Deux semaines. Cela fait plus de deux semaines, que notre monde a chamboulé à cause de ce funeste 4 août ! Un jour qui sera à jamais creusé dans la mémoire des Libanais comme étant maudit et maléfique. Le jour où une bombe éclata dans le port de Beyrouth, emportant avec elle nos amis, nos parents, nos proches, nos maisons, mais aussi nos rêves et notre sens de sécurité. Elle laissa derrière elle un monde de chaos et de destruction, un monde meurtri et ensanglanté. Elle empreigna nos bouches d’un goût amer et creusa dans nos ventres un énorme vide qui sera malheureusement très difficile à combler !
Pourtant, 2020 n’avait pas commencé sans son lot de malheurs ! Démarrant sur les chapeaux de roues avec une pandémie globale, qui force le monde entier à rester cloîtré chez lui pendant de longs mois, ces quatre chiffres commencent à être synonymes de malheur partout, mais surtout ici. Chez nous, la corruption avait atteint un seuil record à tous les niveaux. Cependant, nous croyons dur comme fer à un avenir meilleur. Après tout, ne méritions-nous pas un peu de paix après tout ce que nous avions enduré depuis la naissance ?
Réalisant qu’il était grand temps de prendre notre destin en main, nous descendons par milliers, ce fameux jour du 17 octobre 2019, dans les rues du pays entier afin de réclamer nos droits. Nous oublions nos différences et, nous tenant farouchement les mains, nous hurlons à l’unisson : « Thawra ! Thawra ! Révolution ! Révolution ! ». Un nouveau mouvement était né, plein d’espoirs et de rêves non réalisés. Il nous poussait à avancer afin de sauver nos cocons douillets et d’essayer de vaincre la corruption qui avait réussi à s’insinuer jusqu’à dans nos maisons. Et pourtant, même nos havres de paix nous serons volés !
L’été arriva, enfin ramenant avec lui un peu de répit. Nous pouvions nous asseoir au balcon et profiter de l’air du soir en buvant nos boissons fraîches au chant des cigales. Nous pouvions finalement sortir promener les enfants au bord de l’eau, tout en évitant de nous rapprocher des autres. Nous essayons autant que possible de recréer un semblant de vie afin de ne pas trop les déstabiliser et retrouver un peu de bonheur dans les petits plaisirs du quotidien. Nous étions coincés ici à cause des banques ? Aucun problème ! Nous irons prendre des hôtels au bord de la mer, et explorer Batroun avec ses restaurants en bord de plages, sa cuisine méditerranéenne et ses poissons frais. Nous ne pouvons pas nous éloigner à cause du travail ? Aucun problème ! Nous irons nous asseoir en terrasse dans les restaurants de Beyrouth qui avaient instauré mieux que quiconque les règles du « social distancing ». Nous irons nous promener dans les quartiers de Gemmayzé et nous y asseoir pour boire un coup. Nous irons explorer les quartiers de Mar Mikhaël et son charme culturel en mangeant des glaces. La vie à Beyrouth était certainement difficile, cet été encore plus que les autres, mais on pouvait y vivre malgré tout, et même y prendre un peu de plaisir.
Sauf que, malheureusement, nous n’étions pas au bout de nos peines ! Ce jour-là, tout était comme à son habitude et le soleil brillait de mille feux. Les enfants jouaient avec leurs amis, les parents se retrouvant en petit comité afin de ne pas les laisser cloîtrés à la maison. Les bars et les restaurants se préparaient à accueillir les fêtards. Ceux qui avaient fini leur travail rentraient chez eux, fatigués.
Vers 6h, une petite fumée se forma à l’horizon. Les pompiers furent appelés; un grand feu commençait à prendre de l’ampleur dans le port. Un groupe de dix héros se forma, sans savoir que leur mort était déjà scellée, sans savoir que leur meurtre était prémédité ! Quelques minutes plus tard, une énorme explosion retentit dans tout Beyrouth et fit trembler le pays entier. Même Chypre la ressent.
Une explosion qui détruit les familles, brise des vies, emportant tout, absolument tout sur son passage ; les espoirs, les rêves et les projets d’avenir. Ceux qui ont survécu ont pourtant l’impression d’être morts-vivants. Ils semblent errer sans but, en attendant que ce cauchemar finisse enfin. Beaucoup l’ont carrément échappé belle, par je ne sais quel miracle, et pourtant nous n’avions pas l’impression d’être chanceux. Nous n’arrivions pas à être reconnaissants ! Nous sommes tellement pétrifiés à l’idée de ce qui aurait pu se passer que nous n’arrivions pas à calmer les battements saccadés de nos cœurs ! Nous sommes tellement brisés à cause de la mort de toutes ces innocentes victimes, que nous avions l’impression d’avoir perdu une partie de nous-même ! Toutes ces innocentes victimes qui ont perdu leur vie, tous ces parents qui ont perdu leurs enfants et leurs proches, comme ça, pour rien. À cause de la nonchalance et de la corruption. Cela est un crime contre l’humanité, un génocide commis par ce pseudo- gouvernement !
Cette fois-ci, c’est trop dur ! Cette fois-ci, nous ne pouvons plus nous relever et avancer comme si de rien était! Cette fois-ci, je ne veux pas que Beyrouth se relève et continue d’avancer. Pas avant d’avoir condamné les responsables. Pas avant que nos envies de vengeance soient assoiffées. Pas avant que nous rendions justice aux centaines de morts, aux milliers des blessés et de maisons détruites.
Cette fois-ci, c’est trop dur, mais il faut quand même essayer de perdurer, malgré tout. D’épauler ceux qui ont été directement atteints, ceux qui n’ont pas eu notre chance. Aujourd’hui, c’était malheureusement leur tour et si rien ne change, la prochaine fois cela sera sûrement le nôtre !
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