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Moyen-Orient - Entretien

« La propagation du coronavirus a empiré au Moyen-Orient après le ramadan »

La docteure Rana Hajjeh, directrice de la gestion des programmes au sein du bureau pour la Méditerranée orientale de l’Organisation mondiale de la santé, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

« La propagation du coronavirus a empiré au Moyen-Orient après le ramadan »

Une femme portant un masque chirurgical longe une peinture murale sur la place de la Palestine à Téhéran, la capitale iranienne, 18 octobre 2020. Atta Kenare/AFP

Alors qu’aux premiers mois de la pandémie liée au coronavirus, le Moyen-Orient – à l’exception de l’Iran – semblait s’en sortir relativement mieux que la majeure partie du monde, la région est aujourd’hui durement touchée et la crise sanitaire y prend des proportions alarmantes, alors même que les États ne sont pas équipés pour y faire face. Pour l’heure, le Moyen-Orient comptabilise 52 851 décès et 2 299 676 cas. Les deux pays qui caracolent en tête du classement sont d’abord l’Iran avec plus de 30 000 morts, puis l’Irak avec plus de 10 000.

La docteure Rana Hajjeh, directrice de la gestion des programmes au sein du bureau pour la Méditerranée orientale de l’Organisation mondiale de la santé, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.

Quel bilan général peut-on établir de la propagation actuelle de l’épidémie au Moyen-Orient ?
La situation dans la région a empiré, bien qu’elle ait été au début de la crise sanitaire l’une des zones où la pandémie s’est étendue de manière relativement lente en comparaison avec le reste du monde. Mis à part l’Iran – l’un des épicentres de la propagation du coronavirus –, la région s’en sortait plutôt bien et son taux de contamination était l’un des plus bas. Cela a duré les trois ou quatre premiers mois et s’explique par le fait que les gouvernements ont mis en place des mesures très strictes concernant la mobilité et les voyages, fermé les frontières et imposé des confinements complets. Nous sommes dans une région où les choses ont bien fonctionné au départ pour diverses raisons. En partie parce que les pays ont rapidement fermé leurs frontières, en partie à cause de la démographie et du fait que nous sommes dans une région où la population est relativement jeune, et en partie parce que dans certains pays comme le Liban, la Jordanie et le Maroc, les mesures étaient vraiment appliquées de manière stricte et que les gens les prenaient au sérieux.

Mais après le ramadan et la multiplication des rassemblements, la situation s’est détériorée. Ces rassemblements ont sans doute constitué l’élément déclencheur, bien que nous ayons obtenu une réussite historique lorsque l’Arabie saoudite a décidé de limiter les déplacements pour le Hajj et la Omra. Cependant, d’autres pays tels que l’Iran ou l’Irak n’ont pas totalement stoppé les rassemblements religieux. Des événements tels que Achoura ou Arbaeen (Quarantième) ont encore attiré de grandes foules dans ces pays et ont pu amplifier la pandémie là-bas.

Au cours des trois derniers mois, lorsque ces pays ont commencé à ouvrir leurs frontières et leurs aéroports, le nombre de cas a commencé à augmenter en raison de deux facteurs principaux. D’une part, les gens ne respectent pas les mesures de base telles que porter des masques ou éviter les grands rassemblements. D’autre part, les gouvernements n’ont pas la capacité d’appliquer ces restrictions. Si vous regardez le Liban, même si les autorités interdisent les rassemblements, les gens ne respectent pas cela et vous avez de grands mariages, des fêtes, etc. En Jordanie, ce genre d’événements a été un facteur majeur dans l’augmentation des cas, alors que le pays était celui avec le nombre de contaminations le plus bas au début, car les autorités ont été très strictes dans la mise en œuvre des mesures.

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Comment expliquer les chiffres existants et la disparité entre les pays ?
Pour comprendre la situation dans les différents pays de la région, il faut prendre en compte la stratégie de test. Certains, comme le Liban, testent tout le monde, y compris les personnes asymptomatiques, tandis que d’autres pays, comme la Syrie ou encore la Libye par exemple, n’ont pas la capacité de faire autant de tests et se concentrent sur le dépistage des personnes hospitalisées, signalant ainsi moins de cas. L’autre point à considérer est celui de la capacité des pays à faire face à la pandémie. Il faut souligner ici l’importance d’avoir des systèmes de santé solides afin de pouvoir gérer cette pandémie ainsi que les nombreuses autres urgences, mais aussi les services essentiels, primordiaux à la santé et au bien-être des personnes au-delà des seuls soins Covid-19.

Les chiffres concernant certains pays comme l’Égypte, la Syrie ou encore l’Irak sont-ils fiables ?
Nous examinons les cas signalés, mais cela varie beaucoup d’un pays à l’autre. Ce qui est important, c’est de regarder le pourcentage de tests qui sont réellement effectués et quels sont les critères de test. Dans certains pays, les personnes qui sont testées sont celles qui souffrent de maladies graves. Cela se produit par exemple en Égypte et en Syrie. Tous les pays n’ont pas les mêmes capacités pour supporter le poids du coronavirus. En Syrie et en Égypte, les tests ne sont pas nombreux et ont été limités. Ce n’est pas de la rétention d’information mais une sous-estimation du véritable fardeau de la maladie. Ils signalent ce qu’ils testent, mais ils ne testent pas suffisamment.

Habituellement, le taux de positivité doit être inférieur à 10 %. Dans certains pays, nous avons un taux de positivité de 15 % et plus, comme en Libye. Cela nous indique qu’ils ne testent pas suffisamment. Dans d’autres pays comme le Liban, les tests sont nombreux et le taux de positivité est inférieur à 5 %. Nous savons donc qu’ils testent suffisamment. Ces deux dernières semaines, trois pays ont représenté plus de 50 % des cas : l’Iran, l’Irak et le Maroc. Mais si vous regardez le taux de croissance le plus élevé, vous trouvez la Jordanie et le Liban. Tout dépend donc de combien vous testez.

Dans quelle mesure les pays du Golfe s’en sortent-ils mieux que les autres ?
Dans les pays du Golfe, les capacités sont plus élevées. Ils peuvent se permettre plus de tests et peuvent admettre et prendre soin de plus de gens dans les hôpitaux. Il faut aussi souligner que dans ces pays, les premiers cas sont apparus au sein des communautés migrantes qui vivent dans des conditions difficiles où il y a beaucoup de promiscuité. Mais leurs soins ont été entièrement couverts. Ils ont été soignés comme le reste de la population. Cela est notamment dû au fait que les autorités ont réussi à agir rapidement et à identifier l’environnement de la personne malade, à boucler la zone, etc. Cette stratégie du verrouillage partiel est l’une des plus efficaces. Au lieu de fermer tout le pays, vous ne bouclez que les zones touchées. Mais plus le nombre de cas augmente, plus cela est difficile.

Alors qu’aux premiers mois de la pandémie liée au coronavirus, le Moyen-Orient – à l’exception de l’Iran – semblait s’en sortir relativement mieux que la majeure partie du monde, la région est aujourd’hui durement touchée et la crise sanitaire y prend des proportions alarmantes, alors même que les États ne sont pas équipés pour y faire face. Pour l’heure, le Moyen-Orient...

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