
Dans un Liban à bout de souffle, une fresque murale résume le sentiment général de la population libanaise qui enchaîne les crises : « Nous sommes fatigués ». Tripoli, le 28 avril 2020. Photo Ibrahim Chalhoub/AFP
Comme s’il était poursuivi, Ramy se rue hors de la banque une liasse de livres en poche. Le garde posté à l’entrée de l’agence le regarde sans ciller. Cela fait des mois qu’il voit cet ingénieur venir régulièrement à l’aube quémander ses économies bloquées sur son compte. Sur sa route, Ramy s’arrêtera trois fois : sur un parking, à l’arrière d’une boutique et sur le bas-côté de l’autoroute. Chacune de ces escales correspond à un rendez-vous avec un changeur du marché noir. Dans un Liban en crise de liquidités en devises et dont la monnaie n’en finit plus de se casser la figure, il en faut trois pour arriver à obtenir tous les dollars dont il a besoin. À chaque escale, un œil sur le taux du jour, Ramy et le changeur, tels un client et son dealer, masqués et équipés de gel hydroalcoolique, comptent les liasses, l’une nécessairement bien plus imposante que l’autre. Au temps du Covid-19, l’argent n’a jamais été aussi propre. Alors qu’elle boit son café, dans son appartement beyrouthin, Suzanne reçoit un SMS de sa banque. C’est le deuxième en cinq jours. En voyant le nom de sa banque s’afficher sur l’écran, une angoisse la saisit. Depuis le début des restrictions, il y a un an, un message de la banque n’est jamais de bon augure. « Cher client, en raison des circonstances actuelles, votre carte de débit est désormais configurée pour un usage strictement local. Pour bénéficier des limites de dépenses en ligne et internationales, veuillez commander une carte prépayée en dollars ou en euros. » Qu’il faudra alimenter en argent frais, nécessairement… Se tournant vers son mari, elle dit : « Il va falloir qu’on utilise ta carte pour Netflix et tes jeux vidéo en ligne. » Celui-ci n’a pas le temps de lui répondre que son téléphone bipe. « Cher client, à partir d’aujourd’hui, votre limite internationale pour toute transaction en ligne est fixée à 15 dollars par mois. » Avec un abonnement Netflix à 11,99 dollars, Michel comprend qu’il va devoir faire une croix sur ses jeux vidéo.
À quelques kilomètres de là, Dina affûte son crayon, prête à noircir les dernières pages d’un vieux cahier de devoirs de son fils qu’elle a transformé en livre de comptes. Consciencieusement, cette mère de famille trace trois colonnes, l’une pour les « livres libanaises », l’autre pour les « dollars libanais », la dernière pour les « dollars frais ». Elle se souvient de l’époque, tellement simple, où il suffisait de jongler entre les dollars et les livres, à un taux unique, fixe et officiel de 1 507,5 le dollar. Aujourd’hui, à l’instar de la plupart des Libanais, elle se débat avec une flopée de taux : 1 507,5 LL/$, désormais globalement virtuel ; 3 900 LL/$, celui auquel, selon une circulaire de la Banque centrale, elle transforme ses « lollars » – ces dollars libanais, ceux qu’elle a économisés depuis des années mais qui, désormais dépourvus de toute réalité physique, ne sont plus qu’une ligne comptable –, mais avec un plafond de 2 000 lollars par mois ; et celui du marché noir, dont un site en ligne, né avec la crise, lui indique, en ce début du mois d’octobre, qu’il flirte désormais dangereusement avec la barre des 9 000 LL/$. Son aîné, qui travaille à Dubaï, est attendu à Beyrouth dans une semaine. Il a promis de rapporter des dollars frais. Elle les cachera au fond d’un placard, dans la chambre d’amis, « au cas où… ».
Dans un Liban empêtré depuis un an dans une crise économique et financière sévère, dont on ne voit pas le bout étant donné l’incapacité des autorités à lancer les réformes identifiées depuis des lustres et nécessaires pour débloquer une aide internationale, les Libanais sont désormais à la merci de leurs banques, qui multiplient de manière unilatérale, illégale, et sans préavis, les obstacles entre chaque client et ses économies.
