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Société - Focus

Club laïc : quand le rêve d’une minorité prend corps

Les mouvements indépendants de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et de l’Université Saint-Joseph (USJ) ont réalisé une percée inédite lors des élections estudiantines, marquant un tournant dans les facultés.


Club laïc : quand le rêve d’une minorité prend corps

Des étudiants au cours d’une des manifestations du soulèvement populaire. Photo fournie par le club laïc

Au départ, il s’agissait d’une « idée folle » partagée par huit personnes. Nous sommes en 2008, et la scène politique estudiantine est ultradominée par les partis, divisée entre les camps du 8 et du 14 Mars. Pour faire émerger une troisième voix, des étudiants décident de créer un club laïc à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). C’est le début d’une histoire qui mettra douze ans à réellement porter ses fruits.

En 2020, le club a fait des petits dans les différentes universités du pays et a le vent en poupe. Il compte plus de 150 membres et a remporté les élections estudiantines dans les deux plus grandes universitées privées du pays : l’AUB et l’USJ. La dynamique a fini par prendre, rejoignant celle, plus générale, d’un pays agité par un élan révolutionnaire. Pourtant, la traversée n’a pas été simple. Pas de moyens financiers, pas de bureaux, confronté au clientélisme et au mépris des partis politiques traditionnels, ce n’est qu’en 2011 qu’une lueur d’espoir a commencé à se dessiner. Cette année-là, inspiré par le printemps arabe, le club laïc de l’AUB commence à adopter des slogans et des messages politiques plus ambitieux, comme l’appel à « la chute du régime confessionnel ». « Pour la première fois, nous avons senti comme un écho au sein de la société  », raconte Ali Noureddeen, cofondateur du club laïc de l’AUB. « Nous avons alors décidé de travailler en dehors de l’université lors de la “laïc pride” en nous alliant à des indépendants (groupes et organisations non gouvernementales) et en organisant des marches à cette occasion », poursuit-il. 2011, c’est aussi l’avènement des réseaux sociaux qui permet de contacter plus facilement les étudiants et de contrer ce que les responsables du club appellent alors la « propagande des médias libanais » en sensibilisant, au sein des campus, sur la laïcité. « Aujourd’hui, tout le monde sait ce que c’est d’être laïc, mais il y a quelques années, il fallait informer », se souvient Ali Noureddeen.

Un an plus tard, le club laïc décide, pour la première fois, de participer aux élections estudiantines. Il remporte un siège sur dix-huit. Si le club devait auparavant s’allier aux associations culturelles, 2012 marque un premier tournant. À partir de sa plateforme électorale, « Campus Choice », il se présente seul avec la volonté d’être à la fois un acteur politique et un syndicat étudiant. À cette époque, les membres du club subissent des campagnes d’intimidation de la part des partis politiques. « Ils ont détruit notre stand et arraché nos posters », se rappelle Ali. « Le club n’avait même pas un espace dédié pour pouvoir regarder les résultats ! » renchérit Lara Sabra, présidente du club laïc de l’AUB. Depuis, le nombre de sièges remportés lors des élections n’a cessé de croître d’année en année, sauf en 2018 où ils n’en ont remporté que deux.

Pour mémoire

Au Liban, le changement passe aussi par la conquête des campus

Le mouvement « Vous puez ! », qui émerge en 2015 dans le sillage de la crise des déchets, change la donne. Un an plus tard, le club obtient pour la première fois un score honorable lors des élections : 5 sièges sur 19. Tandis que la jeunesse se mobilise pour un Liban en rupture avec les clivages traditionnels, le club gagne du terrain lors des élections estudiantines.

Parallèlement, le club laïc de l’USJ, créé en 2011, est réactivé. « Nous partageons les mêmes principes et valeurs (laïcité, démocratie participative, justice sociale) que le club de l’AUB et nous travaillons ensemble », explique Aya Bou Saleh, membre du club laïc et présidente de l’amicale de la faculté de droit et des sciences politiques (Huvelin).

« Notre discours est devenu dominant »

En 2017, le réseau des jeunes Mada est développé par des anciens du club laïc de l’AUB pour organiser des mouvements étudiants au niveau national. S’ensuit la création du club laïc à l’Université Notre Dame en 2018. Actuellement, ce réseau travaille pour élargir son champ d’action à d’autres universités (LAU, LIU, Balamand, AUST, USEK), malgré la présence d’indépendants, comme à la LAU, avec le mouvement Ghayer qui a effectué une percée cette année lors des élections (9 sièges sur 15 à Beyrouth et 5 sièges sur 15 à Jbeil).

Le moment charnière intervient avec l’irruption de la révolte libanaise, à l’automne 2019. Si, lors des campagnes électorales, les clubs laïcs rêvaient et criaient « Thaoura », avec le soulèvement du 17 octobre, ils l’entendent désormais dans les rues libanaises. « La thaoura, ça a changé la donne. Notre discours est devenu dominant », s’exclame Aya qui explique qu’à partir de là, « les étudiants sont venus vers nous ». « En 2018, nous avions deux sièges à Huvelin (campus de l’USJ), aujourd’hui nous en avons 9 sur 13 », continue-t-elle. « Cette année, pour les élections, nous avons voulu créer un front étudiant avec des demandes claires, ce qui manquait à la thaoura », poursuit la jeune femme. Pour les membres du club, ces élections sont le début « d’un soulèvement étudiant » qui a pour ambition de créer une nouvelle force contre la classe politique. Leurs demandes : un État laïc, démocratique et décentralisé qui ne soit pas entre les mains des milices et soit doté d’une législation défendant les droits des citoyens (femmes, réfugiés, étrangers…). « Nous sommes radicaux, affirme Ali. Nous voulons une séparation entre l’État, d’une part, et la religion et les identités sectaires, d’autre part. » Des demandes qui étaient déjà celles des mouvements estudiantins dans les années 1970.

