En 1983, dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban qui avait abouti au départ de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Beyrouth, le gouvernement de Chafic Wazzan était contraint de signer un accord avec Israël, mettant fin à l’état de guerre entre les deux pays. C’était le 17 mai. L’accord sera de courte durée : il est abrogé un an plus tard sous la pression de la Syrie et de ses alliés libanais, lors d’une période sombre de l’histoire du Liban.
C’est le 28 décembre 1982 que s’ouvrent à Khaldé, à l’hôtel Lebanon Beach, des négociations entre le Liban et Israël, sous le parrainage des États-Unis qui pèsent de tout leur poids pour faire réussir ce processus. Au deuxième étage de cet hôtel, des tables sont disposées en triangle équilatéral, une manière de marquer symboliquement que les participants sont sur un pied d’égalité. La délégation libanaise est conduite par Antoine Fattal, un diplomate de carrière, ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères, et comprend Antoine Baroud, président du Conseil d’État, l’ambassadeur Ibrahim Kharma, le général Abbas Hamdane et les colonels Saïd Kaakour, Mounir Rhayem, Georges Harrouk et Fawzi Abou Farhat. La délégation américaine est menée par Morris Draper, sous-secrétaire d’État aux Affaires du Proche-Orient, et l’israélienne par David Kimche, directeur général du ministère des Affaires étrangères.
Le 30 décembre, la deuxième session se tient à Kyriat Shmona, où la délégation libanaise arrive en hélicoptère. Antoine Fattal reste intransigeant face aux demandes israéliennes d’évoquer une normalisation entre les deux pays. « Les Israéliens, comme toujours dans ce type de pourparlers, avaient glissé dans leur délégation des spécialistes du comportement humain et des psychologues, dont la mission était de dresser les portraits de leurs interlocuteurs (...) », raconte le journaliste Alain Ménargues dans son livre Les secrets de la guerre du Liban (Albin Michel), sur la base d’un entretien avec David Kimche. « Lors de la première séance organisée à Khaldé, jouant à la perfection les assistants de David Kimche, ils étaient assis derrière leur “patron” et de temps à autre lui passaient une feuille de papier sur laquelle était inscrit un mot ou un nom que le chef de la délégation israélienne devait glisser dans ses propos afin qu’ils puissent noter les réactions des Libanais. Avant de se rendre à Kyriat Shmona, David Kimche avait lu les conclusions de la première réunion de Khaldé. La note sur Antoine Fattal était très courte : cet homme est un véritable morceau de glace. Durant les séances qui suivirent, elle ne put être complétée », ajoute-t-il.
35 sessions pour un accord
Les négociateurs tiendront 35 sessions, alternativement à Khaldé, Kyriat Shmona et Netanya, pour parvenir le 17 mai à la signature de l’accord, après l’implication directe du secrétaire d’État américain George Shultz, qui pèse de tout son poids sur les deux pays et effectue des navettes diplomatiques pendant dix jours.
L’accord stipule la fin de l’état de guerre entre les deux pays, et chacun s’engage à ce que son territoire ne serve pas de base à « des actions terroristes ou hostiles » contre l’autre. Le texte comprend une annexe dans laquelle Israël s’engage à retirer toutes ses forces armées du Liban, à la condition toutefois que les forces syriennes se retirent simultanément. Le texte prévoit également la création d’une zone de sécurité.
Mais la signature de l’accord du 17 mai intervient dans un contexte régional explosif, et la Syrie avait fait savoir à l’avance, par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, Abdel Halim Khaddam, qu’elle ne permettrait pas la mise en application de cet accord, « quelle que soit la tournure que prendront les événements ». Ses alliés au Liban, Walid Joumblatt en tête, annoncent en juillet la création d’un « Front de salut national » opposé au président Amine Gemayel et déterminé à faire chuter l’accord du 17 mai.
Alors que le pays s’embrase, le président Gemayel effectue un revirement et se rend en février 1984 à Damas. Le mois suivant, le 5 mars, le Conseil des ministres décide l’annulation de l’accord israélo-libanais du 17 mai 1983, et une nouvelle session du congrès de réconciliation nationale est annoncée à Lausanne.
Des années plus tard, l’ancien président Gemayel s’est défendu d’avoir conclu cet accord, le présentant comme un « accord de retrait » des forces israéliennes qui occupaient le Liban. « J’avais refusé de le signer parce que j’avais tenu à ce que la Syrie donne son consentement, après que les leaders libanais et les rois et présidents arabes eurent donné le leur », avait-il expliqué. « L’accord a constitué un exploit diplomatique rare dans l’histoire des relations arabo-israéliennes. Puisque tout retrait israélien sérieux d’une région arabe occupée s’est accompagné d’un accord de paix. Quant au nôtre, il a abouti à un pacte sécuritaire, et les négociateurs étaient des techniciens et non des politiciens », a-t-il affirmé.
Frontières maritimes : coup d’envoi ce matin des négociations indirectes entre le Liban et Israël
C’est ce matin que sera donné le coup d’envoi des négociations indirectes entre le Liban et Israël pour la délimitation des frontières maritimes. Le secrétaire d’État adjoint américain pour le Moyen-Orient, David Schenker, est arrivé hier soir à Beyrouth pour participer à la réunion d’ouverture des négociations.
