… Et rebelote pour la futile politique politicienne et le règlement de comptes, au détriment d’un Liban qui s’enfonce dans l’effondrement, et d’un peuple meurtri par les crises quotidiennes ! Le chef de l’État Michel Aoun a reporté au jeudi 22 octobre les consultations parlementaires contraignantes en vue de nommer un Premier ministre. S’il n’est pas à même de remettre en question la candidature « naturelle » du leader du Futur Saad Hariri à la présidence du Conseil, ce geste ne peut que s’inscrire dans le cadre d’un rééquilibrage de la scène politique en faveur d’un camp bien déterminé, lequel n’en finit pas de poser des entraves au processus ministériel.
Au vu du contexte tendu dans lequel elle est intervenue, la décision du président Aoun semble étroitement liée à la position des deux partis chrétiens majoritaires, à savoir le Courant patriotique libre et les Forces libanaises, concernant la nomination du prochain chef du gouvernement. Contrairement à ce qu’aurait espéré le chef du courant du Futur, les FL et le CPL ont retiré à M. Hariri la couverture chrétienne requise pour former la nouvelle équipe. Il faut donc assurer « le climat propice » pour la nomination du chef du gouvernement désigné, comme le soulignent des sources proches de la présidence citées par notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid.
Mais pour plusieurs observateurs politiques, le report des consultations parlementaires par le président de la République serait lié à la volonté du chef du CPL, dont il est par ailleurs le beau-père, de se trouver au cœur des contacts menés dans la perspective de la formation du gouvernement, au même titre que le tandem Amal-Hezbollah, le binôme chiite étant même parvenu à bloquer les tractations pour satisfaire ses demandes. C’est ainsi que l’on pourrait interpréter la violente diatribe que M. Bassil a menée mardi contre M. Hariri, dans son discours à l’issue de la messe célébrée pour commémorer la bataille du 13 octobre 1990. Le leader du CPL s’en était pris implicitement à son ancien partenaire, prônant la formation d’un cabinet de technocrates, à condition qu’il soit dirigé par… un technocrate (…). Il a donc laissé entendre que son parti ne nommera pas le chef du Futur lors des consultations parlementaires. Cela fait dire à certains que c’est à la demande de Gebran Bassil que le chef de l’État aurait reporté les consultations.
Ces accusations, la présidence les dément naturellement. Selon les sources citées par notre correspondante Hoda Chédid, la décision de Michel Aoun a pour but d’assurer « un climat positif » à la formation d’un cabinet de « mission » chargé de mettre en œuvre les réformes essentielles, conformément à l’initiative du président français Emmanuel Macron. « Gebran Bassil est le chef du plus grand groupe parlementaire mais, tout comme d’autres blocs, il ne donne pas d’ordres au président de la République », affirme-t-on de mêmes sources, assurant que Baabda ne pose pas de veto à la candidature Hariri. « Tout président de groupe parlementaire, qu’il soit d’un poids important ou pas, a le droit de donner son point de vue, mais cela n’a rien à voir avec les compétences et responsabilités du chef de l’État », ajoutent les milieux de Baabda, indiquant que le président Aoun a été « contacté par tous les chefs de groupe qui ont exprimé le souhait d’un report des consultations », sans préciser lesquels. « Il n’y a aucune raison personnelle qui gouverne les décisions du président Aoun, mais il y a des dossiers qui doivent être étudiés avant la désignation (du Premier ministre) afin que nous ne soyons pas face à une désignation sans formation (du gouvernement), ou à une formation sans confiance » du Parlement, ajoutent ces sources, s’étonnant des réactions à ce report « sans connaissance des vraies raisons et ne se basant pas sur de réelles données », déclarent encore les milieux de la présidence. Et de poursuivre : « Le président veut assurer le soutien le plus large possible » à la personne qui sera désignée pour former le gouvernement (…) afin qu’elle bénéficie d’un « consensus national » respectant un certain « équilibre au niveau des régions », faisant clairement référence au Mont-Liban, région à majorité chrétienne. Une façon pour Baabda de rappeler que Saad Hariri ne bénéficie pas de l’appui des partis chrétiens majoritaires, d’où le report par souci de conformité au pacte national. Mais il convient de rappeler que le chef du gouvernement démissionnaire Hassane Diab n’avait pas reçu l’aval des FL ni du CPL, sans que cela n’entraîne un report des consultations parlementaires.
L’initiative française d’abord…
Quoi qu’il en soit, les aounistes semblent vouloir éviter d’envenimer la polémique. Contacté par L’Orient-Le Jour, un proche de M. Bassil se contente de réitérer l’attachement du CPL à l’initiative française, « qui stipule que le prochain gouvernement soit intégralement formé de spécialistes ». « Nous ne voulons pas appliquer l’équation liant la nomination de Saad Hariri à la participation de Gebran Bassil au cabinet », ajoute-t-il, assurant que M. Bassil n’a rien demandé au chef de l’État.
À son tour, le Hezbollah, qui n’avait pas dit son dernier mot au sujet de l’appui (ou non) à l’ex-Premier ministre, persiste et signe : tout comme ce fut le cas avec Moustapha Adib, le binôme chiite tient à nommer le ministre des Finances et tous les ministres chiites au sein de la future équipe. Le parti veut aussi discuter avec M. Hariri du plan de redressement économique proposé par la France, déclare une source proche du parti, refusant de commenter l’attaque lancée par M. Bassil contre les deux partis chiites majoritaires avec, en toile de fond, l’obstacle des Finances. Contrairement à Nabih Berry, le parti pro-iranien se félicite du report des consultations, afin de permettre au candidat déclaré de mener à bien ses contacts politiques.
En attendant jeudi prochain, Saad Hariri quant à lui ne compte pas se retirer de la course, encore moins faire des concessions à Gebran Bassil, comme l’affirme une source proche à L’OLJ. Celle-ci estime que la décision de Michel Aoun n’est qu’une manœuvre politique dirigée contre l’ex-chef de gouvernement.
La source ne souhaite cependant ni confirmer ni infirmer les informations rapportées par les milieux de Baabda selon lesquels MM. Aoun et Hariri étaient entrés en contact mercredi soir. Ces milieux avaient même laissé entendre que le chef du courant du Futur était favorable à un report des consultations.
commentaires (16)
Le CPL donne son avis sur Hariri. Tout à fait normal. Mais, de là croire que son avis s'impose à tout le monde, c'est enfantin. Si une majorité désigne Hariri, jeudi prochain, ni lui, ni Aoun, ni d'autres pourraient entraver le processus démocratique, auquel ces gens n'y croient pas du tout.
Esber
20 h 40, le 17 octobre 2020