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Culture - Édition

La « nouvelle » annexée par la littérature arabe : introspection et petits soucis de la réalité libanaise...

Place à deux recueils de nouvelles en langue arabe par des écrivains libanais, Bachir Azzam et Jana Nasrallah, qui fraient en toute tranquillité le chemin à une littérature nouvelle. Une expression accessible et courte, surtout. Pour des récits multiples mais brefs d’un Orient certes lumineux, mais ô combien tourmenté et instable...

La « nouvelle » annexée par la littérature arabe : introspection et petits soucis de la réalité libanaise...

Le recueil de nouvelles signé Bachir Azzam. Photo DR

La nouvelle, presque enfant pauvre de l’expression littéraire écrite, n’a jamais eu le vent en poupe en littérature arabe moderne. Ou si peu. Mais le manque de temps pour le lecteur, aussi bien que pour l’écrivain, dans un univers contemporain toujours plus rapide, a fini par creuser son sillage. La nouvelle semble tirer son épingle du jeu.

Elle pointe le bout du nez à chaque rentrée littéraire et s’impose actuellement comme un genre, certes à part, plébiscité car il recueille l’enthousiasme et les faveurs du public… En cette veille d’automne, deux livres portent haut l’étendard de la nouvelle aux éditions Naufal Hachette-Antoine. En explorant aussi bien le domaine personnel de l’individu et sa complexité dans ses rapports humains, qu’en narrant le drame de vivre en Orient, surtout pour les classes défavorisées. Drame des ennuis, anodins peut-être, mais qui ont des allures de montagne dans la tête du citoyen....

À l’ombrelle de Shakespeare….

On entre dans le vif du sujet avec Bachir Azzam qui publie Nazaran li dik el-wakt (Vu le manque de temps – 167 pages), son premier recueil de nouvelles. Cet auteur a toujours entretenu un lien étroit avec la nouvelle, en publiant dans différentes compétitions littéraires en langue arabe, au gré de ses pérégrinations... Grand voyageur, vivant et travaillant aujourd’hui à Vienne, après avoir publié en 2011, avec le concours du romancier Jihad Bazzi, un opus intitulé Malek el-loto (Le Roi du Loto), Bachir Azzam semble être possédé par l’écriture qui fait partie intégrante de sa vie. Elle se révèle être un moyen de se révolter et contrer l’absurde... Car, dans son esprit, il y a une bonne graine de darwinisme. Dans une architecture singulière, accès à l’univers fictionnel à travers trois portes aux battants mi-ouverts et mi-fermés, l’auteur de 41 ans, né au Koweït, déploie ses 19 nouvelles comme une illustration de l’absurde de l’existence… À travers des scènes qui appellent à une approche mathématique, scientifique, physique et de réactions en chaîne chimique. De la conjugalité aux rapports amoureux passionnels en passant par la paternité, la filiation et les dérives sexuelles, l’individu est scanné sous une optique darwiniste. Résultat, un curieux mélange et éclairage d’une culture sophistiquée, pour s’entretenir de la complexité de la nature humaine.

Pour seules armes de distanciation, Bachir Azzam use de sarcasme et d’ironie. Et livre des textes à l’écriture ciselée dans un subtil emploi de la langue arabe, afin de s’entretenir de la misère humaine et de la notion du destin, de la destinée…Un opus dense, à la pensée tendue malgré un brin d’humour noir et vaguement hermétique pour tenter d’expliquer les contradictions et les mésententes humaines. Et dont l’inspiration provient sans nul doute les lectures plurielles de José Saramanga, Herman Hesse, José Luis Borges et Gabriel Garcia Marquez, qui nourrissent ces pages teintées de philosophie et d’un certain surréalisme. Sans oublier de mentionner les écrits de Shakespeare, tragi-comédie de la vie humaine, qui figurent en constante citation de ces textes secrets et révélateurs de ce qui anime les corps et les âmes des vivants…

« Taraf al-Hawajess » ou « Le luxe de la peur », signé Jana Nasrallah.

Des méandres de l’âme à la réalité nue…

Changement de monde et d’optique, pour être au plus près de la réalité. Avec une évidente exclusion de la fiction. Telle est l’écriture de Jana Nasrallah, journaliste qui a collaboré avec al-Hayat, as-Safir, an-Nahar et romancière (auteure notamment de Al-Naoum al-Abiad (Le sommeil blanc, 2015), Rahil al-Moudon (Le départ des villes, 2018). Celle qui affirme d’emblée que l’écriture est pour elle « un plaisir et une manière de m’exprimer », avoue qu’écrire son premier recueil de nouvelles, intitulé Taraf al-Hawajess (Le luxe de la peur, 190 pages), représentait une sorte de défi. « Douze nouvelles dont le thème dominant est le petit souci quotidien qui prolifère et prend, mine de rien, une place immense dans nos vies… », indique l’auteure. « Un locataire qui n’arrive plus à dormir à cause du rideau du voisin mal tiré ; une dame, la cinquantaine élégante, qui se suffit de son canapé Chesterfield ; un cancéreux en quête de compassion ;

les exactions sur Facebook ; les tourmentes de la retraite… Une brochette de divers personnages en prises avec les petits riens de la vie et du quotidien… Ce qui est presque anodin devient important et préoccupant. Je n’ai pas de message particulier et encore moins une leçon à donner dans ces textes, mais je veux simplement refléter la réalité. Même si elle n’est pas toujours reluisante… », souligne Jana Nasrallah.

« Après tout, c’est la vie, c’est notre vie, ajoute l’écrivaine. Je suis heureuse et j’ai atteint mon but lorsque les gens me disent : c’est ainsi que nous vivons mais nous ne savons pas le mettre par écrit comme vous… Mon style est simple et accessible. Et comme on dit dans une tournure arabe, bien élogieuse pour moi, la critique est aisée mais l’art est difficile… C’est un style fluide mais qui a nécessité du travail pour atteindre cette facilité…», assure-t-elle.

Y a-t-il un nouveau travail en chantier pour la nouvelliste en herbe qu’elle est ? « Si la nouvelle m’a réconciliée avec mon métier de journaliste, il est clair que je préfère le roman. Je considère ces textes comme un temps de répit, de repos. Bien sûr, il y a des projets, mais il faut d’abord digérer toutes ces situations extrêmes entre pandémie et distorsions sociales, financières, politiques d’une mal gouvernance inouïe », dit-elle. Avant de conclure : « Le temps ici est un facteur de poids… »

« Nazaran li dik al-Wakt » de Bachir Azzam (167 pages - Hachette-Antoine Naufal

« Taraf al-Hawajess » de Jana Nasrallah (190 pages - Hachette-Antoine Naufal ).

Les deux ouvrages sont disponibles en librairie.

La nouvelle, presque enfant pauvre de l’expression littéraire écrite, n’a jamais eu le vent en poupe en littérature arabe moderne. Ou si peu. Mais le manque de temps pour le lecteur, aussi bien que pour l’écrivain, dans un univers contemporain toujours plus rapide, a fini par creuser son sillage. La nouvelle semble tirer son épingle du jeu. Elle pointe le bout du nez à chaque rentrée...

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