
Les pompiers se sont battus des heures durant contre le feu dans un hangar de la zone franche du port, hier. Photo Nabil Ismaïl
Que dire d’autorités qui, plus d’un mois après la terrible tragédie du 4 août au port de Beyrouth, n’ont pas songé à sécuriser un site de toute évidence hautement dangereux, car truffé semble-t-il de produits chimiques, toxiques, inflammables ou explosifs en tout genre, sans contrôle aucun ? Que dire de la désinvolture officielle et finalement criminelle qui aurait pu être à l’origine d’une seconde catastrophe meurtrière hier, lorsque le feu a pris au port, pour la seconde fois depuis la tragédie du 4 août – elle-même catalysée par un incendie –, dans un hangar renfermant divers produits inflammables, dont de l’alcool et de l’hydroxyde de sodium (soude caustique) qui, au contact du métal et de l’acier, peut entraîner un incendie, voire une explosion ?
Ce ne sont pas les gesticulations officielles toujours tardives qui vont rassurer des milliers de personnes qui craignent aujourd’hui pour leur vie dans un pays où les pièges mortels ne se comptent plus. La réaction de la présidence de la République, qui a convoqué le Conseil supérieur de la défense à une réunion en soirée pour discuter des défaillances à l’aéroport et de la présence au port de produits présentant une menace pour la sécurité publique, est intervenue trop tard : près de 200 personnes sont mortes, des milliers ont été blessées, handicapées ou laissées sans abri et des quartiers entiers dévastés. Tout cela parce que les rapports sur la menace que faisait peser sur la sécurité publique la présence de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées dans le hangar portant le numéro 12 ont été traités par les dirigeants qui en ont été saisis comme une affaire de routine qui n’a pas dépassé l’échange de correspondances.
Pire : même après le drame, les officiels ne se sont pas penchés sur la question de la sécurité portuaire, alors même que le président de la commission parlementaire des Transports et des Travaux publics, le député Nazih Najem, avait alerté la semaine dernière sur la présence de 49 conteneurs au port contenant des produits dangereux.À l’origine du sinistre d’hier, déclenché peu après midi, une opération de soudure du toit d’un des hangars de la zone franche, loué par BCC logistics. Une opération similaire, donc, à celle qui serait à l’origine de l’explosion, le 4 août, de plusieurs tonnes d’ammonium au hangar numéro 12... L’enquête diligentée par le procureur de la République Ghassan Oueidate, à la demande de la ministre sortante de la Justice Marie-Claude Najm, et menée par la police militaire devrait permettre d’identifier les causes exactes du sinistre, qui a provoqué un vent de panique dans la ville, notamment dans les quartiers alentour qui n’ont pas encore eu le temps de panser leurs blessures ni d’oublier, surtout, l’horreur de cette funeste journée du 4 août.
Un hélicoptère larguant de l'eau sur l'incendie, hier, au port de Beyrouth. Photo Joao Sousa
« Je n’arrête pas de trembler »
Plusieurs familles ont immédiatement évacué leurs appartements pour sortir de la capitale. « Je n’ai pas réfléchi une seconde avant de jeter quelques affaires dans un grand sac et de dévaler les escaliers pour aller chez ma sœur à Jbeil, raconte Nadine, mère d’une petite fille de dix ans, jointe au téléphone. J’ai eu peur de prendre l’ascenseur. J’avais l’impression que tout allait exploser de nouveau. » « Dans quel cauchemar vit-on ? Pourquoi nous font-ils ça ? Je n’en peux plus », crie-t-elle ensuite, au bord des larmes. Elle était également chez elle quand portes et fenêtres avaient été soufflées le 4 août dans son appartement d’Achrafieh.
Hier, c’est une fois au volant de sa voiture qu’elle appelle son mari pour lui demander de les rejoindre à Jbeil. « Je n’ai pas l’intention de rentrer chez moi ces quelques jours. Je n’en peux plus », répète-t-elle encore. « On est sûr que ce sont seulement des pneus qui brûlent ? Je n’arrête pas de trembler », confie Nada, qui n’arrête pas de scruter avec inquiétude l’immense colonne de fumée noire qui n’a pas tardé à recouvrir tout Beyrouth. Colonne de fumée toxique qui a contraint ceux qui ont dû rester à Beyrouth à se calfeutrer chez eux.
Au port, les ouvriers ont rapidement et naturellement cédé à la panique. Sur les vidéos relayées sur les réseaux sociaux, on les voit prendre leurs jambes à leur cou dès que le feu a commencé à prendre une proportion terrifiante. « On était en train de travailler et soudain, il y a eu des cris, pour nous dire de sortir », raconte Haitham, un des employés de l’entrepôt, à l’AFP. « Il y avait des travaux de soudure en cours, puis les flammes se sont déclarées, on ne sait pas ce qui s’est passé », ajoute-t-il.
