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Économie - Explosions de Beyrouth

Comment les dons en devises sont-ils transférés au Liban ?

Une initiative permet d’effectuer des donations en cryptomonnaie à des organisations caritatives et d’aide humanitaire locales.

Comment les dons en devises sont-ils transférés au Liban ?

Des enfants libanais aident à déblayer les rues du quartier de Gemmayzé, à Beyrouth, quelques jours après la double explosion du port. Photo AFP

Suite à la double explosion qui a secoué le 4 août le port de Beyrouth et des pans entiers de la capitale, faisant les titres des médias du monde entier, un incroyable élan de solidarité internationale a convergé vers le Liban. Mais la corruption endémique qui gangrène l’ensemble de l’administration, ainsi que les restrictions illégales et informelles mises en place par les banques en marge de la crise que traverse le pays depuis un an effraient certains donateurs étrangers. « Avec plusieurs amies, nous avons rassemblé une cagnotte pour envoyer de l’argent directement à des connaissances vivant dans les quartiers dévastés par la double explosion. Mais avec la crise économique et les restrictions bancaires, j’ai peur que l’argent n’arrive pas ou soit dévalué à sa réception », explique Constance Léon, habitant à Marseille. Cette méfiance, Nathalie Bouffioux, belge résidant à Paris, la partage aussi : « Je veux faire un don mensuel permanent à une association libanaise comme la Croix-Rouge, Arcenciel ou Animals Lebanon, mais je crains que cet argent ne soit détourné d’une manière ou d’une autre. »Ces inquiétudes seraient cependant infondées, à en croire plusieurs acteurs issus des milieux caritatifs et humanitaires, ainsi que du secteur bancaire, que L’Orient-Le Jour a contactés. Tous l’assurent : les dons en devises sont bien réceptionnés à l’égal de leur valeur nominale à l’envoi, selon le taux de conversion appliqué entre la devise émettrice et le billet vert, et seront directement déboursés sur le terrain pour aider l’ensemble des Beyrouthins touchés par la tragédie.

« Dollars frais »

Plus de 8,5 millions de dollars de dons de l’étranger ont été reçus par la Croix-Rouge libanaise en moins d’une semaine après le 4 août. Selon le sous-secrétaire général de l’organisation, Nabih Jabr, « toutes les donations reçues de l’étranger sont retirées en dollars frais et contribuent pleinement à financer notre plan d’aide », enclenché quelques minutes après la double explosion.

De fait, selon plusieurs sources bancaires, les montants transférés en dollars depuis l’étranger peuvent être retirés sans aucune restriction, et ce autant pour les particuliers que pour les associations, à la seule condition de posséder déjà un compte dans la banque vers laquelle l’argent est transféré. « Nous pouvons facilement donner jusqu’à 50 000 dollars frais par jour en espèces au guichet et 2 000 dollars via les machines de distribution automatique », précise une autre source bancaire.

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La Banque du Liban (BDL) a consacré au printemps l’obligation pour les banques de laisser les déposants librement disposer de leurs « fonds frais » (circulaire n° 150 du 9 avril, qui légitime une décision de l’Association des banques adoptée en novembre dernier). Un compte spécial est généralement créé pour accueillir les fonds concernés – virements depuis une banque hors du Liban ou dépôts d’espèces en devises. Certaines banques facturent ce service une poignée de dollars par mois. Pour rappel, les comptes de « dollars frais » sont définis par opposition à ceux alimentés en « dollars libanais », sur lesquels les banques, en mal de liquidités en devises en raison de la crise économique et financière que le pays traverse depuis près d’un an, appliquent le plus de restrictions.Cette carence en liquidités n’est pas sans conséquences si les montants transférés sont importants. « Si une ONG désire retirer une somme faramineuse, l’unique problème serait un délai de quelques jours le temps d’organiser l’importation de devises avec les “dollar shipping companies” », affirme l’une des principales banques du pays. Des solutions pour l’obtention rapide d’espèces ou la création de cartes bancaires prépayées sont discutées dans certaines banques pour faciliter le travail des ONG sur le terrain.

Sociétés de transfert d’argent

Les particuliers ou les organisations d’aide humanitaire ne possédant pas de compte courant dans l’une ou l’autre banque se tournent, elles, vers les sociétés de transfert d’argent. En effet, celles-ci ont repris le décaissement en dollars frais suite à la circulaire n° 566 de la Banque centrale du 6 août, mise en application pour aider les Libanais à recevoir des billets verts venus de l’étranger après les explosions survenues au port de la capitale.Cette nouvelle circulaire sur les modalités de décaissement imposées aux sociétés de transfert d’argent est la cinquième depuis janvier 2019 et constitue également un revirement par rapport à la précédente, la n° 551 publiée en avril, qui imposait le retrait des transferts de l’étranger via ces sociétés en livres libanaises, permettant ainsi à la BDL de racheter les devises envoyées au même taux qu’elle leur imposait pour convertir les fonds avant de les décaisser. Des frais de retrait de 2 % sur les sommes envoyées y sont appliqués, payables par le destinataire du montant. Suite à la catastrophe, le volume de transactions a explosé prenant de court la société OMT – un des acteurs locaux qui représentent Western Union, une des deux grosses sociétés internationales de transfert d’argent présente au Liban avec MoneyGram. « En quatre jours, nous avons pu décaisser des dizaines de millions de dollars en espèces suite à la circulaire de la BDL, mais le processus de compensation avec Western Union et l’envoi de devises de l’étranger prennent cinq jours », avait expliqué OMT dans un communiqué. Un problème également soulevé par d’autres acteurs de la filière.

