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Culture - Rencontre

Amal Mogaizel et la chasse aux démons de la guerre

« Le Liban, l’épreuve du chaos », son récent documentaire, est diffusé sur Arte ce soir mardi 17 novembre. La journaliste, reporter et écrivain lance encore une fois un aveu d’amour à son pays avec lequel elle vit un véritable tiraillement.

Amal Mogaizel et la chasse aux démons de la guerre

Amal Mogaizel dans les rues de Beyrouth, sur le tournage d’un documentaire.

Elle aurait pu se contenter de mots en écrivant des romans comme Passage du musée (Nil éditions) ou Le Ciel m’attendra (éd. Florent Massot) avec May Chidiac et d’autres encore, mais comment exorciser, à travers l’écriture, toute cette peur qui lui cisaille les entrailles ? Comment chasser tous ces fantômes qui ont hanté son adolescence alors qu’elle avait vécu une enfance rêvée par tous ? Ou déverser tous ces sanglots contenus ?

Ou encore oublier les êtres chers morts ou disparus durant la guerre et tenter de cicatriser cette douleur ?

Les mots seuls n’auraient certainement pas suffi. Il fallait une plongée abyssale dans le quotidien, le vécu pour créer des impressions sur image et faire jaillir d’un seul coup, tel un geyser, toutes ces émotions enfouies. C’est ce que fit Amal Mogaizel.


Les silos éventrés du port de Beyrouth vus du ciel : une image tirée du documentaire d’Amal Mogaizel « Le Liban, l’épreuve du chaos ». Photos DR


Un questionnement perpétuel

Née de parents juristes mais surtout « justes », Laure et Joseph Mogaizel, elle ne pouvait qu’empoigner la caméra pour aller en quête de la vérité et de la justice, faisant fi des risques encourus. La rue du Musée, lieu de son domicile et dont elle fera un roman éponyme quelques années plus tard, sera la scène d’affrontements et de batailles armées pendant la guerre civile libanaise. Adolescente, elle a ainsi vu, comme une plaie béante, le partage de son pays en lignes de démarcation et les murs érigés qui séparent les habitants d’une même nation. « Je suis une enfant de la guerre, répète-t-elle, et ça, ça ne peut jamais s’effacer. Au contraire, ce sentiment est ancré en moi et je suis restée toute ma vie avec cette angoisse qui me poursuit, qui me traque. C’est probablement pour cette raison que je suis devenue cinéaste. Pour exorciser toutes ces peurs et aller au-delà de ces craintes qui m’ont accompagnée durant plus de quinze ans. »

En 1981, Amal Mogaizel obtient un B.A. en mass media de l’Université américaine de Beyrouth, puis, deux ans plus tard, une licence de journalisme à l’Institut français de presse (IFP, Paris 2). Après un passage rédactionnel à L’Orient-Le Jour, elle devient durant sept ans correspondante pour le Moyen-Orient de Radio France, de La Croix-L’Événement. Malgré son attachement viscéral à son pays, la journaliste fait un jour ses valises et claque la porte de son cœur à un Liban qu’elle aime mais qui lui fait horriblement mal. La guerre était finie, mais « je ne pouvais imaginer avoir un jour un enfant dans ce pays et qu’il ait la même vie que moi ». Arrivée à Paris, Mogaizel ne prononcera plus son nom : elle parlera de son pays natal seulement à travers les images et les ouvrages.


Amal Mogaizel, journaliste, réalisatrice et écrivain à la recherche de la vérité et de la justice. Photo DR


Des mots et des images

Elle entame une collaboration avec les chaînes télévisées françaises qui se poursuit jusqu’à présent. Sur TF1, France 2, Arte, France 5 et Canal+, la journaliste montre du doigt les injustices. Fuir Paris, Les oubliés de l’histoire, L’attentat du Drakkar, mais aussi Les femmes kamikazes, Qui a tué Rafic Hariri ? Syrie, les enfants de la liberté… Des documentaires sur son pays mais également sur tout le Moyen-Orient : Syrie, Irak, Jordanie. Des films à caractère social sur la justice, les prisons, les enfants maltraités, les enfants de la guerre. Elle couvre aussi le conflit armé entre les Tamouls et les Cinghalais au Sri Lanka. « J’étais en perpétuel questionnement », dit-elle. Comme si tous ces voyages ou ces allers-retours la ramenaient toujours vers elle. Une constante recherche de soi. Heureusement que les chaînes télévisées lui commandent parfois des documentaires plus légers.

