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Idées - Point de vue

L’engagement de la classe moyenne, au Liban, doit aussi être politique

L’engagement de la classe moyenne, au Liban, doit aussi être politique

Photo d’illustration : des manifestants antigouvernementaux bloquant le pont du Ring à Beyrouth, le 13 novembre 2019. Archives AFP

La révolution entamée le 17 octobre et la série de manifestations qui l’ont suivie demeurent, tant par leur hétérogénéité confessionnelle et sociale que par la prise de conscience concrète et partagée de la nature et l’origine des maux du pays, un phénomène unique dans l’histoire récente du Liban. Depuis des mois, des Libanais de tous horizons s’accordent à dire que la classe politique, toutes tendances confondues, qui s’est partagé le pouvoir depuis plus de trente ans a perdu toute légitimité. Le constat sur sa responsabilité dans la crise multifactorielle que traverse le pays est unanime, qu’il s’agisse de la montée du chômage, de la corruption endémique qui paralyse l’action de l’État tout comme celle du secteur privé, ou encore de son incapacité à conduire les réformes structurelles nécessaire à la relance de l’économie. D’où la revendication d’un changement politique radical, se traduisant notamment par les demandes de formation d’un gouvernement d’experts indépendants, d’une réforme de la justice et de mesures fortes de lutte contre la corruption, voire, pour certains, de la tenue d’élections législatives anticipées.

Cependant, en dépit de certaines victoires initiales importantes (dont la démission du gouvernement Hariri) et de la nature profondément politique de ces revendications, le mouvement de contestation, déjà très fragilisé dans sa dynamique par la poursuite de la répression ainsi que la pandémie de Covid-19, n’a jusqu’à présent pas réussi à faire émerger de structure représentative ni reconnu de « chef » à même de porter ces revendications hors de la rue, sur la scène politique.

Désengagement

L’une des implications possibles de ces difficultés réside sans doute dans le rapport qu’ont longtemps entretenu la plupart des jeunes Libanais, en particulier ceux issus de la classe moyenne, avec l’engagement politique. S’ils ont eu à subir les nombreuses défaillances de l’État et les failles du système qu’ils dénoncent désormais, nombre d’entre eux tendaient à délaisser la chose publique jusqu’à l’arrivée de la crise. Bénéficiant (dès lors qu’ils en avaient les moyens) des institutions éducatives privées ou à l’étranger, ils consacraient l’essentiel de leurs efforts à leur réussite individuelle dans divers domaines. Pour ceux qui s’engageaient dans la vie publique, cet engagement était généralement limité au champ associatif et culturel, ou encore, pour ceux issus de la diaspora, caritatif ou financier.

L’engagement politique, ou même l’engagement intellectuel, tel qu’il a pu exister lors de la Nahda arabe ou pendant les autres mouvements intellectuels qui se sont prolongés sous différentes formes jusqu’aux années 1960-1970, a lui été en grande partie délaissé. Combien de Libanais ont aujourd’hui connaissance des grandes lignes de la Constitution, de l’histoire récente du pays (incluant la guerre civile, certes toujours pas au programme scolaire) en dehors de l’histoire transmise au sein d’un groupe social donné ? Et si, comme évoqué, le 17 octobre a été un tournant en termes d’engagement politique, ce dernier semble, malgré la puissance des slogans et espoirs affichés, surtout s’exprimer dans sa dimension protestataire. Les nombreuses tentes et agoras qui avaient émergé au début de la contestation ont ainsi laissé place à une protestation plus radicale et centrée sur le présent. Et mis à part une poignée d’académiques et de citoyens actifs au sein de la société civile, le débat sur la définition des contours du Liban de demain (institutions, gouvernance, séparation des pouvoirs, place de la religion dans la société ou modèle économique) semble déserté par nombre de ses invités. Pourquoi ces sujets intéressent-ils aussi peu une génération qui sera un jour appelée à prendre en main les affaires du pays ?

Asymétrie

Parmi les nombreuses raisons sociales, économiques ou historiques qui peuvent expliquer ce désengagement, l’une des plus importantes tient à la situation d’asymétrie dans laquelle se trouvent les « élites » libanaises. D’un côté, les « élites » issues de la classe moyenne – soit celles et ceux qui seraient normalement habilités, par leurs compétences dans divers domaines, à exercer le pouvoir – demeurent essentiellement marquées par ce désengagement au sens politique et partisan du terme. L’autre « élite », celle du pouvoir corrompu, continue, elle, d’exercer sa mainmise sur ce champ : non seulement elle maîtrise parfaitement les rouages de l’État confessionnel actuel et des ses institutions (locales ou nationales), mais elle en a aussi fait des outils efficaces (aides sociales et passe-droits en tout genre) afin de maintenir le soutien des partisans des différents leaders qui la composent. Cette asymétrie représente un facteur central dans le blocage actuel, entre un système ayant perdu toute légitimité politique et une classe moyenne jusqu’ici peu ou pas politisée qui apprend et cherche à créer une alternative et préparer l’avenir.

