
Inondation dans le village de Wad Ramli, à 50 km de Khartoum, sur la rive est du Nil, le 26 août 2020. Ebrahim Hamid/AFP
Cent deux trépassés, des dizaines de blessés, 100 000 foyers effondrés en partie ou totalement et près de 5 000 têtes de bétail perdues. C’est le bilan provisoire relatif aux inondations causées par les pluies torrentielles qui dévastent le Soudan depuis plus d’un mois.
Une partie de la ville d’Omdourman, jouxtant Khartoum, la capitale, est sous les eaux. Le pays n’est, certes, pas étranger aux fortes précipitations. Mais si elles s’abattent généralement entre juin et octobre, elles ont, cette fois-ci, dépassé les tristes records atteints en 1946 et en 1988, forçant le gouvernement à déclarer, lundi dernier, un état d’urgence de trois mois. Les deux États les plus touchés sont ceux du Darfour-Nord (Ouest) et de Sennar (Sud). Dans les zones les plus affectées, les eaux ont tout emporté avec elles, maisons, véhicules, végétations. Des hommes et des femmes tentent, tant bien que mal, de récupérer ce qui reste de leurs biens, embourbés dans l’eau qui leur arrive jusqu’à la taille. D’autres observent, avec détresse, le désolant spectacle provoqué par les inondations, ces tuiles cassées et ces meubles qui flottent parfois loin de leurs propriétaires. Parmi ceux qui ont été évacués des zones sinistrés, certains se sont réfugiés dans des écoles à proximité, voire parfois sur des terrains de football.
« La situation actuelle est plus calme maintenant car les niveaux du Nil sont stables et on attend une baisse dans les jours à venir. Cela nous donnera l’opportunité de répondre aux besoins des gens plutôt que d’être uniquement focalisés sur les services d’urgence », commente Ibrahim Alsafi, volontaire, basé à Khartoum, au sein de l’initiative Nafeer. Lancée en 2013, cette dernière rassemble des milliers de jeunes qui souhaitent porter secours à leurs communautés durant la saison des pluies.
Barrage de la Renaissance
Un comité chargé d’étudier l’impact des inondations a prévenu la semaine dernière que le pays pourrait être sujet à de nouvelles averses torrentielles, et que le niveau des eaux dans le Nil bleu avait atteint un record de 17,58 mètres. Le site antique de Bajrawiya, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2003 et abritant les ruines de la capitale de l’ancien empire méroïtique, est lui aussi menacé. Les inspecteurs du service des antiquités soudanaises ont érigé des barrages et pompent l’eau afin d’éviter qu’elle n’atteigne le lieu. Le ministre de l’Information et de la Culture s’est en outre rendu sur place pour évaluer les mesures à prendre afin de sécuriser le site. Mais si le niveau du Nil continue de monter, ces mesures pourraient s’avérer insuffisantes.
Selon le ministre de l’Irrigation et des Ressources en eaux, Yasser Abbas, le niveau de l’eau devrait toutefois progressivement baisser dans les semaines à venir. Au cours d’une conférence de presse tenue le 8 septembre, M. Abbas a déclaré que le stockage dans les réservoirs du barrage de Roseires dans l’État du Nil bleu et du barrage de Merowe dans l’État du Nord avait permis d’atténuer le désastre. « Lorsque la construction du barrage de la Renaissance éthiopienne sera achevée, le débit du Nil bleu sera régulé et le Soudan ne souffrira plus d’inondations », a-t-il affirmé.
Cette déclaration intervient alors que le Soudan, l’Égypte et l’Éthiopie n’ont pas réussi à conclure un accord au cours du dernier cycle de négociations concernant le barrage de la Renaissance (Grand Ethiopian Renaissance Dam, GERD), bien qu’ils aient été censés en présenter une première version à l’Union africaine le 28 août dernier. Pour le journal basé à Abou Dhabi The National, la destruction causée « rappelle les conséquences dévastatrices que causerait une brèche dans l’énorme barrage hydroélectrique construit par l’Éthiopie. (…) Le Soudan n’a cessé de demander que ses experts et ceux de l’Éthiopie coopèrent autour du GERD, situé à seulement 19 kilomètres de sa frontière est ».
« Les gens ont besoin d’abris »
Les autorités soudanaises, de concert avec les Nations unies, déploient actuellement une aide à des dizaines de milliers de personnes ayant perdu leur foyer. Mais la réponse est beaucoup trop lente pour ceux qui sont dorénavant contraints de camper au bord des routes et qui ne savent quand ils en verront la couleur. D’autant plus que, selon les Nations unies, près d’un demi-million de personnes sont directement touchées par les crues.
Face au drame, de nombreux Soudanais se sont tournés vers des solutions de fortune telles que les barrages humains, le temps que les municipalités mettent à disposition des pelleteuses pour enterrer l’eau sous terre. La solidarité horizontale mobilise la population. Les uns viennent en aide aux autres et portent secours aux déplacés, bâtissent des structures et distribuent des produits de première nécessité aux familles. « Les gens ont besoin d’abris. Nous utilisons des couvertures plastique pour les construire car le prix des tentes est trop élevé cette année. Nous fournissons également de la nourriture, de l’eau potable et des services médicaux », explique Ibrahim Alsafi. Le Soudan traverse une grave crise économique aux racines profondes. Le taux d’inflation en avril dernier avait atteint 99 %. Une situation déjà difficile que n’a fait qu’aggraver la pandémie liée au coronavirus.
Nafeer a mis en place une permanence téléphonique pour recevoir les demandes d’assistance. Une équipe se charge ensuite d’aller sur les lieux pour évaluer la situation, ensuite une autre s’attelle à la distribution des biens et des services. « Nous travaillons aussi avec des équipes d’urgence qui coopèrent avec les équipes scouts pour évacuer ceux qui en ont le plus besoin », indique M. Alsafi.
Pour de nombreux chercheurs et activistes, les inondations sont directement liées au changement climatique. « Comme nous pouvons le voir à travers ce qui se passe dans la région du Sahel, le changement climatique est une réalité et s’accentuera si des mesures urgentes ne sont pas prises pour limiter l’augmentation globale de la température », a déclaré dans un communiqué de presse publié le 9 septembre Landry Ninteretse, directeur Afrique de 350.org, une organisation non gouvernementale environnementale internationale.