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Culture - Art Online

Aia Atoui et Anthony Sahyoun, entre « Fantôme de l’Opéra » et opéra fantôme

Depuis quelques jours, « Chabah el-rih », l’installation visuelle et sonore de ce duo d’artistes, hante la plate-forme de vidéos en ligne Nowness. Et ressuscite le spectre du Grand Théâtre de Beyrouth.

Aia Atoui et Anthony Sahyoun, entre  « Fantôme de l’Opéra » et opéra fantôme

« Chabah el-rih », ou le fantôme réanimé du Grand Théâtre de Beyrouth.

Ils ont élaboré leur création visuelle et sonore au cœur d’un bâtiment désaffecté emblématique de l’âge d’or du Liban et de… sa révolution d’octobre 2019. Ce Grand Théâtre des mille et une nuits de Beyrouth, haut lieu de la culture et des spectacles d’avant-guerre, qui avait été abandonné lors de l’irruption de la guerre civile et interdit d’accès depuis des décennies, s’était brièvement réanimé lors des manifestations de l’automne dernier. Rongé par le pourrissement, oublié de la population comme des politiques (dont les luttes magouilleuses pour s’en emparer n’avaient, pour une fois, pas abouti), il avait repris un semblant de vie lorsque, forçant ses barricades aux premiers jours du soulèvement populaire, les jeunes manifestants y avaient pénétré aussi éblouis par ses vestiges passés qu’heureux d’avoir reconquis ce bien public que leur avaient spolié les autorités. Leur prise de la Bastille en somme.

Cet épisode du mouvement de contestation d’octobre 2019 avait alors inspiré à la photographe plasticienne Aia Atoui et au musicien Anthony Sahyoun (qui aime bien se cacher sous le pseudonyme de Mme Chandelier) la conception d’une installation sonore et visuelle « destinée, indiquent-ils, aux citoyens libanais descendus revendiquer leurs droits sur la place publique ». Une expérience immersive d’un spectacle au sein de la fameuse salle d’opéra du bâtiment abandonné de la rue Riad el-Solh que ce duo de trentenaires désirait offrir en particulier à la jeune génération. Comme une invitation à s’engager dans le passé de la ville pour mieux envisager son avenir...

Le Grand Théâtre des mille et une nuits de Beyrouth, témoin de la guerre comme de la révolution d’octobre 2019. Photos DR

Réappropriation artistique des lieux publics

Réinventer le sentiment de citoyenneté en se réappropriant les lieux publics à travers l’art, utilisé comme un medium rassembleur et fédérateur, voilà ce qui sous-tend le projet de Atoui et Sahyoun. Lesquels réunissent aussitôt pour sa réalisation un groupe d’artistes de différentes disciplines (chanteuse lyrique, scénographe, graphiste, directeur de la photographie, monteurs de son et producteurs locaux) pour créer une performance autour de Liebestod, le dramatique aria final de l’opéra Tristan et Iseult de Wagner.

« Anthony et moi avons choisi cet air en particulier – qui signifie littéralement « mort d’amour » – parce qu’il résonnait avec notre situation au Liban de manière très symbolique, explique Aia Atoui. Iseult chante sur le cadavre de Tristan alors qu’elle assiste à sa résurrection. C’est en quelque sorte un nouveau cycle qui s’ouvre pour manifester leur amour l’un pour l’autre. Cela correspondait à notre ressenti, lorsqu’au plus fort de la révolution, les voix s’élevaient pour réclamer un nouvel ordre au Liban et que tout le monde espérait la résurrection du pays dans une ère nouvelle. »

« Chabah el-rih », une œuvre qui évoque les spectres du passé. Photo DR

Ce paradigme de la beauté et du chaos…

Baptisée Chabah el-rih (Le fantôme du vent), l’œuvre qu’ils préparent est composée donc de cet aria retravaillé sur synthétiseurs spécifiques, couplé d’une mise en scène d’images, et de performances spectrales et vaporeuses censées convoquer les fantômes du passé de ce lieu témoin de l’âge d’or du pays du Cèdre. Sauf que de nombreux obstacles techniques et administratifs vont ralentir la réalisation de ce projet. Sans compter l’irruption de l’épidémie de Covid-19 qui, en empêchant désormais les rassemblements, va le vider de sa substance. Qu’à cela ne tienne ! À défaut de pouvoir faire vivre in situ aux spectateurs leur narration sensorielle d’un fantôme hantant l’ancienne salle d’opéra de Beyrouth, les concepteurs décident d’en présenter une version filmée sur la plate-forme d’images vidéo Nowness.

Conçue donc au début de la révolution du 17 octobre 2019, Chabah el-rih est créée le 18 novembre 2020, un an jour pour jour plus tard, sous forme d’« opéra fantôme ». Une pièce d’une envoûtante noirceur à travers laquelle se déploient les talents d’un groupe de jeunes artistes, musiciens, designers, artisans et techniciens qui ont montré leur capacité à récupérer et réutiliser les espaces dévastés par la guerre et la tragédie libanaise, pour en faire des lieux d’art et de mémoire.

« Ce film n’essaie pas de dépeindre une lueur d’espoir, affirment Atoui et Sahyoun. Il ne fait qu’exposer la condition perpétuelle dans laquelle vivent les Libanais : ce paradigme de la beauté et du chaos, de ce qui est et de ce qui aurait pu être… »

Comme une fantaisie qui se noie dans une mer de tristesse, en somme.

Une œuvre conjuguant plusieurs talents
Outre Aia Atoui, à l’origine de la conception de cette installation, et Anthony Sahyoun, alias Mme Chandelier, qui en a signé la musique, plusieurs artistes de différentes disciplines ont conjugué leurs talents dans Chabah el-rih. Dont, entre autres, la soprano Mona Hallab, le scénographe Whard Sleiman, la designer graphique Tulip Hazbar, le créateur du son Jad Ataoui et le directeur de la photographie Nader Bahsoun.
Ils ont élaboré leur création visuelle et sonore au cœur d’un bâtiment désaffecté emblématique de l’âge d’or du Liban et de… sa révolution d’octobre 2019. Ce Grand Théâtre des mille et une nuits de Beyrouth, haut lieu de la culture et des spectacles d’avant-guerre, qui avait été abandonné lors de l’irruption de la guerre civile et interdit d’accès depuis des...

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