Certes, des dizaines de formations politiques ont émergé depuis la révolution, mais aucune d’entre elles ne dispose d’une large base de militants dont l’élite issue de la classe moyenne devrait nourrir les rangs. Cet apprentissage de l’engagement militant prend nécessairement du temps, mais il est d’ores et déjà possible d’entrevoir un sursaut de citoyenneté à travers le formidable élan de solidarité qui se manifeste depuis le 4 août. Cela a révélé la capacité des Libanais à s’organiser, de façon autonome, au-delà des clivages sociaux et surtout confessionnels, traditionnellement attisés par la classe politique. C’est sur cette expérience récente qu’il faudra bâtir le sentiment d’appartenance nationale. Cela devra se faire à travers une valorisation réelle de la citoyenneté au sein de tous les cursus, de l’école primaire à l’enseignement supérieur, toutes formations confondues. Il s’agit de donner aux citoyens, quelle que soit leur situation socio-économique ou leur appartenance confessionnelle, les moyens de se concevoir en tant qu’acteurs et non spectateurs de la chose publique. Il faudrait aussi revaloriser certaines sciences humaines longtemps délaissées telles que la philosophie, l’histoire ou la sociologie. Ce sont ces disciplines, de pair avec les avancées techniques, qui permettent d’éclairer notre passé ainsi que le chemin vers la société dans laquelle nous voulons vivre. C’est en cela que l’on réussira à construire une citoyenneté engagée et exigeante vis-à-vis des dirigeants. Cette exigence se traduit notamment par la connaissance et le respect de notions aussi fondamentales que l’État de droit, l’indépendance de la justice à l’égard d’intérêts particuliers ou étrangers ou encore un contrôle impartial de la dépense publique par des institutions rendant des comptes aux citoyens.

Définir l’avenir d’un pays et de ses institutions nécessite bien plus qu’une abondance de compétences techniques. Il s’agit aujourd’hui de définir qui nous sommes, ce qui nous unit ainsi que la façon dont nous voulons vivre ensemble. C’est à nous de le déterminer et cela passe par l’engagement, notamment intellectuel, sur le sujet.

Analyste senior en politiques publiques au sein d’un cabinet international de conseil en stratégie basé à Londres.

La révolution entamée le 17 octobre et la série de manifestations qui l’ont suivie demeurent, tant par leur hétérogénéité confessionnelle et sociale que par la prise de conscience concrète et partagée de la nature et l’origine des maux du pays, un phénomène unique dans l’histoire récente du Liban. Depuis des mois, des Libanais de tous horizons s’accordent à dire que la...

commentaires (4)

TANT QU,IL Y A DES MERCENAIRES IRANIENS ET LEUR PARAVENT CHRETIEN AU LIBAN ILS DETRUIRONT COMPLETEMENT LE PAYS POUR LEURS INTERETS PROPRES ET LES REVES HEGEMONIQUES DE L,IRAN. .

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 32, le 27 septembre 2020

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Commentaires (4)

  • TANT QU,IL Y A DES MERCENAIRES IRANIENS ET LEUR PARAVENT CHRETIEN AU LIBAN ILS DETRUIRONT COMPLETEMENT LE PAYS POUR LEURS INTERETS PROPRES ET LES REVES HEGEMONIQUES DE L,IRAN. .

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 32, le 27 septembre 2020

  • Au Liban, c'est beaucoup plus compliqué comme approche. La prédominance des factions armées et le contexte régional brûlant, rendent difficile toute approche logique telle que notée dans l'analyse.

    Esber

    11 h 39, le 27 septembre 2020

  • Bien dit, bonne description et n'oublions pas que si tu ne vas pas à la politique la politique viendra à toi !

    TrucMuche

    10 h 25, le 27 septembre 2020

  • De grâce, laissez nous loin de la politique, un terrain paralysant, miné et pourri par excellence... Reconstruisons un pays où l'on peut vivre, pas ou on arrête de le faire pour un oui ou pour un non, à cause de la politique...

    NAUFAL SORAYA

    07 h 51, le 27 septembre 2020

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