D’un côté, les États-Unis, de l’autre, presque tout le monde. À l’approche de l’échéance mettant un terme au blocus onusien sur les armes à destination de l’Iran, prévue pour le 18 octobre prochain, Washington fait bande à part. Sa résolution visant à prolonger indéfiniment l’embargo mise en échec au Conseil de sécurité, la Maison-Blanche n’a eu aucun mal à agiter sa dernière carte en août dernier : le procédé du snapback, un mécanisme permettant aux États-Unis d’invoquer leur participation initiale à l’accord de Vienne conclu entre la République islamique et les Occidentaux en 2015 pour obtenir la réimposition automatique de toutes les sanctions préexistantes. Dimanche, le délai d’un mois depuis le déclenchement de la procédure américaine arrivera à son terme.
Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait exhorté le Conseil de sécurité au cours d’une réunion tenue le 30 juin à prolonger l’embargo en qualifiant l’Iran de menace continue pour la paix et de principal parrain du terrorisme au monde. Peine perdue. La Chine et la Russie ont, sans grande surprise, voté contre le 14 août dernier. Onze autres membres se sont de leur côté abstenus, dont la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, soit les trois pays européens signataires de l’accord sur le nucléaire. Selon eux, c’est la validité même de la demande américaine qui est en cause : les États-Unis ne font plus partie depuis 2018 de l’accord de Vienne et ne disposent donc d’aucune base légale pour provoquer un retour des sanctions internationales à l’ONU. Tandis que Mike Pompeo accusait le coup, qualifiant la décision européenne de « sérieuse erreur », le président iranien Hassan Rohani jubilait, y percevant une « défaite humiliante » pour la diplomatie américaine. Mais la Maison-Blanche n’a pas dit son dernier mot. Selon plusieurs sources contactées par Reuters, Donald Trump prévoit désormais de promulguer un décret exécutif permettant aux États-Unis d’imposer des sanctions à quiconque violerait l’embargo sur les armes conventionnelles contre l’Iran.
« Avantage de propagande »
Fort de ses multiples succès diplomatiques, à commencer par la signature, le 15 septembre, de deux accords bilatéraux entre Israël, le Bahreïn et les Émirats arabes unis, normalisant les relations de l’État hébreu avec deux pays du Golfe, Donald Trump ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Certes, la politique des États-Unis de pression maximale n’a pas abouti à son objectif ultime, à savoir la chute du régime, mais l’Iran traverse aujourd’hui une grave crise économique et l’axe de la résistance est mis à mal dans toute la région, même s’il montre les muscles. En réponse au retrait américain, Téhéran s’est désengagé sur plusieurs points de l’accord de Vienne, à savoir sur le niveau d’enrichissement et sur le stock d’uranium enrichi, sur le nombre et le développement de ses centrifugeuses. Mais même là, la République islamique n’est pas en position de force. En témoigne la mystérieuse explosion en juillet sur le site nucléaire de Natanz, qualifiée par les autorités d’opération de « sabotage » et susceptible de ralentir le programme nucléaire sur plusieurs mois, voire sur une à deux années.
Une fois promulgué, le décret exécutif signifierait que les acteurs étrangers seront soumis aux sanctions américaines s’ils achètent ou vendent des armes à Téhéran. Le tout est désormais de savoir à quel point cette démarche revêt un caractère dissuasif pour les principaux concernés.
« Cette politique isole davantage les États-Unis de ses amis et donne à ses adversaires un avantage de propagande », commente pour L’Orient-Le Jour Aaron David Miller, ancien négociateur au sein d’administrations américaines républicaines et démocrates. « Les questions-clés sont de savoir ce qui se passera si Washington décide d’imposer des sanctions aux États qui ne se conforment pas et comment l’Iran réagira », ajoute-t-il. Le sujet ne concerne pas les trois pays européens qui ont déjà signifié avoir de graves préoccupations quant à l’expiration de l’embargo mais restent convaincus que le meilleur moyen de garder l’Iran sous contrôle passe par le plan d’action global commun (JCPOA). Pour d’autres, il en va autrement. « Cela concernerait certainement la Russie », affirme ainsi Aaron David Miller. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, s’est rendu à Moscou deux fois cet été pour discuter de l’avenir de l’accord nucléaire, ainsi que de la réponse coordonnée à la campagne américaine visant à prolonger l’embargo. Moscou pourrait toutefois avoir quelques réserves à trop approfondir cette relation. Selon le site d’information al-Monitor, cette prudence serait, entre autres, animée par l’épisode de l’abattage de l’avion ukrainien en janvier dernier, qui aurait souligné la faible capacité de l’armée iranienne à affronter le stress. Mais c’est surtout la position de Moscou comme médiateur dans la région qui est en jeu. Dans cette perspective, l’axe Téhéran-Moscou est à contrebalancer avec l’axe Russie-Israël. En mai 2019, la Russie avait rejeté – bien qu’elle soit ensuite revenue sur ses propos – la demande iranienne d’acheter des S-400 par crainte d’attiser plus de tensions dans la région entre Téhéran d’un côté, l’État hébreu et les pays du Golfe de l’autre.
Pour l’heure, l’unilatéralisme de l’administration Trump donne lieu à un véritable imbroglio diplomatique à travers une double réalité juridique. Comment s’appliquera-t-elle si Washington annonce le retour des sanctions alors que le groupe des trois les conteste ? Paris, Berlin et Londres retiennent leur souffle en attendant le 3 novembre prochain et la tenue de l’élection présidentielle américaine, en caressant l’espoir qu’elle puisse sensiblement modifier la configuration actuelle. L’adversaire démocrate de Donald Trump, Joe Biden, a ainsi promis de réengager les États-Unis dans l’accord de Vienne si, et seulement si, l’Iran respecte scrupuleusement toutes les conditions.
commentaires (3)
Que l'Iran laisse tranquille leLiban et qu'il aille se voir avec Alexandre le grand
Eleni Caridopoulou
16 h 59, le 19 septembre 2020