Selon l’ONU, Washington encadrera les discussions sur les frontières maritimes tandis que celles portant sur les litiges terrestres seront supervisées par la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Le département d’État américain a publié un communiqué lundi soir précisant que l’ambassadeur des États-Unis en Algérie, John Desrocher, officiera en tant que médiateur pendant les négociations sur les frontières maritimes.
La séance inaugurale démarrera aujourd’hui à 10h30 par une réunion « préliminaire » qui se tiendra à huis clos. Quatre allocutions seront prononcées en ouverture : celle du coordinateur spécial des Nations unies pour le Liban Jan Kubis, celle de David Schenker, celle du chef de la délégation israélienne Udi Adiri, qui est directeur général du ministère israélien de l’Énergie, et celle du chef de la délégation libanaise, le général Bassem Yassine. Les participants devront ensuite s’entendre sur le programme des futures rencontres et le « mécanisme de négociations ». Selon un haut responsable du ministère israélien de l’Énergie cité par le Haaretz, cette première réunion sera « très pragmatique ». « Il ne s’agit pas de négociations de paix ou de normalisation (…) mais de discussions autour d’un objectif très précis portant sur un conflit technique et économique », indique ce responsable. « Nous voulons le régler parce qu’il nous a empêchés dix ans durant d’exploiter nos ressources naturelles », dit-il encore, affirmant s’attendre à ce que les pourparlers « durent quelques semaines » et à ce qu’ils « avancent sérieusement si l’autre partie (le Liban) adopte une approche pragmatique ». Au terme de chaque round de pourparlers, la délégation libanaise fera un compte-rendu au président de la République Michel Aoun, qui a de nouveau réagi hier aux reproches qui lui avaient été faits la veille par le Sérail, et hier par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, lequel avait contesté l’exclusion du chef du gouvernement des contacts pour la formation de la délégation libanaise et dénoncé une atteinte à la Constitution. Dans un communiqué, le bureau de presse de Baabda a développé une longue argumentation constitutionnelle pour expliquer que le chef de l’État a agi conformément à la Loi fondamentale. Il a mis en garde contre « une interprétation erronée de la Constitution (…) qui pourrait affaiblir la position du Liban au mauvais moment ». Hier, le chef de l’État s’était entretenu au palais de Baabda avec M. Kubis et la délégation libanaise en charge des négociations. Le président de la République a insisté pour que les négociations se limitent à l’aspect technique du tracé des frontières, afin de couper court à toute tentative d’interpréter ce processus comme un signe de normalisation avec l’État hébreu. Il a par la même occasion annoncé la composition de la délégation libanaise, après un début de polémique autour de l’inclusion ou non de responsables diplomatiques ou politiques. La délégation est présidée par le général Bassem Yassine, qui occupe actuellement le poste de chef d’état-major adjoint pour les opérations. Elle comprend le colonel Mazen Basbous, qui a occupé le poste d’adjoint du commandant des forces maritimes, Wissam Chbat, président sortant du conseil d’administration de l’Autorité de l’énergie (LPA, principalement chargée de suivre le dossier des hydrocarbures offshore au Liban), et Nagib Massihi, un expert en droit international et spécialiste du dossier des frontières maritimes qui collaborait avec le commandement de l’armée dans le domaine de la cartographie.
Solution équitable
Selon le communiqué final de la réunion publié par Baabda, Michel Aoun a fait savoir à la délégation que les négociations doivent « débuter sur la base de la ligne partant de Ras Naqoura, sur terre, comme prévu par les accords franco-britanniques de Paulet-Newcombe (signés en 1923 et qui dessinent la frontière entre le Liban et la Palestine historique à l’époque des mandats français et britannique) et qui se prolonge en mer selon la technique de la ligne médiane, sans que cela ne soit affecté par les îles côtières qui appartiennent à la Palestine occupée et ce, en vertu d’une étude publiée par la direction de l’armée libanaise qui se base sur le droit international ».
Pour sa part, Jan Kubis a salué les discussions prévues, insistant sur le fait que « les Nations unies organiseront et soutiendront la séance de négociations en y apportant toutes les facilités nécessaires à son succès », rapporte la présidence libanaise dans son communiqué.
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C’est dans un article du 29 février 1984 dans ces mêmes colonnes qu’Antoine Fattal a expliqué le mode opératoire juridique pour sortir de l’impasse dans laquelle le Liban s’était retrouvé du fait de la non ratification de l’accord du 17 mai 1983 par Amine Gemayel, alors Président de la Rep. Le titre de l’article était prémonitoire « Tout le monde dedans ou tout le monde dehors ». Nous connaissons la suite. Notons au passage qu’une négociation parallèle était prévue avec la Syrie. Cette négociation n’a jamais eu lieu. Jean Obeid en était chargé et Ghassan Tueni devait assurer la coordination entre les deux négociations. Antoine Fattal n’a jamais rencontré Jean Obeid. Les négociateurs étaient certes des techniciens aux dires d’Amine Gemayel, mais le politicien a manqué de sens politique surtout après que la chambre des députés ait autorisé à l’unanimité la ratification d’un accord dont il était acteur en sa qualité de chef de l’Etat, les séances de débriefing se tenant en sa présence. Paris le 14 octobre 2020 Etienne Antoine Fattal
fattal etienne
00 h 10, le 15 octobre 2020