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Nos Lecteurs ont la Parole

L’opprobre s’est abattu sur eux

Voilà près de deux mois que c’est arrivé ; un peu moins de deux mois que l’innommable a eu lieu.

Alors que des jeunes gens, venus des quatre coins du pays et du reste du monde, continuent de déblayer les rues à la force de leurs bras, que des ingénieurs et des architectes bénévoles explorent des maisons éventrées, sécurisent des immeubles vides aux trous béants, que des secouristes, des médecins, des pompiers et infirmiers pansent les plaies des survivants, des hommes ont lâchement abdiqué les responsabilités auxquelles ces mêmes survivants les avaient élus. Dépourvus d’humanisme, ils dorment paisiblement dans leurs palais, dans leurs riches demeures, loin des gémissements des blessés gisant dans les hôpitaux de fortune, loin de la douleur des rescapés du mardi 4 août de l’an 2020.

Tels des charognards, ces grands seigneurs d’une ignominie sans égal règnent sans partage, avec leurs fils et leurs filles, leurs gendres et leurs belles-filles, ainsi que tous les rejetons nés de leurs concupiscences.

Politiques à la tête d’institutions d’un État déliquescent, gouverneurs, vice-gouverneurs et grands argentiers d’un pays suffoquant sous des dettes abyssales, hauts fonctionnaires et directeurs de services publics, nantis à force d’avoir monnayé leur vertu, tous ont trahi leur serment envers leur patrie, envers leurs concitoyens, envers les femmes et les hommes qui leur ont donné leur confiance, et ils se sont prostitués devant le billet dollar.

L’opprobre, hurlé des mois durant dans les rues par la jeunesse libanaise, s’est abattu sur eux, aux yeux du monde entier, le jour où ce souffle a emporté la ville millénaire.

Tout ce laps de temps a passé, et la vermine se pavane loin du tumulte des pelleteuses et des engins de chantier. Elle n’a pas daigné se rendre à l’endroit même où son crime a été perpétré et continue à clamer son innocence d’un crime contre l’humanité. Elle s’offusque des accusations portées contre elle, menace de châtiments tous ceux qui osent remettre en cause sa prépotence et fomente des expéditions punitives pour réprimer la voix du peuple.

Pour couronner le tout, elle pousse à l’exil, déjà plus de cent mille, jeunes et moins jeunes en leur confisquant leurs rêves, leur avenir, leur bien le plus précieux, leur pays.

Comble du déshonneur, elle a vendu son âme et son pays au diable venu d’Orient et qui l’a ensorcelée en lui garantissant un pouvoir archaïque assorti d’une impunité répugnante.

Que faut-il de plus à ces impotents et à toute cette classe dirigeante qui vient de prouver, non seulement sa malveillance, mais aussi son incompétence et son incapacité à protéger les siens ?

Faut-il qu’un autre cataclysme engloutisse tous ces vauriens et les condamne à entendre, enfin, les cris et les geignements des tristes mères ayant perdu leur enfant ?

Faut-il une nouvelle guerre du Liban, dans ce sempiternel conflit du Moyen-Orient, au moment où le pays fête son siècle d’indépendance ? Une indépendance gagnée grâce à la résilience et à l’audace d’une poignée d’hommes libres et unis, aspirant à une nation plurielle et multiconfessionnelle. Une union si chère à nos anciens, dépecée au quotidien par des dirigeants rétrogrades qui n’ont de cesse de faire tomber ce peuple martyr de Charybde en Scylla jour après jour.

Non, il faut surtout écouter la jeunesse, éreintée par l’incurie de leurs pères, crier son amour pour son pays en lambeaux. Il faut lui laisser la place en espérant qu’elle sache ensemble reprendre le flambeau de ses grands-pères et créer une nouvelle indépendance.

Il lui faudra enterrer l’esprit du lucre de la classe dirigeante, se préserver des dictatures religieuses et de l’ingérence de voisins trop heureux de ses faiblesses.

Il lui faudra mettre à profit son amour et le fondre dans un humanisme régénérateur offrant à chacun sa place, des perspectives, un avenir, une paix.

Il lui faudra épurer sa colère et passer outre la vengeance et ses excès.

Il lui faudra créer la grande aurore libanaise et abandonner à nous autres les regrets de la génération précédente…

Lors de ma dernière visite chez mon médecin, celui-ci me fixa et, face à mon désespoir, il me dit avec un air grave mais bienveillant : « Vous ne verrez jamais un coffre-fort, mon cher, à l’arrière d’un corbillard. » Je pense alors à tous ces hommes politiques hâbleurs et bonimenteurs, banquiers et gouverneurs, escrocs de toutes sortes, qui trépasseront un jour, et je me dis, sourire aux lèvres, que moi aussi, à l’instar du héros de Boris Vian, « j’irai cracher sur vos tombes »...


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Voilà près de deux mois que c’est arrivé ; un peu moins de deux mois que l’innommable a eu lieu.Alors que des jeunes gens, venus des quatre coins du pays et du reste du monde, continuent de déblayer les rues à la force de leurs bras, que des ingénieurs et des architectes bénévoles explorent des maisons éventrées, sécurisent des immeubles vides aux trous béants, que des...

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