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Lifestyle - Histoire

Ahmad Daouk, une personnalité oubliée de l’histoire du Liban contemporain

Premier ambassadeur du Liban indépendant en France et deux fois président du Conseil, il avait mis en œuvre la loi électorale de 1960 qui a régi les élections législatives jusqu’en 2018.

Ahmad Daouk, une personnalité oubliée de l’histoire du Liban contemporain

Ahmad bey Daouk, premier ambassadeur du Liban indépendant en France, en compagnie du président Chéhab.

« C’est à la fois comme acteur de l’indépendance, figure alternative au système politique libanais traditionnel et chantre d’un rapprochement entre Paris et Beyrouth, que l’actualité du personnage mérite d’être mise en lumière aujourd’hui », écrit Stéphane Malsagne dans la revue pluridisciplinaire de l’Université Saint-Joseph, Travaux et Jours, numéro 95. S’appuyant sur des documents du Quai d’Orsay et un fonds d’archives inédites gérées par la famille Daouk, l’historien – chargé de cours sur le Moyen-Orient à l’Université Paris-IV – retrace l’itinéraire d’Ahmad bey Daouk (1892-1979). Un ambassadeur et homme politique qui ne recherchait ni le pouvoir ni les honneurs. « Hors du jeu clientéliste, il se présentait comme un contre-modèle à la classe politique de son époque, mais aussi à celle du Liban d’aujourd’hui. » Ahmad Daouk est issu d’une famille de notables sunnites de Beyrouth ayant prospéré dans les activités commerciales. Son grand-père est « bazar bachi », c’est-à-dire commerçant et responsable des souks. Son père, Mohammad, qui a fait construire la mosquée al-Daouk de Ras Beyrouth en 1893, est conseiller municipal à Beyrouth. Son frère, Omar, a été président de la municipalité de Beyrouth entre 1915 et 1920, et député de la capitale en 1925 et en 1929.

Parfaitement francophone pour avoir été ancien élève de la Mission laïque française, Ahmad Daouk a suivi ses études d’ingénierie à l’École nationale des arts et métiers d’Aix-en-Provence, en France. Diplômé en 1914, il débute sa carrière aux Sucreries et raffineries d’Égypte, avant d’être chargé d’études hydrauliques et minières par le chérif Hussein de La Mecque qui le promeut colonel honorifique de l’armée du Hedjaz.

Dans l’ère du nationalisme

En 1920, de retour au Liban, alors sous mandat français, Ahmad Daouk occupe diverses fonctions, notamment administrateur de banques et de sociétés, et conseiller municipal de Beyrouth et de Aley. Il s’engage progressivement dans la vie politique quand montent les tensions entre les nationalistes et la puissance mandataire. Il participe au Congrès de Damas, tenu après la grande révolte syrienne de 1925-1926, et s’implique également dans le comité nationaliste arabe de Beyrouth (al-Lajna al-qawmiyya al-arabiyya fi Bayrout). Il ne cache pas non plus son admiration pour Riad el-Solh, qui privilégie le dialogue avec la France plutôt que la confrontation militaire. Ahmad Daouk est en fait un nationaliste modéré.

La vie politique

En 1941, suite à la défaite des forces de Vichy et à la proclamation du général Catroux le 26 novembre de l’indépendance du Liban, Daouk est nommé par le président Alfred Naccache Premier ministre. Le gouvernement qui voit le jour le 1e décembre 1941 sera de courte durée. La question de la pénurie de blé et de la hausse spéculative des prix semble bien en être le motif. Dans sa lettre de démission, datée de juillet 1942, le Premier ministre Ahmad Daouk explique et… dénonce : « Nous nous sommes efforcés d’apporter à ce problème si complexe et si délicat les solutions qui nous ont semblé les plus appropriées, et grâce à nos efforts et à la bonne volonté qui nous animait, nous avons réussi jusqu’à ces derniers jours à faire face à la situation en assurant le ravitaillement du pays. Mais depuis, les événements ont pris une autre tournure ; étant donné leur caractère de gravité et la façon dont ils ont été exploités à des fins politiques, il devenait impossible à un gouvernement soucieux de sa dignité et conscient de ses responsabilités d’assumer plus longtemps le pouvoir. Nous avons donc jugé nécessaire, mes collègues et moi, de céder la place à d’autres (…) » Sami el-Solh formera un nouveau cabinet.