Pour mémoire

Amal Mogaïzel : profession reporter

Lorsque la révolution du 17 octobre éclate au pays du Cèdre, la réalisatrice se dit qu’il y a une occasion de renouveau, de renaissance ou même d’espoir. Elle balade sa caméra encore une fois et va à la rencontre des jeunes qui veulent reconstruire un autre Liban. « J’ai suivi tous les mouvements de jeunes qu’il y a eu dans le monde du Chili jusqu’au Liban et je me suis rendu compte que tous avaient les mêmes revendications. Ils en avaient assez de ces gens qui étaient au pouvoir depuis des décennies et réclamaient le départ de ces vieilles politiques verticales. C’était un phénomène commun à beaucoup de pays, dû principalement à la mondialisation. J’ai commencé à filmer dès le début de la révolution et j’ai gardé à la fin les personnes-clefs de la révolte avec leurs interventions ainsi que des figures artistiques, sociales, de la presse, comme l’écrivain Amin Maalouf, le psychiatre Chawki Azouri, les journalistes Albert Kostanian et Gisèle Khoury… » Dans les rues de Beyrouth, Amal Mogaizel va suivre des personnages auxquels tout citoyen peut s’identifier, les Libanais qui ont tissé cette révolution avec leurs espoirs. « Je ne voulais pas faire parler les leaders mais uniquement de simples citoyens très attachés au Liban et qui représentaient la problématique libanaise. J’ai pu couvrir également la période où la révolution s’est essoufflée et puis cette date dramatique du 4 août qui m’a blessée au cœur et au corps, comme tant de Beyrouthins. Ce 4 août qui nous a ramenés des années en arrière et qui a fait voler en éclats tous nos espoirs. »

Dans ce documentaire intitulé Le Liban, l’épreuve du chaos, Amal Mogaizel entreprend une démarche d’historienne, d’analyste et d’accompagnatrice de la voix du peuple. « Pourquoi un pays avec de tels atouts, avec tant de talent, vit-il un éternel naufrage ? » se demande-t-elle. Avec un travelling arrière, elle sonde les disparités, les complexités et les contradictions d’un pays qui, pour certains, serait un miracle, pour d’autres un échec, et finalement qui s’acharne à se piquer tel un scorpion avec sa queue. Avec elle, les vieux clichés tombent, les non-dits se dévoilent : « Et si dès le début, cette formule de la coexistence n’était pas viable ou était à double tranchant, comme l’évoquera l’académicien Amin Maalouf établi depuis presque 45 ans à Paris ? Peut-être que le ver était déjà dans le fruit depuis longtemps, reprend en écho la réalisatrice. C’est justement ce questionnement qui m’a poussée à faire ce film. » La documentariste, qui a le don de l’écoute et sait même faire parler les murs, apprécie le contact humain, la découverte de l’autre. « La réalité est toujours plus forte que n’importe quelle fiction, affirme-t-elle. Chaque personne est un roman, que serait le Libanais qui porte en lui tellement d’histoires ?

Dans tous les pays du monde, je me suis rapprochée d’un éventail de personnes que jamais je n’aurais connues si je n’avais pas la douceur de ma caméra. »

Être à l’écoute de l’autre et rencontrer la part humaine en lui. Tels sont les talents d’Amal Mogaizel qui s’est éloignée de son pays pour mieux l’aimer, le comprendre et en parler en images. « Grâce aux films, je n’ai plus subi ma vie, j’ai appris à la dessiner sans peur, en tirant de chaque être sa beauté. »

Elle aurait pu se contenter de mots en écrivant des romans comme Passage du musée (Nil éditions) ou Le Ciel m’attendra (éd. Florent Massot) avec May Chidiac et d’autres encore, mais comment exorciser, à travers l’écriture, toute cette peur qui lui cisaille les entrailles ? Comment chasser tous ces fantômes qui ont hanté son adolescence alors qu’elle avait vécu une enfance rêvée...

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