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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Sissi à Paris, ou le retour de la lune de miel

Au-delà de la visite du président égyptien, attendue depuis plusieurs jours, c’est surtout le changement de ton du président français sur le dossier des droits de l’homme qui a été remarqué.


Sissi à Paris, ou le retour de la lune de miel

Le président français, Emmanuel Macron, et son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, au terme de leur rencontre au palais de l’Élysée, le 7 décembre 2020. Gonzalo Fuentes/Reuters

Pas de prise de risque pour cette première journée. Plutôt un retour à la normale : finis les grands discours sur les droits de l’homme. La visite parisienne du président égyptien se poursuit aujourd’hui avec une seconde journée. Abdel Fattah al-Sissi est attendu à l’arc de triomphe pour un dépôt de gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, avant de rencontrer le Premier ministre, Jean Castex, et le président du Sénat, Gérard Larcher. Mais la journée d’hier a d’ores et déjà donné le ton.

Reçu en grande pompe, l’homme fort du Caire s’est entretenu hier matin à l’Élysée en tête à tête avec son homologue français, Emmanuel Macron, avant de rencontrer le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, et la maire de Paris, Anne Hidalgo. Après avoir mentionné les principaux dossiers d’intérêts communs, comme la situation en Libye, au Liban, le conflit israélo-palestinien ou la lutte antiterroriste, les deux chefs d’État se sont attardés hier lors d’une conférence de presse conjointe sur la volonté d’étendre les domaines de coopération en matières commerciale, culturelle, touristique ou de développement.

Un « partenariat stratégique » présenté comme une contribution « à la stabilité régionale face aux nombreux défis » afin de « construire un espace de civilisation où il n’y a pas de place pour les condamnations à mort et les discours de haine quand s’exprime simplement la liberté », a déclaré M. Macron, alors que la France a fait récemment l’objet de nombreuses critiques dans le monde arabe et musulman suite à la republication par Charlie Hebdo des caricatures du prophète Mahomet.

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Mais c’est surtout sur la question des droits de l’homme que les deux présidents étaient attendus. Pendant que les drapeaux égyptiens flottaient sur la place des Invalides, à Paris, de nombreuses voix se sont élevées hier pour dénoncer le « tapis rouge » déroulé en l’honneur du président égyptien. Ce dernier est sous le feu des critiques pour sa dérive autoritaire depuis son arrivée à la présidence en 2014. Début décembre, une vingtaine d’ONG avaient appelé les autorités françaises à passer à l’action en faisant pression sur le gouvernement égyptien afin de mettre fin aux violations systématiques en matière de droits de l’homme, et notamment en libérant les quelque 60 000 prisonniers politiques détenus dans les geôles égyptiennes.

Refermer la parenthèse de 2019

Sur ce point, Paris sait pourtant devoir composer avec les sensibilités du Caire. La rencontre intervient un peu moins de deux ans après l’entrevue de janvier 2019. En visite dans la capitale égyptienne, Emmanuel Macron avait alors risqué un discours ouvertement critique envers son homologue, coûtant à la France près de deux ans de bouderie de la part du Caire et l’annulation presque immédiate de juteux contrats. Plusieurs mois d’efforts diplomatiques auront été nécessaires pour préparer le sommet actuel, qui semble inaugurer un nouveau chapitre, moins frontal, entre les deux pays. Sans surprise, le président français a donc adopté un ton plus conciliant sur le dossier des droits humains, abordé « comme on le fait entre amis, en toute confiance », a déclaré Emmanuel Macron. « Une société civile active reste le meilleur rempart contre l’extrémisme », a-t-il ajouté, tout en saluant la libération annoncée jeudi des trois responsables égyptiens de l’ONG EIPR (Egyptian Initiative for Personal Rights), arrêtés en novembre.

Face aux timides allusions du président français, M. Sissi a pris la parole afin de démentir les accusations. « Il existe 55 000 organisations de la société civile en Égypte, elles réalisent une partie importante du travail national et sont autorisées à travailler ! » a lancé M. Sissi. « C’est comme si vous disiez que nous ne respections pas nos sociétés, ou comme si nous étions des leaders violents », a-t-il ajouté. Le constat du président égyptien contredit celui des ONG qui dénoncent une dégradation inédite de la situation au cours des dernières années. Mais malgré l’escalade répressive, Emmanuel Macron s’est montré hier considérablement plus pondéré sur le sujet – là où il déclarait, en 2019, que la paix et la stabilité de l’Égypte ne sauraient se faire au détriment des libertés publiques. « Il n’a gardé que les éléments de langage : un petit laïus discret, mais l’ensemble a perdu en importance », remarque Stéphane Lacroix, docteur en sciences politiques (Sciences Po) et chercheur au Centre de recherches internationales (CERI). « Macron est prêt à sacrifier la rhétorique sur les droits de l’homme pour quelques gains immédiats de realpolitik », en conclut ce dernier.

