Rechercher
Rechercher

Tueurs en série

Des anges ou alors des démons, capables du meilleur comme du pire : ainsi peuvent se révéler des citoyens laissés à eux-mêmes en pleine situation de catastrophe.


Ce phénomène, il est vrai que même des nations dites évoluées l’ont passagèrement vécu, lors de cataclysmes naturels ou encore d’émeutes. Mais si, au Liban, le contraste est d’une telle brutalité entre ces deux faces antagonistes de la nature humaine, ce n’est pas seulement en raison du monstrueux bilan de l’explosion survenue dans le port de Beyrouth. Ce n’est pas non plus parce que le honteux spectacle des charognards s’en allant piller les maisons à demi écroulées des quartiers sinistrés ne pouvait faire le poids face à celui des bénévoles jeunesses déblayant les rues encombrées d’éboulis, préparant et distribuant des repas, réconfortant psychologiquement les familles en détresse : se livrant à une exaltante démonstration de solidarité, de responsabilité civile, là même où nul officiel n’ose encore s’aventurer, de peur d’être lynché. Non, si le cas du Liban est absolument unique, c’est en raison du mépris de la vie des gens, sans cesse voués à verser le tribut du sang, qui caractérise une classe dirigeante aussi incapable que corrompue. S’il en fallait encore une preuve, elle est là depuis ce fatidique 4 août, et tout porte à croire hélas qu’elle ne sera pas la dernière…


Car on ne se lassera pas de le répéter : aussi énormes et criminelles soient-elles, nulle imbécillité, nulle inconscience au monde ne pourront jamais expliquer, à elles seules, l’enchaînement des faits qui ont conduit au déchargement, en bordure de la capitale, puis à l’entreposage, au long séjour et finalement à l’explosion de la mortelle cargaison d’ammonitrate. Il y a des années déjà que sont dénoncées en vain, par d’héroïques journalistes d’investigation, les scandaleuses irrégularités dont se rendent coupables, à l’unisson, les autorités portuaires, douanières et sécuritaires ; des années aussi que plane sur le port la hantise, largement partagée au sein de l’opinion, de matériel de guerre illégalement importé et dormant à proximité directe de zones fortement peuplées. Les mêmes suspicions pèsent, au demeurant, sur cet autre poumon du Liban qu’est l’Aéroport international de Beyrouth, et il faudra bien que toute enquête sérieuse remédie à cette létale infection des voies respiratoires dont souffre, en sus de tous ses maux, notre pays.


Mais n’est-ce pas trop espérer, à moins d’une investigation internationale ? Que l’on cesse surtout d’opposer à ce vœu l’expérience jugée décevante, et onéreuse aussi, du Tribunal spécial pour le Liban, dont le verdict fait songer à ces auberges espagnoles où tout un chacun trouvera de quoi répondre à ses convictions. Cette cour a tout de même prononcé une franche condamnation, défini l’appartenance du coupable et clairement pointé du doigt les parties qui profitaient de ce crime terroriste et politique qu’était l’assassinat, en 2005, de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ; et si la contribution financière du Liban à cette juridiction frôle le demi-milliard de dollars, ce n’est toujours là qu’un petit centième des sommes détournées en magouilles dans le secteur de l’électricité…


À l’heure où l’hécatombe du port commande des mesures drastiques, voilà cependant que la politique politicienne revient meubler la triste actualité, avec les tractations visant à former un nouveau gouvernement. Par un de ces paradoxes dont la vie publique libanaise a le secret, ce sont les rivaux politiques de Saad Hariri qui, pour la plupart, œuvrent à son retour au Sérail, et ses alliés traditionnels qui font la moue. Mais que dire du sentiment d’une opinion publique avide de changement et que le président de la République croit amadouer en réservant à la vox populi un ou deux strapontins ministériels ?


Révolu est le temps des promesses creuses, assurent les Américains ; c’est un gouvernement de mission que prônent, de leur côté, les Français. Mais user des mêmes ingrédients avariés que par le passé serait courir à la mission impossible. La série culte du même nom débute toujours par le célébrissime message qui s’autodétruira dans cinq secondes. Que la crédibilité de base fasse une fois de plus défaut et c’est dans le même petit nuage de fumée que s’évanouira tout programme gouvernemental.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Des anges ou alors des démons, capables du meilleur comme du pire : ainsi peuvent se révéler des citoyens laissés à eux-mêmes en pleine situation de catastrophe. Ce phénomène, il est vrai que même des nations dites évoluées l’ont passagèrement vécu, lors de cataclysmes naturels ou encore d’émeutes. Mais si, au Liban, le contraste est d’une telle brutalité entre ces deux...