L’indépendance

Les élections législatives du 29 août-5 septembre 1943, qui portent à la Chambre de députés une majorité d’élus appartenant au parti al-Destour, vont permettre à Bechara el-Khoury, élu à la tête de la République, et à Riad el-Solh, désigné Premier ministre, d’affirmer leur détermination à réaliser l’indépendance.

À leur demande de transformer la délégation française en représentation diplomatique et de remettre les pouvoirs aux autorités libanaises , le délégué général de la France libre Jean Helleu répond par la répression. Le président, le chef du gouvernement et certains ministres, dont Camille Chamoun et Philippe Takla, sont arrêtés et détenus dans la citadelle de Rachaya, dans la Békaa. Le temps de pause d’Ahmad Daouk prend fin. Comme la plupart des partisans de l’indépendance, l’ex-Premier ministre voit dans l’arrestation des principaux leaders nationalistes un reniement par la puissance mandataire de ses promesses d’indépendance. Avec le député Henri Pharaon, il prend la direction du Congrès national libanais et organise une résistance passive en maintenant des contacts avec les diplomates étrangers et le « gouvernement provisoire » de Bchemoun, formé par Habib Abi Chahla et Majid Arslane. De leur côté, les Anglais, qui ne peuvent tolérer des troubles alors que la guerre mondiale se poursuit, exigent le règlement de la crise libanaise. Les prisonniers sont libérés le 22 novembre 1943, et le général de Gaulle envoie Catroux pour rétablir le fonctionnement régulier des institutions.

Ahmad bey Daouk, premier ambassadeur du Liban indépendant en France. Photos DR

Quatorze ans en poste à Paris

En 1944, le président Béchara el-Khoury nomme Ahmad bey Daouk ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à Paris. Il prendra officiellement le titre d’ambassadeur de 1953 à 1958. Il occupera parallèlement le poste d’ambassadeur du Liban à Madrid à partir de 1949. Daouk rejoint la France en empruntant le croiseur de la marine française Émile-Bertin. Il est accompagné d’une petite légation formée de Mounir Ghandour (conseiller d’ambassade), Charles Ammoun (conseiller culturel et chef de la délégation libanaise à l’Unesco), Sélim Khaïrallah (attaché économique), Nadia Faddoul (attachée au service consulaire) et Arlette Farah (chargée des relations publiques). Dans un premier temps, les nouveaux diplomates logent à l’hôtel Le Bristol, 112, rue du Faubourg Saint-Honoré. Leurs bureaux sont situés 42, rue Copernic, l’actuelle résidence diplomatique du Liban à Paris, qu’Ahmad Daouk acquiert de manière symbolique avec ses propres deniers, en 1955, avant de la céder à l’État libanais.

En France, après le déplaisant épisode de 1943, l’ambassadeur avait la mission, d’une part, de veiller à maintenir les relations entre les deux pays. Ahmad Daouk procède, d’autre part, au recensement de la communauté libanaise estimée en 1945 à près de 10 000 personnes, dont 2 000 à Paris et 6 000 à Marseille, où, en juin 1954, il inaugure les nouveaux locaux du consulat général du Liban. Et à travers des fêtes organisées à la légation, il tente de fédérer une communauté dispersée et disparate. Il s’attelle ensuite à la création de la Chambre de commerce franco-libanaise (CCFL) qui sera dirigée jusqu’en 1954 par Joseph Khadige, auquel succède le Français Robert Tabouis, président de la Compagnie générale de TSF. L’ambassadeur mène, parallèlement, une vie mondaine liée à son rang. On le voit, par exemple, participer à une partie de chasse à Rambouillet, organisée par le président français René Coty, et entretenir des liens avec des personnalités militaires qui ont joué un rôle au Levant, comme le général Weygand, architecte de l’Armistice du 22 juin 1940. Ahmad Daouk reste en poste à Paris quatorze ans. De son temps, a été inaugurée la première communication radiotéléphonique directe entre la France et le Liban. En 1958, Moussa Moubarak lui succède à ce poste.