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Ce qui a changé depuis ? « La rivalité franco-turque », estime Stéphane Lacroix. « Elle a pris le devant dans l’agenda de Macron », qui « en a fait une affaire personnelle » dans la mesure où « Sissi est vu comme un allié contre Erdogan, certes un allié un peu embarrassant », observe le chercheur. Le président français a donc exclu toute possibilité de conditionner les contrats bilatéraux à la situation interne en Égypte, notamment à une possible libération des prisonniers politiques.« Ce n’est pas surprenant. Ce qui l’est, c’était plutôt l’inhabituelle offensive de janvier 2019 », estime Stéphane Lacroix. Un tournant opéré notamment sous le leadership du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Alors qu’il était encore ministre de la Défense, ce dernier a été l’architecte, dès 2015, d’une nouvelle relation privilégiée en matière d’armement avec l’Égypte. « Les intérêts économiques en termes d’armement guident aujourd’hui les positionnements de Paris, de sorte que le ministre des Affaires étrangères ne fait pas de diplomatie, ou seulement de la diplomatie économique et militaire », analyse Stéphane Lacroix.En revenant à cette approche, Emmanuel Macron referme donc la parenthèse ouverte en 2019. Et opère ainsi un retour à sa ligne originelle, celle qu’il affiche dès 2017, lorsqu’il reçoit quelques mois après son élection le président égyptien, sous le signe « du respect de la souveraineté » de chacun.

L’étonnant échange Macron-Sissi

La conférence de presse des deux chefs d’État hier à Paris touchait à sa fin quand un journaliste égyptien interpelle le président français sur les caricatures de Mahomet. « Les musulmans ont été blessés par les caricatures du Prophète. Je ne crois pas qu’on ait entendu des excuses », lui lance le journaliste. Les deux hommes remettent leurs oreillettes. Et saisissent l’occasion pour un échange direct, courtois mais ferme, sur la hiérarchie entre la religion et les lois. Un dialogue rarissime dans ces exercices diplomatiques convenus, qui fait écho au projet de loi français contre le « séparatisme » islamiste et pour le respect des lois républicaines.

« Les valeurs religieuses doivent avoir la suprématie sur les valeurs humaines », a affirmé le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. « La valeur de l’homme est supérieure à tout », lui a répondu Emmanuel Macron lors d’un échange politico-philosophique en conférence de presse. Emmanuel Macron avait auparavant remercié le président Sissi, accueilli en grande pompe, pour avoir soutenu la France contre la virulente campagne de haine internationale dont elle a été la cible pour avoir défendu le droit à la caricature. Prenant la parole, Emmanuel Macron répète que les caricatures sont l’expression d’une presse libre et non un message de la France aux musulmans.

Pas de prise de risque pour cette première journée. Plutôt un retour à la normale : finis les grands discours sur les droits de l’homme. La visite parisienne du président égyptien se poursuit aujourd’hui avec une seconde journée. Abdel Fattah al-Sissi est attendu à l’arc de triomphe pour un dépôt de gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, avant de rencontrer le Premier...

commentaires (3)

En d'autres temps, pour vendre quelques avions de combat et autres armes, on déroulait le tapis rouge à Bachar El Assad et à Khadafi (ce dernier a même eu le droit d'installer une tente en plein Paris !) Aujourd'hui, c'est le tour de Sissi Imperator, qui a en plus le culot de déclarer dans la conférence de presse avec Macron que la Loi de Dieu est supérieure à celle des hommes !!! Et balaie d'un revers de main les dizaines de milliers d'opposants emprisonnés sans jugement... A propos, il compte les payer comment, ses joujoux guerriers ? En creusant un peu plus la dette colossale de la France ??

DM

20 h 09, le 08 décembre 2020

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Commentaires (3)

  • En d'autres temps, pour vendre quelques avions de combat et autres armes, on déroulait le tapis rouge à Bachar El Assad et à Khadafi (ce dernier a même eu le droit d'installer une tente en plein Paris !) Aujourd'hui, c'est le tour de Sissi Imperator, qui a en plus le culot de déclarer dans la conférence de presse avec Macron que la Loi de Dieu est supérieure à celle des hommes !!! Et balaie d'un revers de main les dizaines de milliers d'opposants emprisonnés sans jugement... A propos, il compte les payer comment, ses joujoux guerriers ? En creusant un peu plus la dette colossale de la France ??

    DM

    20 h 09, le 08 décembre 2020

  • Il a raison le président SISSI: Des milliers d’organisations sociales / ONG travaillent paisiblement et en toute liberté. On rappelle qu’en Egypte les frères musulmans et l’extrême-gauche anarchiste sont de vrais fléaux. Les droits de l’homme version occidentale NE PEUVENT PAS être appliqués dans ces pays arabes. Les droits de l’homme sont accompagnés par l’acceptation de la liberté d’expression PAR LE PEUPLE. Or on a bien vu... les populations arabes ne conçoivent pas un avis qui diffère du leur ( caricatures) . Donc les droits de l’homme NE PEUVENT PAS être appliqués à des mentalités pareilles. SISSI le sait. Droits de l’homme ca va dans les 2 sens.

    LE FRANCOPHONE

    10 h 32, le 08 décembre 2020

  • Il y a quelques années c’est Bashar qui était reçu en grandes pompes à Paris. Comme quoi ça ne lui a pas réussit...

    Gros Gnon

    08 h 21, le 08 décembre 2020

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