Comment le nom de Gebran Bassil s’est retrouvé dans une affaire de justice aux États-Unis ? C’est une histoire de disputes familiales, de bras de fer judicaire et de détention dans des conditions possiblement inhumaines qui débute au Mont-Liban et se poursuit, pour le moment, devant la cour de district en Floride où le chef du CPL est accusé « d’atteinte aux droits humains ».
Tout commence en 2015 par une affaire d’héritage familial. Lara Mansour, une Libano-Américaine qui réside en Floride, s’estime lésée par sa famille. Son père, Georges Mansour, aurait fait une procuration générale en faveur de sa mère deux jours avant son décès. Impossible selon sa fille, qui prétend qu’il n’était plus en possession de ses capacités mentales en raison de son état de santé défectueux et qu’en tout état de cause, il ne savait pas écrire. La jeune femme présente une plainte pour falsification devant le parquet d’appel du Mont-Liban. L’affaire traîne, la justice libanaise n’étant pas des plus rapides.
En mars 2018, le premier juge d’instruction du Mont-Liban, Ziad Mekanna, rend sa décision. Les rapports de médecins légistes indiquent que Georges Mansour jouissait de ses capacités mentales à la veille de sa mort. Des experts en écriture confirment que la signature de la procuration était bien la sienne. Déboutée, Lara Mansour ne compte pas pour autant en rester là. Elle interjette appel devant la Chambre de mise en accusation du Mont-Liban, avant de retourner aux États-Unis où elle intente une action pour falsification de documents contre le juge Mekanna. L’affaire commence à prendre des proportions importantes. Mais ce n’est que le début. Dans la foulée, elle porte plainte devant la justice américaine contre Salim Jreissati, ministre de la Justice à l’époque des faits, Samir Hammoud, alors procureur général près la Cour de cassation, et Ziad Abi Haïdar, procureur général près la cour d’appel du Mont-Liban. Elle leur reproche d’avoir « conspiré » pour lui ôter ses droits successoraux.
Toujours devant la justice américaine, elle met en cause sa famille et l’avocat de sa famille, Dany Macaron, ainsi que les acheteurs de biens-fonds ayant appartenu à son père. Tous sont accusés d’avoir entravé son droit à l’héritage.
La réponse libanaise ne se fait pas attendre. En février 2019, le premier juge d’instruction, Ziad Mekanna, lui intente une action pour diffamation et fabrication d’informations, suivie un mois plus tard d’une action similaire de l’avocat de la famille, Dany Macaron. Un mandat de recherche est émis contre elle. Lara et son époux, Élie Samaha, se rendent au Liban en avril 2019. La jeune femme est arrêtée à l’aéroport et placée en garde à vue sur ordre donné aux services de renseignements des FSI par l’avocat général près la cour d’appel de Beyrouth, Zaher Hamadé. Le lendemain, Élie Samaha est à son tour arrêté sur la base d’une action en diffamation présentée par sa belle-famille. Tous deux sollicitent leur avocat, Majed Bouez, proche du parti aouniste, qui avait pris en charge le dossier dès le recours en appel auprès de la chambre de mise en accusation. Lara et Élie Samaha seraient d’anciens partisans du CPL.
Magnitsky Act
Le couple est retenu en détention pendant une semaine. Dans des « conditions inhumaines », si l’on en croit les allégations faites devant le tribunal américain. Lara et Élie Samaha affirment avoir été emmenés dans une geôle souterraine sombre, sans avoir accès à la nourriture, à l’eau et aux médicaments. Ils assurent qu’ils ont été contraints d’abandonner les actions judiciaires en raison des tortures physiques et mentales qui leur ont été infligées. Lara aurait même été obligée de se dénuder devant les agents sécuritaires, et forcée de voir comment d’autres prisonniers se font torturer. Cette version des faits est démentie par leur propre avocat, Majed Bouez.
« L’ambassade américaine veillait à leur garantir de bonnes conditions de détention. Ils se faisaient livrer des plats cuisinés et communiquaient avec leurs téléphones portables », indique-t-il à L’OLJ. « Je suis resté en contact avec eux tout au long de leur incarcération qui a duré environ 8 jours », ajoute-t-il. L’Orient-Le Jour n’a pas été en mesure de contacter le couple libano-américain. Selon l’avocat, ils ont eux-mêmes voulu conclure un accord à l’amiable avec leurs adversaires, qui s’est traduit par un retrait mutuel des plaintes. Il affirme qu’en coordination avec leur avocat américain, ils lui auraient demandé de signer en leur nom un désistement devant notaire, que Lara, une fois libérée, a validé lors d’une audience devant le tribunal. Mais de retour aux États-Unis, Lara et Élie Samaha décident de s’adresser de nouveau à la justice, attaquant cette fois-ci Majed Bouez qu’ils accusent d’avoir retiré les actions judiciaires sans leur aval.
Et le couple n’en reste pas là. C’est au tour de Gebran Bassil et du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Peter Germanos, de s’attirer leurs foudres. Les époux Samaha leur intentent un procès devant la justice américaine, leur reprochant d’avoir ordonné, chacun de son côté, au service de renseignements des FSI la torture de Lara. Chacun des deux hommes est pourtant connu pour ne pas entretenir de bonnes relations avec ledit service. Côté libanais, les époux perdent leur pari. La chambre d’accusation du Mont-Liban confirme en juin dernier le jugement de Ziad Mekanna, classant sans suite la requête de Lara Mansour. Quant aux personnalités accusées d’avoir eu des agissements ayant favorisé la « torture », on attend de voir si elles seront mises hors de cause par le tribunal américain. Une source judiciaire indique que les poursuites contre deux d’entre elles, Samir Hammoud et Ziad Abi Haïdar, ont été abandonnées la semaine dernière.
Mais pour ce qui est du chef du CPL, l’affaire est encore en cours. Le 27 octobre dernier, Gebran Bassil a été sommé par la cour de district de répondre à une convocation en justice qu’elle lui avait adressée quelque temps auparavant. La sommation est intervenue dix jours avant l’annonce des sanctions américaines contre lui, décrétées le 6 novembre, sur base du Magnitsky Act. Cette loi qui porte le nom d’un symbole de la lutte contre la corruption, mort dans une prison russe en 2009, vise tout responsable dans le monde ayant porté atteinte aux droits humains et/ou ayant trempé dans des affaires de corruption. Le Trésor américain a justifié sa décision par le « le rôle joué par M. Bassil dans la corruption au Liban », sans pour autant faire référence à des atteintes aux droits de l’homme.
commentaires (11)
Tout à la fois pour Bassil. Tout est dévoilé à un rythme de plus en plus étouffant.
Esber
22 h 21, le 13 novembre 2020