Tous hors la loi
« Je passe mon temps à mendier mon argent, celui de mes parents et de mes employés », lance Ramy dans un rire nerveux. Depuis l’explosion du 4 août, il doit en outre consacrer une bonne partie de l’énergie qu’il n’a plus à chercher des dollars en espèces, des dollars frais. Quand le port de Beyrouth a explosé, Ramy l’a échappé belle. Alors qu’il regardait ce qu’il se passait au port sur lequel son appartement à une vue imprenable, le souffle de la seconde déflagration l’a propulsé à travers la pièce. La baie vitrée a éclaté et les portes de son appartement sont sorties de leurs gonds. « J’en ai pour plus de 25 000 dollars de réparations. Et les matériaux ne peuvent être achetés qu’en dollars frais. Je possède cette somme, sur mon compte, mais n’y ai pas accès », explique-t-il, ajoutant : « Maintenant, je cours d’une banque à l’autre pour monter des dossiers dans l’espoir de débloquer, en tant que sinistré de la tragédie du 4 août, une petite partie de mes propres sous. »
Mis en joue depuis des mois par le système bancaire, les Libanais n’ont pour seule arme que leur sang-froid, bien conscients que la situation « ne va aller qu’en empirant », comme le dit le trentenaire. Échanger ses livres libanaises sur le marché noir est devenu l’unique recours de tant de déposants, alors que l’accès aux changeurs officiels, qui pratiquent un taux de 3 900 livres le dollar, est strictement encadré et limité à quelques opérations seulement. Face à ces limitations, les déposants libanais n’ont d’autre choix que de se rendre hors la loi, à l’image des banques et de leurs restrictions bancaires qui, non entérinées par le Parlement et la Banque centrale, sont officiellement « illégales et informelles ».
Pour contourner ces restrictions, les Libanais redoublent d’imagination depuis un an pour concocter des combines ubuesques leur permettant de récupérer leur argent. Une partie du moins, car quel que soit le moyen trouvé, ces déposants doivent accepter de sacrifier une bonne partie de leurs économies.
Une mafia
« Vous avez 48 heures pour apporter l’argent. Au-delà, notre offre ne tient plus. » Peter n’en revient toujours pas de cette phrase écrite noir sur blanc, digne d’un scénario de film sur la mafia, dans un échange de courriels avec la direction de sa banque. Voyant la situation se dégrader, Peter a voulu solder l’emprunt qu’il avait contracté pour s’acheter une voiture. La banque lui a proposé un premier marché : elle effacerait le prêt si Peter apportait la moitié du solde en dollars frais. Peter a insisté à régler l’intégralité du solde en livres, au taux officiel. C’est à ce moment là que la banque lui a fait cette nouvelle offre, à prendre ou à laisser.
Cet architecte indépendant s’est alors lancé dans une course contre la montre pour rassembler le montant dû et solder son prêt. Dans la foulée, il a fermé l’intégralité de ses comptes auprès de la banque.
Son frère, lui, n’a pas eu cette « chance ». C’est un veto en bonne et due forme qu’il a reçu de sa banque lorsqu’il a voulu, lui aussi, solder un emprunt. « La parité dollar/livre au taux de 1 515 appliquée dans le secteur bancaire ne vaut plus rien. Les banques empêchent les paiements dus à l’avance dans l’attente qu’un taux plus élevé soit officialisé par la Banque centrale et que nous devions, alors, payer le double, voire plus », lance Peter qui, entre deux jurons, affirme que désormais il n’a plus qu’une idée en tête : quitter le Liban.
La loi de la jungle
Voyager, Zak l’avait aussi planifié cette année malgré la pandémie. Sa banque en a toutefois décidé autrement. « Quand les mesures de confinement ont été levées de par le monde, je voulais absolument partir en voyage. Pas pour émigrer, juste pour souffler un peu. Mais j’ai reçu un message de ma banque m’informant qu’ils avaient changé, de manière unilatérale et sans me demander mon avis, ma carte de crédit en devises en une carte en livres libanaises. » Comble de l’ironie, « ils m’ont fait payer des frais pour ce changement inopiné ». Furieux, Zak s’est rendu à l’agence et a fait annuler toutes ses cartes. « Ça ne leur a fait ni chaud ni froid. Ils m’ont laissé solder mes comptes et n’ont même pas essayé de me retenir. » Dans un Liban limité dans ses frontières terrestres et maritimes, réserver un billet d’avion sans dollars frais est un défi et partir à l’étranger sans cartes de crédit en devises est inimaginable.
