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Culture - Illustration

L’« Antigone beyrouthine » n’a ni sa langue ni ses dessins dans sa poche

C’est un fil Instagram qui est apparu à la suite du funeste 4 août. Sous son intrigant énoncé « Antigone est morte à Beyrouth », défilent les pensées illustrées d’une Franco-Libanaise anonyme sur une actualité libanaise qui n’a jamais été aussi tragique.

L’« Antigone beyrouthine » n’a ni sa langue ni ses dessins dans sa poche

« Le 4 août, Beyrouth giclait, et ma moitié de sang libanais avec. » Ces mots, postés sous un dessin représentant le port transformé en amas de métal fumant, donnent le ton – forcément tragique – de ce fil Instagram baptisé « Antigone beyrouthine » et sous-titré « Antigone est morte à Beyrouth ».

Créé en septembre dernier, il déroule une vingtaine d’illustrations (jusque-là) qui tissent le récit du drame atroce vécu par les Libanais il y a deux mois. On y voit un paysage urbain réduit à des carcasses d’immeubles ; des rescapés croqués tentant de rassurer leurs proches avec ces mots-leitmotivs : « On est en vie, merci mon Dieu » ; l’apparition télévisée d’un président de la République « momifié » ; ou encore la façade si chargée de symboles de l’immeuble d’Électricité du Liban, également dévasté, accompagnée de cette phrase qui claque comme un fouet : « Il savait depuis le 20 juillet que ça pouvait éminemment exploser. 15 jours avant, il savait. »


Sur Instagram, des illustrations aux figures familières aux Libanais.


Comme un chagrin d’amour avec un pays

« On a tous en nous, sans exception, une part d’Antigone à cultiver. Ce besoin vital de pureté qui amène à refuser certaines situations », assène Mariam, l’auteure franco-libanaise de cette bédé (pour l’instant encore) numérique, née de ses sentiments de douleur et de révolte pour ce qu’a subi la ville d’origine de sa mère. Bien que vivant en France, la jeune femme de 26 ans, qui a de la famille au Liban, préfère ne pas dévoiler son véritable nom et dit avoir été extrêmement marquée par la double explosion du port de Beyrouth. « Pendant plusieurs jours, j’ai été dans la sidération, comme beaucoup de monde. Dans ma tête, c’était comme si on avait appuyé sur pause et, en même temps, je n’arrêtais pas de regarder en boucle les vidéos des déflagrations. Au bout d’une semaine, je me suis dit qu’il fallait que j’exprime cette douleur que je ressentais, physiquement même. C’était comme si je vivais un chagrin d’amour avec un pays. Après ce qui s’est passé le 4 août, je me suis interrogée : au fond le Liban, c’est quoi ? Est-ce que c’est un drame ? Une tragédie ? Pourquoi suis-je habitée par ce désarroi qui frôle le traumatisme, alors que je n’étais pas sur place et que mon lien avec ce pays est un peu lointain, n’y ayant jamais vraiment vécu, en dehors des périodes de vacances et de six mois de stages en 2016 (auprès d’Offre-Joie et de L’OLJ) ? J’avais besoin de retranscrire ces questionnements par écrit », confie l’illustratrice. « Et c’est là que les mots d’Antigone d’Anouilh, cette héroïne tragique qui m’a toujours portée, me sont revenus en écho. Car cette absurde situation rejoint, selon moi, l’histoire de cette jeune fille qui refuse les compromis jusqu’à la mort. Elle se lève pour dire non, pour tenir tête au roi et montrer sa colère pour ce qui arrive. Pour moi, elle est le visage de la jeunesse libanaise qui se dresse contre cette classe politique véreuse, véritable cancer du pays, qui tue ses citoyens sans vergogne », soutient Mariam. Laquelle, en véritable passionnée de peinture et de théâtre (elle dessine depuis toujours et a fait 3 ans de Cours Florent), a introduit ces deux expressions artistiques dans son Antigone beyrouthine.

Car si, pour illustrer ses pensées, elle a recours au graphisme numérique sur tablette, c’est dans les tirades de la pièce de Jean Anouilh écrite en 1944 qu’elle puise une partie de ses textes. « Revisiter son Antigone avec la grille de lecture de ce qui se passe en ce moment au Liban m’a semblé quasi évident », indique la jeune femme, citant plusieurs passages qui, selon elle, résonnent avec le drame libanais. À l’instar de ce « Je ne sais plus pourquoi je meurs » ou encore ce pompeux mais éloquent : « Quelquefois, le soir, il est fatigué et il se demande s’il n’est pas vain de conduire les hommes, si cela n’est pas un office sordide qu’on doit laisser à d’autres. » Une flèche dont on vous laissera deviner la (ou les) cible(s)...


« Antigone est morte à Beyrouth » en mode autoportrait. Photos DR


Ces corbeaux, ces chacals…

Dans son récit, alternant langage théâtral et expression personnelle, des formulations, comme « Le peuple qui sera laissé sans pleurs et sans sépultures, la proie des corbeaux et des chacals », sont suivies de plus prosaïques énoncés, tels : « Ces corbeaux et ces chacals, ce sont les politiques encore présents à la télévision, congestionnés dans leur col raide. Ces pantins qui sentent l’ail, le cuir et le vin rouge, dépourvus de toute imagination pour leur peuple, sauf en matière de corruption… » Un mélange de genres qui arrache parfois un sourire au lecteur de cette histoire qui se construit sur un fil... d’Instagram.Cette histoire d’une jeune femme tiraillée entre deux pays, deux cultures, et qui souhaite comprendre pourquoi Beyrouth lui fait si mal. Un roman graphique que Mariam espère terminer d’ici 2 à 3 mois. Et qu’elle est bien décidée à faire éditer. « Je ne veux pas garder ma langue, ni mes dessins, dans ma poche. Le but de ce que je fais, même si c’est parti d’une nécessité égoïste, est que ça serve de témoignage. À la fois personnel mais aussi un peu sous forme de reportage parce que basé également sur les photos tirées de la presse. Je veux participer à garder une trace de cette tragédie. Pour sensibiliser mes amis français, et les jeunes en particulier, à notre terrible vécu. Même si, au-delà du choc, cette douleur-là, personne d’autre que les Libanais ne pourra la comprendre », conclut cette Antigone beyrouthine. Qui refuse la langue de bois...

« Le 4 août, Beyrouth giclait, et ma moitié de sang libanais avec. » Ces mots, postés sous un dessin représentant le port transformé en amas de métal fumant, donnent le ton – forcément tragique – de ce fil Instagram baptisé « Antigone beyrouthine » et sous-titré « Antigone est morte à Beyrouth ». Créé en septembre dernier, il déroule une...

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