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Lifestyle - La Mode

Avec « Li Beirut », Loubnan Mahfouz livre une collection comme un baume

C’est à 14 ans que ce jeune trentenaire découvre que sa passion pour les arts peut se traduire dans la mode. Dès lors, Loubnan Mahfouz se projette styliste, entre à ESMOD Beyrouth comme on entre en religion et en sort avec une envie de conquérir le monde qui le conduira de Turquie, en Inde et en Chine avant de le ramener, rassasié et convaincu, « à la maison ».

Avec « Li Beirut », Loubnan Mahfouz livre une collection comme un baume

Une longue plage de désarroi, presque de désespoir, et en tout cas d’ennui. Que faire, quand on est créateur de mode, dans un Liban en déliquescence, et dont l’effondrement qui plus est s’inscrit dans un effondrement mondial ? Peinée de voir son fils dans cet état de prostration, la mère de Loubnan Mahfouz lui rappelle cette précieuse citation de Meryl Streep aux Golden Globes, rappelant aux artistes la chance qu’ils ont de posséder en eux le pouvoir de s’extraire de toutes les dépressions : « Take your broken heart, make it into art  » : Prends ton cœur brisé, transforme-le en art. Cette dynamique commençait à peine à faire son chemin en lui quand advint la double explosion de Beyrouth. Brisé, moulu, réduit en cendre, comment le ramasser, ce cœur dont il ne reste rien ? Comme chacun au Liban, Mahfouz ressasse, revoit les images ad nauseam, prend l’explosion en lui, sur lui, l’intègre, la désintègre, l’habite, s’en laisse hanter dans l’espoir de la domestiquer, de pouvoir enfin vivre avec. Dans l’une des étapes de ce deuil, il essaie même de l’extraire de son contexte, d’y voir de la beauté, une certaine innocence. Il partage avec son entourage une dissection qu’il a faite, à froid, croit-il, des couleurs du panache. Une palette Pantone de noir, de bleus, de beiges, de rouges, de vert sale, de vermillions éclatants. Autour de lui on proteste : on ne peut pas romancer une telle horreur. Mais Loubnan ne voit plus d’autre issue pour s’en sortir. C’est sa manière à lui de surmonter l’insurmontable.

Stocks morts et couleurs vives

Il va tenter la collection de la dernière chance. Écumant les stockistes, il trouve exactement ce qu’il lui faut : une collection d’invendus en souffrance, de stocks morts reflétant parfaitement les nuances qu’il recherche. Les matériaux, de très belle qualité, correspondent à tout ce qu’exige sa génération en termes de protection de l’environnement et de durabilité : recyclés, ils comptent entre autres plusieurs métrages de cuir végétalisé italien. Il a déjà en tête les formes et les coupes qui vont aller avec cette époque étrange. Il va recycler dans des matières différentes des modèles déjà éprouvés, qui dorment dans ses cartons. Des gilets multipoches, des sahariennes, des pantalons bouffants, confortables, des impers protecteurs, des silhouettes fluides qui laissent au corps sa liberté de mouvement.

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Il se lance alors avec acharnement dans la seule opération qui puisse lui vider la tête et le protéger de la folie : créer cette collection dans le cocon de son atelier, à l’abri du monde, des informations, de tout ce qui se passe au dehors. Quand il en émerge, pour une fois, il ne ressent pas cette obsession de tout créateur de mode à la veille de sortir une collection : il n’a pas peur de l’accueil du public. Il lui est égal de vendre ou pas. Les sommes investies peuvent aller à perte, tant que tout semble perdu sauf sa santé mentale. « Cette collection a été ma thérapie. Sans cela, cet investissement aurait servi à payer mon internement dans une maison de santé », affirme le créateur.

Collection « Li Beirut » de Loubnan Mahfouz pour Perverse. Photos Tarek Moukaddem

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Dès lors, pour filmer et photographier le produit de ce long cheminement, Mahfouz décide de demander à ses amis de jouer les modèles : Christelle Bardawil, Hadi Chamseddine, Jules Eid, Joe Mehanna, Marta Yaghi… Il invite d’autres créateurs à émailler ses silhouettes : Hazem Haddad pour les chaussures, les Mukhi sisters pour les bijoux. Tarek Moukaddem prendra les photos, Patrick Sawaya tournera le film, ou plutôt la mise en atmosphère de cette ligne particulière. Il y aura ce moment où Mahfouz écumera les terrains vagues et les friches en bord de corniche en quête de mauvaises herbes et d’orge sèche. Les quarante-cinq pièces ainsi mises en scène vont célébrer non seulement la ville en son « point mort », mais également la vitalité de la marque de Mahfouz, Perverse, qui fête sa cinquième année d’existence et sa dixième collection. Sans doute celle de la maturité.

Collection « Li Beirut » de Loubnan Mahfouz pour Perverse. Photos Tarek Moukaddem

Au chevet de Beyrouth

De la Turquie où il a fait ses armes auprès d’une marque de caftans, à l’Inde où il a travaillé dans l’industrie textile, à la Chine qu’il a sillonnée d’ouest en est et où il a laissé une vraie famille de producteurs qui l’a traité comme un fils, Loubnan Mahfouz mesure aujourd’hui la distance parcourue dans un métier qui a toujours été son évidence, avec ce choix risqué entre tous : s’établir au Liban. « Tout est parti de rien, je n’ai pas d’investisseur, Beyrouth m’a appris à compter sur moi-même, m’a fait ce que je suis », affirme-t-il. Voilà pourquoi sa collection est dédiée à sa ville meurtrie, avec ce titre qui depuis des semaines court de lèvres en lèvres : Li Beirut. « J’aime ce pays, j’aime Beyrouth, c’est mon identité, c’est la chair de ma marque. Mon marché, c’est ma génération, ajoute-t-il. J’ai décidé de vivre ici, après avoir pour un temps songé à repartir. Je sens que je veux rester ici, donner ce que je peux, même dans des circonstances difficiles. Cette collection t’est dédiée, Beyrouth. Elle est pour toi, Beyrouth, je veux rester à ton chevet. »

Une longue plage de désarroi, presque de désespoir, et en tout cas d’ennui. Que faire, quand on est créateur de mode, dans un Liban en déliquescence, et dont l’effondrement qui plus est s’inscrit dans un effondrement mondial ? Peinée de voir son fils dans cet état de prostration, la mère de Loubnan Mahfouz lui rappelle cette précieuse citation de Meryl Streep aux Golden...

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