
Le président français Emmanuel Macron aux Mureaux le 2 octobre 2020. Ludovic Marin/AFP/POOL
Emmanuel Macron a-t-il prononcé les mots de trop ? Son discours vendredi dernier annonçant un projet de loi visant à défendre la laïcité face au « séparatisme islamiste » a en tous cas suscité l’indignation à travers le monde musulman, tant sur les réseaux sociaux qu’au sein des institutions religieuses.
Samedi soir, c’est l’institution al-Azhar, la plus haute autorité religieuse de l’islam sunnite, qui a qualifié de « raciste » le discours du président français et dénoncé des « accusations » visant l’islam. « De telles déclarations racistes sont de nature à enflammer les sentiments de deux milliards de musulmans dans le monde », a estimé al-Azhar. Ces dernières années, l’institution s’est toujours efforcée à dénoncer les attentats jihadistes à travers le monde, afin de combattre les amalgames qui associent l’islam traditionnel aux courants les plus extrémistes. L’institution vieillissante a toutefois perdu de son influence et de son autorité auprès de la jeunesse musulmane. Le mufti du sultanat d’Oman, le cheikh Ahmad Hamad al-Khalili, a pour sa part qualifié d’attaque sans précédent contre l’islam les propos du président d’un « pays qui se targue de liberté, de démocratie et d’égalité ».Emmanuel Macron a annoncé son projet comme une lutte contre le séparatisme, terme qu’il emploie depuis un an mais qui peut porter à confusion et fausser le débat. L’objectif est-il en effet de lutter contre le jihadisme, l’islamisme, le salafisme ou contre certaines pratiques musulmanes ? Des associations ont dénoncé une « stigmatisation » des musulmans, ce qui a poussé le gouvernement à procéder à un changement de nom du projet de loi en « Projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ».
« L’idée était bien de lutter contre le séparatisme principal qu’est l’islam radical », mais « ce n’est pas le seul objet du texte qui s’adresse à tous les cultes, contre tous les mouvements sectaires, impose la neutralité politique et religieuse », a justifié le ministre de l’Intérieur
Gérald Darmanin.
Une religion « en crise »
Mais à travers le monde musulman, c’est notamment le passage où M. Macron affirme que « l’islam est une religion en crise dans le monde entier », qui a provoqué l’ire de certains. « L’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde. Nous ne le voyons pas que dans notre pays, c’est une crise profonde qui est liée à des tensions entre des fondamentalismes, des projets justement religieux et politiques qui, on le voit dans toutes les régions du monde, conduisent à un durcissement très fort, y compris dans des pays où l’islam est la religion majoritaire » , a déclaré le président français. « Il a généralisé en parlant de l’islam. Quand il dit que l’islam est en crise dans le monde entier, ce n’est pas correct car c’est l’extrémisme islamiste qui pose problème. Pourquoi a-t-il visé l’islam en particulier ? S’il avait été honnête, il aurait dû également parler par exemple des extrémistes juifs ou des évangélistes chrétiens. Il est clair qu’il faille organiser l’islam français, mais il faut aujourd’hui qu’il clarifie ses propos », estime Mohammad Nokkari, juge chérié et professeur d’université contacté par L’Orient-Le Jour. « Pour qui se prend-t-il pour parler ainsi de manière condescendante ? En faisant l’amalgame entre islam et terrorisme islamiste il n’a rien à envier à Donald Trump », estime quant à lui Hachem, un activiste syrien d’al-Bab dans le gouvernorat d’Alep. Il est reproché au président français son manque de légitimité pour faire le constat d’une religion en crise qui sonne, aux yeux d’une partie des intellectuels et activistes, comme une forme de néo-colonialisme compte tenu de l’histoire de France. Certains internautes ont ainsi dénoncé le discours d’un « croisé raciste », qui « n’est aucunement qualifié pour parler de l’islam ».Sur la twittosphère, l’activiste palestinien prodémocratie Iyad el-Baghdadi a par exemple tenu des propos extrêmement durs contre Emmanuel Macron. « Beaucoup de gens essaient de contextualiser ses commentaires en disant qu’il parle uniquement au niveau national, ce qui n’est pas du tout convaincant étant donné qu’il a dit “partout dans le monde”, qu’il a évoqué la transition démocratique en Tunisie, mais aussi que la France est l’alliée des Émirats arabes unis en Libye et peut-être dans d’autres théâtres, dans le cadre d’un projet visant à renforcer un chef de guerre autoritaire antidémocrate (en référence au prince héritier émirati Mohammad ben Zayed) », estime le militant, interrogé par L’OLJ.
Dans son discours, Emmanuel Macron a tenté de respecter un certain équilibre, rappelant à plusieurs reprises qu’il ne fallait surtout pas stigmatiser les musulmans mais combattre les dérives radicales. Mais la montée de l’islamophobie à l’échelle mondiale, en partie liée aux attentats jihadistes dont les musulmans sont les premières victimes, participe à rendre le sujet particulièrement sensible. « Faisons le test en remplaçant “musulman/islam” par toute autre religion ou culture et demandons comment cela sonne. Et si Macron disait “l’hindouisme est en crise dans le monde” ou bien “le judaïsme est en crise dans le monde” ? Pourquoi est-il acceptable de parler ainsi de l’islam et des musulmans, surtout compte tenu de l’histoire coloniale française ? », fustige Iyad el-Baghdadi. Selon le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), les actes islamophobes ont augmenté de 77 % en deux ans en France. Les actes terroristes à caractère islamiste n’ont fait que renforcer le sentiment d’amalgame au sein de la population.
Autre motif des réactions indignées : l’instrumentalisation du discours dans une perspective politique. Les propos d’Emmanuel Macron ont eu un écho particulier en Turquie, alors que les tensions sont très fortes entre le président français et son homologue turc, notamment en raison de leurs divergences en Méditerranée orientale. « Qui es-tu pour parler de structurer l’islam ? », a réagi hier Recep Tayyip Erdogan, qui cherche à se présenter comme le leader du monde sunnite, en réponse à la volonté de M. Macron de « structurer l’islam » en France.
Il n'a fait que mettre le point sur les i et dénoncer une réalité dont il ne faut pas se cacher. Malraux avait raison...Bravo Monsieur Macron
09 h 38, le 25 octobre 2020