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Lorsque les étudiants indépendants décortiquent leurs objectifs et leurs espoirs

« Le soulèvement et la crise économique ont permis aux Libanais de réaliser que le système politique ne fonctionne pas », poursuit Ali. « Avant, les étudiants craignaient de nous rejoindre par peur de perdre leurs privilèges. Maintenant, ce sont les membres des partis traditionnels qui ont honte. » Communistes, hippies, agents de la CIA, pro-Hezbollah… : lors des élections, « les clubs laïcs de l’USJ et de l’AUB font face à de nombreuses campagnes de décrédibilisation », dit Ibrahim Zaraket, ancien membre de Change Starts Here (groupe d’indépendants à l’AUB qui a obtenu 6 sièges sur 19 cette année). Ils sont aussi physiquement attaqués par les partis. « Un jour, alors que nous prenions une photo devant un bâtiment de l’AUB, des membres du Hezbollah nous ont poussés dans les escaliers, assure Lara. Plus notre influence s’est amplifiée, plus nous avons été la cible d’attaques. »

« Nous ne sommes pas encore un parti, mais nous aspirons à l’être »

Les clubs laïcs sont critiqués par leurs adversaires pour leur entrisme. « Ils sont renfermés, ils ne discutent pas avec d’autres partis politiques », avance Ibrahim Zaraket. En réponse à ces accusations, Aya Bou Saleh affirme que les partis politiques auront une place dans le conseil des étudiants proportionnellement au nombre de votes qu’ils ont obtenus. « Nous voulons les combattre, mais ça ne veut pas dire que nous renions leur existence. Ils représentent des étudiants tout de même », ajoute Lara Sabra.

L’autre reproche qui leur est le plus souvent fait est leur manque de véritable projet politique. « Ils n’ont pas de plan et tous les membres n’ont pas la même vision », estime Mohammad Mansour, membre des Kataëb. « Ils ont gagné car les étudiants ont suivi la mode du “Kellon, yaani kellon” sans prendre en considération les compétences requises pour le poste », ajoute-t-il. Pour Aya, le pluralisme des clubs « est ce qui fait, au contraire, leur force ». « Nous avons des membres de droite et de gauche, il n’y a pas de dogmatisme. » S’ils ne sont pas toujours d’accord sur le modèle économique qu’il faudrait adopter, ils se retrouvent dans leur approche progressiste de la société et leur opposition aux armes du Hezbollah : « L’État doit être souverain », martèle Lara. Leur combat prioritaire désormais ? Protester contre la décision de l’AUB de faire payer les frais universitaires au taux de 3 900 livres libanaise pour 1 dollar à partir du semestre du printemps. « C’était attendu, mais cette décision est très décevante et montre du mépris. Certains étudiants vont être contraints de quitter l’université. En plus, même si le président assure avoir discuté de cette hausse des frais avec des représentants des étudiants, cela est faux. Il n’y a eu aucune discussion », affirme Lara, qui précise que la première action du club sur ce dossier aura lieu samedi.

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S’il a le vent en poupe, le club laïc est toutefois concurrencé au sein même de ce que l’on appelle le mouvement indépendant. Plusieurs groupes ont vu le jour, comme « Change Starts Here » à l’AUB, mettant en avant le besoin de diversité au sein de l’opposition. « Cela est positif car ça permet d’élever le débat lors des campagnes estudiantines. J’aspire à vivre dans un pays où on peut avoir un débat entre la droite et la gauche, et non pas en fonction des communautés », explique Aya. « Nous ne nous opposons pas simplement aux partis politiques, nous représentons une alternative progressiste », affirme Lara.

Leur ambition principale est aujourd’hui de créer un contrat entre les étudiants et les universités pour pouvoir faire partie du processus de décision. La prochaine étape ? : « Nous sommes un mouvement. Nous ne sommes pas encore un parti mais aspirons à l’être. C’est ce que les étudiants attendent de nous », affirme Aya.

Au départ, il s’agissait d’une « idée folle » partagée par huit personnes. Nous sommes en 2008, et la scène politique estudiantine est ultradominée par les partis, divisée entre les camps du 8 et du 14 Mars. Pour faire émerger une troisième voix, des étudiants décident de créer un club laïc à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). C’est le début d’une...

commentaires (1)

Nous avons la version des laïcs quant à leur aspirations. Mais qu’en est il en version journalistique. Qui sont ces gens là et de quel bord penchent ils? Nous ignorons tout d’eux.

Sissi zayyat

16 h 07, le 10 décembre 2020

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Commentaires (1)

  • Nous avons la version des laïcs quant à leur aspirations. Mais qu’en est il en version journalistique. Qui sont ces gens là et de quel bord penchent ils? Nous ignorons tout d’eux.

    Sissi zayyat

    16 h 07, le 10 décembre 2020

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