein d’autocritique, puisque les acteurs fustigent exactement le théâtre qu’ils pratiquent eux-mêmes depuis des années.

Avec cette mise en abîme, Zoukak échappe à l’écueil du manichéisme et prouve que cette kyrielle de personnages sur scène est bien plus ambivalente qu’une approche superficielle le laisserait penser.

Cette pièce, au final, est une caisse de résonance qui se fait l’écho des différentes narrations gravitant autour du corps théâtral, du corps pornographique, du corps politique, et du corps... mort. Cinquante-huit minutes sont passées. Les acteurs sont maintenant allongés par terre. La scène est silencieuse. Zoukak a inversé les donnes théâtrales. L’action commence avec le crescendo et se termine par une accalmie.

Beaucoup de bruit pour rien ? Much ado about nothing ? Le vacarme, qui meuble désormais nos têtes, vous dira le contraire.


Il aura fallu une pièce de la troupe Zoukak avec un titre aussi irrévérencieux, drôle, caustique et racoleur, bref irrésistible, pour nous inciter à nous déconfiner et revenir au théâtre après un an d’abstinence et de disette. Quand l’une des plus talentueuses équipes libanaises de dramaturges et d’acteurs prétend « détester le théâtre et aimer la pornographie »,...

commentaires (1)

Belle critique !

Alexandre Najjar

01 h 40, le 14 décembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Belle critique !

    Alexandre Najjar

    01 h 40, le 14 décembre 2020

Retour en haut