Ce serait une visite sans précédent pour un Premier ministre israélien. Dimanche, Benjamin Netanyahu et le chef du Mossad Yossi Cohen ont effectué un déplacement en secret en Arabie saoudite pour y rencontrer le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane et le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, selon des sources israéliennes. Alors que l’information a d’abord fuité dans la presse israélienne hier matin, le ministre israélien de l’Éducation nationale Yohav Gallant a fini par la corroborer du bout des lèvres dans la journée. « Le simple fait que cette réunion ait eu lieu, et qu’elle ait été rendue publique, même si elle n’est confirmée qu’à moitié, est de la plus haute importance », a-t-il déclaré au micro de la radio de l’armée israélienne. Si des rencontres en coulisses ont déjà eu lieu entre l’État hébreu et le royaume wahhabite, il s’agit de la première fois qu’une rencontre avec des responsables du plus haut niveau est dévoilée.
Hier, le quotidien israélien Haaretz faisait état d’un vol direct « rarissime » dimanche, aux alentours de 19h30, depuis Tel-Aviv vers la ville saoudienne de Neom. Située dans le nord-est du royaume, cette mégalopole du futur est le projet phare du plan de réformes sociales et de diversification économique baptisé Vision 2030, dévoilé par MBS en 2016. Le choix de ce lieu pour une telle rencontre vise à mettre en avant les avancées effectuées par le royaume, qui ambitionne d’être à la pointe de la technologie et du développement d’ici à dix ans, et d’attirer les investisseurs. L’avion de Benjamin Netanyahu serait resté cinq heures au sol avant de repartir en Israël. Interrogé hier au Parlement au sujet de son voyage par un membre de son parti, le Premier ministre israélien a répondu en lançant : « Êtes-vous sérieux ? Je n’ai jamais commenté ce genre de choses »
Côté saoudien, le ministre des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane, est finalement monté au créneau hier en début d’après-midi pour démentir la nouvelle. « J’ai vu des informations de presse concernant une prétendue rencontre entre le prince héritier et des responsables israéliens lors de la récente visite de Mike Pompeo. Aucune réunion de ce type n’a eu lieu. Les seuls responsables présents étaient américains et saoudiens », a-t-il déclaré sur Twitter. Deux conseillers saoudiens du gouvernement ont néanmoins confirmé la rencontre entre Netanyahu et MBS au Wall Street Journal.
Le démenti de Fayçal ben Farhane semble montrer un certain embarras du côté de Riyad, gardien des lieux saints musulmans et longtemps en première ligne de la défense de la cause palestinienne. Malgré les gestes effectués notamment sur le plan médiatique et culturel ces dernières années pour ouvrir les discussions sur un potentiel rapprochement avec l’État hébreu, la question divise l’establishment du royaume et reste sensible pour une partie de la population saoudienne et dans la région. Inédit, le déplacement de Benjamin Netanyahu pourrait amorcer un changement drastique dans les relations entre les deux pays. Si le contenu de la rencontre n’a pas filtré, les propos sur Twitter d’un des proches conseillers du Premier ministre israélien, Topaz Luk, ont contribué à alimenter davantage encore les spéculations sur une normalisation imminente entre le royaume wahhabite et Israël. « (Le vice-Premier ministre israélien Benny) Gantz fait de la politique pendant que Netanyahu fait la paix », a-t-il écrit en hébreu hier matin, s’en prenant au passage aux actions du rival du chef du gouvernement israélien sur la scène interne. Gantz, également ministre de la Défense, a annoncé hier la création d’une commission gouvernementale chargée d’enquêter sur l’affaire de la vente de sous-marins allemands à Israël dans laquelle sont visés des proches de Benjamin Netanyahu.
Coup de force diplomatique
La visite de Netanyahu en Arabie saoudite intervient en outre au moment où Mike Pompeo effectuait la dernière étape de sa tournée d’adieu au Moyen-Orient pour renforcer le front anti-iranien et solidifier les accords de normalisation entre Israël et les pays du Golfe. Le démocrate Joe Biden, qui doit prendre les rênes de la Maison-Blanche en janvier, devrait adopter une approche plus modérée à l’égard de Téhéran, renouer avec les outils diplomatiques sur le dossier israélo-palestinien et opter pour un discours plus ferme envers les autocrates de la péninsule Arabique – ces mêmes autocrates sur qui Donald Trump avait tout misé pour contrer l’expansionnisme iranien dans la région.
Alors que le temps lui est compté, l’administration américaine sortante, profondément pro-israélienne, s’active pour placer ses derniers pions dans la région avec l’intensification des sanctions contre la République islamique et pour faire ses derniers cadeaux à l’État hébreu, à l’instar de la tournée de Mike Pompeo dans une colonie de Cisjordanie et sur le plateau du Golan la semaine dernière – une première pour un secrétaire d’État américain.
Si Donald Trump peut déjà se targuer d’avoir réalisé un coup diplomatique face à l’Iran avec la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan au cours de ces trois derniers mois, son administration espère notamment voir Oman et l’Arabie saoudite leur emboîter le pas avant son départ du bureau Ovale. « Je suis très confiant sur le fait que d’autres nations se joindront à ce que les Émiratis, Bahreïnis et Soudanais ont fait et reconnaîtront la juste place d’Israël parmi les nations », a confié Mike Pompeo au cours d’un entretien exclusif accordé à la chaîne saoudienne al-Arabiya dimanche. « Ils le feront parce que c’est la bonne chose à faire pour leur nation, car cela contribuera à une plus grande prospérité et sécurité pour leur pays », a-t-il ajouté.
Alors que l’arrivée de Joe Biden ne constitue pas une bonne nouvelle pour MBS, sous le feu des critiques surtout dans les rangs démocrates depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en 2018, un rapprochement entre le royaume et l’État hébreu pourrait se révéler utile pour gagner des points auprès du Congrès américain et se positionner comme un acteur incontournable dans la lutte contre Téhéran.
Une voie que le prince héritier saoudien serait tenté de prendre, mais qui se heurte au veto de son père, le roi Salmane, attaché à l’initiative de paix arabe de 2002. « Nous soutenons la normalisation avec Israël depuis longtemps », a souligné samedi Fayçal ben Farhane lors d’un entretien avec Reuters en marge du G20, qui s’est tenu virtuellement ce week-end sous la présidence de Riyad. « Mais une chose très importante doit d’abord arriver ; et c’est un accord de paix permanent et global entre les Palestiniens et les Israéliens, y compris l’établissement d’un État palestinien dans (le cadre des) frontières de 1967 », a-t-il tenu à rappeler.
Ils sont forts les sionistes . Le Liban n'a rien compris
21 h 42, le 11 décembre 2020