Alors que ce gérant d’une chaîne de supermarchés consacre déjà une bonne partie de son temps à trouver des devises pour payer ses fournisseurs, Zak s’est finalement résolu à ne plus voyager. Il ne se sentait pas la force de se lancer dans un nouveau marathon aux devises pour s’offrir un peu de repos à l’étranger.
Du repos, Nina, elle, n’en a pas eu beaucoup depuis qu’elle est rentrée au pays. L’hiver dernier, elle était partie en Floride pour aider son fils à s’y installer. Mais à quelques jours de la date prévue pour son retour, début mars, le monde entier a fermé ses frontières, Covid-19 oblige. C’est aussi à ce moment-là que ses cartes de crédit libanaises ont été bloquées à l’étranger, crise libanaise oblige. Et c’est pour la même raison que son mari, resté au Liban, n’a pu lui envoyer d’argent. Son voyage sur les rives de l’Atlantique s’est alors transformé en une traversée du désert qui durera six mois. « Telle Cosette à Miami ! » s’exclame-t-elle en partant dans un fou rire tragi-comique, Nina a dû couper les manches de ses vêtements d’hiver qu’elle a cousues et recousues pour s’adapter à la météo. À plus de soixante ans, Nina s’est mise à apprendre l’espagnol à force de se rendre dans les marchés cubains pour dénicher les produits les moins chers payés grâce au maigre salaire de son fils.
À 18h08 (heure de Beyrouth), le 4 août, Nina sirote son café matinal quand son téléphone sonne. Elle, qui attendait que les frontières rouvrent et que ses fils, tous deux à l’étranger, économisent suffisamment d’argent pour lui payer un billet de retour, apprend que sa maison, située dans le quartier du port de Beyrouth, est dévastée. Son mari, à la montagne lors de l’explosion, est sauf.
Quand elle arrive enfin au Liban, Nina se met, elle aussi, à courir, alpaguant les ONG qui parcourent les rues des quartiers sinistrés pour l’aider à réparer sa maison, appelant les banques les unes après les autres pour décrocher une autorisation de retirer son argent. Quand elle narre ses péripéties, elle en arrive à épuiser tous les synonymes du mot « fatiguée ».
Dans un Liban où la réalité a dépassé la fiction, les banques font désormais figure de braqueurs, tandis que les déposants cavalent. Des histoires comme celles évoquées ci-dessus se comptent par milliers et la vie des Libanais, en plus d’être chaotique voire apocalyptique, est devenue totalement absurde. Le quotidien de Ramy, Zak, Dina, Nina, Peter, Suzanne et Michel, et celui de millions d’autres, se résume depuis plus d’un an maintenant à courir après son argent, tout en essayant de se préparer à encaisser le prochain coup de l’adversaire. « En réalité, dit Ramy, les banques ne nous ont pas volé notre argent dans le simple but de nous “voler”. Aujourd’hui, elles gèrent leur budget, en nous pénalisant évidemment, pour gagner du temps et survivre. En bout de course, ce sera elles ou nous. » La loi de la jungle, en somme.
LA JUSTICE LIBANAISE EST ACCUSEE DE NE PAS FAIRE SON DEVOIR ET LA DEMISSION DE TOUS LES JUGES POUR CRIMES CONTRE LE PEUPLE LIBANAIS EST UNE DEMANDE IMPERATIVE ET ILS REJOIGNENT MAINTENANT LES TOUS CAD TOUS Y INCLUS LES JUGES DANS N'IMPORTE QUEL PAYS AU MONDE UNE BANQUE QUI N'HONORE PAS UNE DEMANDE DE TRANSFEERT DE FONDS APPARTENANT A UN CLIENT QUI LES A CHEZ ELLE EST IMMEDIATEMENT MISE EN FAILLITTE PAR LA BANQUE CENTRALE DU PAYS LA VERITE RIAD SALAME ,ET LES JUGES, REJOIGNENT AUJOURDH'UI LES POLITICIENS POUR FAIRE PARTIE DE TOUS CAD TOUS
14 h 05, le 05 octobre 2020