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Moyen-Orient - Éclairage

Le Soudan, lueur d’espoir dans le monde arabe

Avec la Tunisie, c’est le seul pays de la région à avoir entamé sa transition démocratique. Mais les défis restent nombreux et l’avenir du processus hypothétique.

Le Soudan, lueur d’espoir dans le monde arabe

Le président du Conseil souverain, le général Abdel Fattah al-Burhan, le président du Sud-Soudan Salva Kiir, et le Premier ministre soudanais Abdallah Hamdok, saluant les personnes rassemblées pour la signature du traité de paix avec les groupes rebelles, à Juba, au Sud-Soudan. 31 août 2020. Akuot Chol/AFP

Un traité de paix qui met fin à 17 ans de guerres, une transition démocratique qui se fait sans violence : ce qui se passe au Soudan depuis bientôt deux ans mérite d’être suivi de près tant le pays vit aujourd’hui une expérience unique dans le monde arabe, même si les spécialistes et les activistes appellent à la prudence.Alors que la plupart des soulèvements régionaux – mis à part en Tunisie – ont abouti pour l’instant à la victoire des forces contre-révolutionnaires, le Soudan commence déjà à se libérer du legs militaro-islamiste de Omar al-Bachir, resté 30 ans au pouvoir.

Vacciné par l’expérience égyptienne voisine, le mouvement populaire amorcé en décembre 2018 a su tenir tête à l’armée après la chute de l’ex-dictateur en avril 2019. Il est resté déterminé au point d’obtenir, en août de la même année, la signature d’un accord entre les militaires et les meneurs de la contestation, et la mise en place d’un Conseil souverain (CS), une instance à majorité civile mais dirigée par un général, qui doit superviser une période de transition de 39 mois et ouvrir la voie à des élections démocratiques.

Le nouveau gouvernement a approuvé une série d’amendements dans lesquels s’incarne l’esprit progressiste d’une révolution dont les femmes ont été à l’avant-poste. Il en va entre autres ainsi de l’interdiction des mutilations génitales ou de la fin du crime d’apostasie.

Dans la même logique, le Premier ministre, Abdallah Hamdok, et le chef du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLA-N), Abdelaziz el-Hillu, ont signé une déclaration de principe au début du mois comprenant six points, dont celui de « la séparation de la religion et de l’État ». Des termes qui marquent une rupture claire avec l’ancien régime et une différence nette avec d’autres soulèvements régionaux.

Pour mémoire

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Plus important encore : même si l’événement n’a pas reçu la couverture médiatique qu’il mérite, le Soudan a conclu un traité de paix historique le 31 août dernier à Juba avec plusieurs groupes rebelles, mettant fin, du moins formellement, à 17 années de guerres, celle du Darfour, déclenchée en 2003, et celle du Kordofan du Sud et du Nil bleu depuis 2011. Dans un pays où la répartition inégale des ressources entre le centre et les périphéries, entre la communauté arabe majoritaire et les minorités ethniques a longtemps nourri les tensions, l’accord jette les bases d’un nouveau Soudan fondé sur des principes d’égalité, de justice et de reconnaissance de sa diversité culturelle.

L’armée aux commandes
Malgré ces nombreuses avancées, qui tranchent avec le sentiment de désespoir prévalant dans le reste du monde arabe, le chemin est encore long.

Le compromis entre civils et militaires est fragile, à plus forte raison du fait que l’armée est soutenue par la triple alliance émirato-saoudo-égyptienne. Cette dernière ne jure que par la stabilité régionale et la lutte contre les Frères musulmans, et n’hésite pas à piocher dans le pays des mercenaires pour ses guerres au Yémen et en Libye. La mainmise de l’institution militaire sur l’économie du pays reste par ailleurs considérable, et d’aucuns la perçoivent comme l’obstacle numéro un à l’action du gouvernement.

Les autorités ont décrété l’état d’urgence économique le 10 septembre pour juguler la chute vertigineuse de la livre face au dollar. Au mois d’août, le pays a connu un taux d’inflation de 146 %. « La corruption est toujours endémique. Il y a des institutions qui n’ont pas été démantelées. L’ancien régime gérait l’État à travers un appareil complètement politisé et créait de nombreux systèmes parallèles », commente Mohammad Farug, vice-président du Parti soudanais de l’alliance nationale et très actif au sein des Forces pour la liberté et le changement, fer de lance de la contestation. La sécession du Soudan du Sud en 2011 a privé Khartoum des trois quarts de sa production en or noir, alors que le pouvoir avait fait de la rente d’extraction le pilier de son économie. La situation actuelle a, comme ailleurs, été aggravée par le coronavirus. Pour couronner le tout, les Soudanais doivent à présent composer avec le lourd bilan humain et matériel des inondations récentes qui ont dévasté le pays et affecté plus de 500 000 personnes.

« Les comités de résistance sont en faveur d’un véritable changement socio-économique. Mais cela ne se reflète pas au niveau du gouvernement, car celui-ci est basé sur un compromis avec les militaires. Or, ces derniers défendent la conformité au modèle libéral, indique Gilbert Achkar, professeur en études du développement et relations internationales à l’École des études orientales et africaines (SOAS), Université de Londres. Plus encore, il existe une volonté de se plier aux desiderata de Washington sous prétexte d’ouvrir la voie à une aide américaine et mondiale ». Une dynamique qui s’est illustrée par le rapprochement entre l’armée et Israël, au grand dam d’une partie du mouvement populaire. Le pouvoir en place cherche à retirer Khartoum de la liste noire américaine des pays soutenant le terrorisme, les sanctions imposées par les États-Unis depuis les années 1990 bloquant tout investissement au Soudan.

Quant aux avancées sociétales, les réformes apparaissent trop timides pour la base de la contestation. « Il n’y a pour l’heure aucune loi qui distingue le viol de l’adultère. La loi permet toujours à un père de donner sa fille en mariage dès l’âge de 10 ans. Elle impose encore des punitions horribles, comme la crucifixion ou le fait de couper les mains et les jambes des voleurs », note Hala el-Karib, militante soudanaise pour les droits des femmes.

Même sur la question du traité de paix, les nuances sont de mise. Il n’intègre ni le SPLA-N ni le Mouvement de libération du Soudan. En outre, l’accord a été principalement négocié par le général Mohammad Hamdan Daglo, vice-président du CS, accusé d’avoir commis des atrocités au Darfour, dans un contexte où la violence se poursuit toujours dans les zones concernées. Fin juillet, au moins 60 personnes, en majorité issues de la communauté masalit, ont été tuées par plusieurs centaines d’hommes armés dans la localité de Masteri. Selon l’ONU, plus de 300 000 personnes ont perdu la vie et 2,5 millions ont été déplacées depuis le début du conflit.

L’heure n’est pas à l’optimisme, et pourtant, en comparaison aux autres pays de la région, le Soudan suscite une lueur d’espoir.

Un traité de paix qui met fin à 17 ans de guerres, une transition démocratique qui se fait sans violence : ce qui se passe au Soudan depuis bientôt deux ans mérite d’être suivi de près tant le pays vit aujourd’hui une expérience unique dans le monde arabe, même si les spécialistes et les activistes appellent à la prudence.Alors que la plupart des soulèvements régionaux –...

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