Dans l’ère chéhabiste

Ahmad Daouk n’étant pas un leader, ni par son profil ni par son parcours, il rentrait parfaitement dans la logique chéhabiste qui « méprisait la classe politique ». Il était une alternative à Saëb Salam, le zaïm sunnite beyrouthin qui fut le plus virulent adversaire de Chéhab.

Deux ans après son retour de Paris, il est à nouveau Premier ministre en mai 1960. Le président Fouad Chéhab lui confie la tâche de préparer les élections législatives sur la base d’une nouvelle loi électorale, la loi de 1960 qui définit le caza comme circonscription électorale de référence. La mission politique d’Ahmad Daouk s’achève en août 1960, quand est mis en place un nouveau gouvernement composé de 18 membres, dirigé par le leader sunnite Saëb Salam.

Mission diplomatique sur le croiseur Émile-Bertin, envoyé par le général de Gaulle (1945). Photo DR

Les dernières années

C’est ainsi que s’achève pour Ahmad bey Daouk une longue carrière au service de l’État. Au cours de ses dernières années, il occupe des postes d’administrateur auprès de banques (Daher and Co., Bank of Beirut and the Arab Countries et Banque Misr Liban), mais aussi auprès de sociétés industrielles, telles la Compagnie libanaise d’armement et de transport maritime et La Lainière nationale. Il prend la direction de la société de communication Ogero (l’ancienne Radio-Orient). Observateur politique de son temps, l’ancien président du Conseil analyse avec inquiétude les événements précédant le déclenchement de la guerre civile en 1975. Dans un courrier adressé le 27 septembre 1974 à Geneviève Tabouis, l’épouse de l’ancien directeur de la Chambre de commerce franco-libanaise, il écrit : « Que vous raconter de ce qui se passe chez nous, nous traversons une période inquiétante et même dangereuse. Israël ne cesse de nous bombarder journellement. Le sud du Liban commence à s’agiter, mécontent de la situation, et trouve en la personne de l’imam Sadr, chef religieux chiite, un grand leader pour imposer au gouvernement libanais des desiderata difficiles à accorder. Les Palestiniens, les fedayine, un État dans l’État (…) » Voilà les propos d’un politicien et nationaliste modéré qui restent d’actualité.

« C’est à la fois comme acteur de l’indépendance, figure alternative au système politique libanais traditionnel et chantre d’un rapprochement entre Paris et Beyrouth, que l’actualité du personnage mérite d’être mise en lumière aujourd’hui », écrit Stéphane Malsagne dans la revue pluridisciplinaire de l’Université Saint-Joseph, Travaux et Jours, numéro 95....

commentaires (1)

Non, non et non, l'histoire n'oubliera jamais des grands hommes libanais et sûrement pas Ahmad Daouk! Mais...sûrement elle oubliera, sinon elle le fera sous l'insistance légitime du Peuple LIBANAIS, la clique qui nous gouverne par la force et la tricherie!

Wlek Sanferlou

17 h 18, le 08 septembre 2020

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Commentaires (1)

  • Non, non et non, l'histoire n'oubliera jamais des grands hommes libanais et sûrement pas Ahmad Daouk! Mais...sûrement elle oubliera, sinon elle le fera sous l'insistance légitime du Peuple LIBANAIS, la clique qui nous gouverne par la force et la tricherie!

    Wlek Sanferlou

    17 h 18, le 08 septembre 2020

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