Au-dessus de Beyrouth, et au-delà, le nuage de fumée noire. Joseph Eid/AFP
« Trop de coïncidences »
Beaucoup n’ont pas cru à l’hypothèse des pneus qui brûlent. Trois incendies en un mois au port de Beyrouth, c’est un peu trop de coïncidences, entend-on dire un peu partout. Dans un contexte d’extrême défiance envers les autorités, d’aucuns croient que l’incendie d’hier au hangar de la zone franche et celui de la semaine dernière dans un monticule de déchets étaient provoqués et destinés à cacher des éléments de preuve liés au sinistre du 4 août qui continue de faire l’objet d’une enquête.
Joint par L’Orient-Le Jour, le député Nazih Najm écarte cette hypothèse et assure que le hangar qui a pris feu hier avait été endommagé par la double explosion du 4 août. Les propriétaires des produits qui y sont emmagasinés avaient lancé des travaux de réparation. Certains disent que les ouvriers soudaient l’acier, d’autres qu’ils manipulaient une meuleuse d’angle qui a projeté des étincelles à l’origine du sinistre. Selon M. Najm, le hangar contenait des aliments, des huiles de friture, de la vodka, des pneus, des produits désinfectants, du thé noir, des machines, des produits cosmétiques et des parfums, des équipements médicaux destinés à l’hôpital Saint-Georges de Ajaltoun et de l’hydroxyde de sodium ou soude caustique. Les produits alimentaires étaient destinés au Comité international de la Croix-Rouge et à la Force internationale des Nations unies au Liban (Finul). « Images choquantes du port de Beyrouth. Le hangar en feu contient des milliers d’unités alimentaires et un demi-million de litres d’huile. L’étendue des dégâts reste à déterminer. Notre opération humanitaire risque d’être sérieusement compromise », a annoncé Fabrizio Carboni, le directeur du Comité international de la Croix-Rouge au Proche et Moyen-Orient.
Un hangar adjacent contenait également des pneus importés, selon M. Najm, qui a affirmé avoir obtenu cette liste du bureau des douanes où il s’était rendu pour suivre les opérations de secours, en présence du mohafez de Beyrouth, Marwan Abboud, de la ministre sortante de la Défense, Zeina Acar, et du directeur du port par intérim, Bassem al-Kaissi. Ce dernier a annoncé vouloir interdire à partir d’aujourd’hui le stockage de matériaux inflammables sans autorisation. M. Najm a réaffirmé que 49 conteneurs contiennent des produits dangereux et qu’il a alerté le commandement de l’armée, lequel a promis de s’en occuper sans tarder en précisant toutefois que l’opération prendra du temps.
Le Conseil supérieur de la défense a demandé au cours de sa réunion aux « appareils concernés et à l’administration portuaire de contrôler et d’inspecter le contenu de ces 49 hangars et d’autres conteneurs qui se trouvent actuellement au port » de Beyrouth. Ceux dont le contenu n’est pas réclamé par leurs propriétaires devraient être détruits.
À l’ouverture de la réunion, le président Michel Aoun avait indiqué que « l’incendie pourrait être un acte de sabotage ou le résultat d’une erreur technique » et jugé « inacceptable que des erreurs pareilles se reproduisent ». Il a proposé la mise en place d’une nouvelle réglementation du travail au port, dont la création d’un service de sécurité portuaire.
Quoi qu’il en soit, l’incendie au port a entraîné une cascade de réactions politiques, notamment dans les rangs de l’opposition. Plusieurs personnalités politiques ont ainsi dénoncé en des termes très violents « l’incurie » et la « décrépitude » de l’État.
Que dire d’autorités qui, plus d’un mois après la terrible tragédie du 4 août au port de Beyrouth, n’ont pas songé à sécuriser un site de toute évidence hautement dangereux, car truffé semble-t-il de produits chimiques, toxiques, inflammables ou explosifs en tout genre, sans contrôle aucun ? Que dire de la désinvolture officielle et finalement criminelle qui aurait pu être à...
commentaires (14)
"...les autorités se résignent...?!?...enfin à plancher sur la sécutié publique..." Ouauuuuh, quelle bonne nouvelle ! ...Mais...on aimerait savoir Q U I sont exactement ces fameuses autorités...??? - Un président assis dans son fauteuil trop large pour lui, flottant dans sa bulle d'un autre âge...(bien gardé par des buveurs de thé sri-lankais)...qui ne sait que proposer...mais jamais vraiment et rapidement faire exécuter, même lors des situatiions les plus urgentes et catastrophiques...- Aoutour de lui des ministres, directeurs de...etc., qui n'ont manifestement aucune notion des devoirs de leur fonction, mis à part celle de faire des apparitions médiatiques à grand spectacle pour se justifier, expliquer ou accuser "les autres" à chaque catastrophe. Alors, cette sécurité publque...c'est pour quand ??? Mais, Messieurs, savez-vous seulement ce que cela signifie...vous qui vivez dans vos palais, châteaux et résidences bien protégées ??? Irène Saïd
Irene Said
17 h 46, le 11 septembre 2020