Bitcoin

Enfin, une initiative particulière a vu le jour dans le sillage de la catastrophe. Lancée le 8 août, la plateforme Crypto Disaster Relief for Beirut Explosion, accessible via le site Cryptofundlebanon.com, permet en effet d’effectuer des donations à des organisations locales à travers neuf cryptomonnaies – bitcoin, ethereum, tether, USDC, bitcoin SV, litecoin, ripple, bitcoin cash et monero. Les dons sont transférés en bout de chaîne à la société Digital Transit, basée au Liban et spécialisée dans les échanges de cryptomonnaies, qui les décaisse pour le compte du fonds lequel, à son tour, les distribue chaque semaine en dollars aux ONG Minteshreen, Muwatin Lebnene, Embrace et Baytna Baytak, toutes reliées à l’initiative « Basecamp », et Beit el-Baraka (reliée, elle, à Impact Lebanon). Selon Anthony el-Hayek, à l’origine de l’initiative avec Serge Anghelopoulos et Sandro Jazzar, plus de 11 000 dollars ont déjà pu être collectés à travers ce vecteur et sont répartis chaque semaine entre les organisations ciblées. Il précise en outre que l’ensemble des transactions réalisées à travers sa plateforme sont également publiées sur son site internet, là aussi chaque semaine (section « Reports » ). « La BDL n’a pas donné de directives précises sur l’utilisation des cryptomonnaies et des technologies blockchain dans le pays. Il y a une communauté assez large qui s’est développée depuis 5 à 6 ans, même s’il n’y a pour l’instant pas de licence bancaire pour exercer une activité de banque de cryptomonnaie », expose encore Anthony el-Hayek.

Jongler entre les monnaies

Entre les dons en dollars frais, en « dollars libanais » et en livres libanaises, les associations caritatives planifient leur budget d’aide au centime près. « Si nous recevons des dollars locaux, nous les transformons en livres libanaises au taux actuel de 3 900 livres décrété par la BDL et nous les ajoutons aux dons en livres pour payer tout ce qui peut l’être sur le marché local », explique Nadim Abdo, directeur des programmes chez Arcenciel. « Les dons en dollars frais nous permettent d’importer les divers produits que l’on ne trouve pas au Liban, comme certains médicaments, du matériel de réparation spécifique, etc. »

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Avec deux antennes situées en France et aux États-Unis, où les dons sont déductibles des impôts, l’association Arcenciel possède des comptes à l’étranger en euros et en dollars leur permettant de faire des virements directs au Liban. « L’objectif est de maximiser toutes les ressources financières à notre disposition pour être le plus efficaces sur le terrain. Juste après les explosions, nous avons mis en place un système de recyclage du verre, le déploiement d’équipes médicales, la collecte de médicaments et de vêtements, ainsi que des chantiers de réparation de meubles, de plomberie et d’électricité, entre autres », informe-t-il.

Utilisation de l’argent

Optimiser chaque sou reçu est aussi l’objectif de l’association Beit el-Baraka : « Jusqu’à maintenant, nous avons identifié 3 011 appartements qui ont besoin de réparations et nous avons lancé l’initiative intitulée “3ayyish el-dekkené” dont le but est de reconstruire au plus vite les petites et moyennes entreprises dévastées par les explosions et de leur fournir leur premier stock pour les aider à se relancer », a expliqué la fondatrice, Maya Ibrahimchah. Reste à savoir si l’argent, une fois arrivé, sert bien à financer les aides concernées. Face à la légitimité des doutes émis par les donateurs de l’étranger, les associations et intermédiaires se veulent là aussi rassurants sur la transparence de la collecte et l’utilisation des dons, soulignant que des bilans financiers et des rapports d’activité seront rendus publics au fur et à mesure – sans plus de précision concernant le calendrier.Ils invitent également les donateurs à poursuivre leurs dons au vu de l’ampleur des dégâts, dont la facture n’a pas encore été estimée mais qui devrait se chiffrer en milliards de dollars. « La prochaine étape de notre plan sera une aide financière pour quelque 10 000 familles, sélectionnées selon leur vulnérabilité, leur localisation géographique et la gravité de leurs dommages. Pour ce faire, nous privilégierons évidemment les dollars frais reçus par les donateurs de l’étranger », informe Nabih Jabr.

« Ensemble, reconstruisons Beyrouth ! »

En collaboration avec l’organisation Impact Lebanon, basée en Angleterre, L’Orient-Le Jour s’est engagé à travers son opération « Ensemble, reconstruisons Beyrouth ! » à aider les Beyrouthins à travers cinq ONG – la Croix-Rouge, Arcenciel, Beit el-Baraka, Nusaned et al-Ghina – conjointement identifiées selon des critères stricts liés à la transparence et au travail effectué sur le terrain.

Ces associations recevront donc des dons pour reconstruire les quartiers de la capitale libanaise dévastés par la double explosion du 4 août et aider les habitants touchés par ce drame. « L’Orient-Le Jour débloquera les fonds récoltés sur sa plateforme en dollars frais, suivant les instructions de facturation et de répartition entre les différentes ONG reçues par Impact Lebanon. De cette manière, il n’y a pas de délai de transfert international, et l’argent est directement transmis en espèces sur le terrain », explique l’équipe marketing de L’Orient-Le Jour. Il est à noter que tous les dons reçus en « dollars libanais » et ceux en livres libanaises seront également distribués en tant que tels.

Ainsi, la plateforme d’Impact Lebanon a déjà collecté six millions de livres sterling (7,875 millions de dollars) de plus de 167 000 donateurs, auxquels s’ajoutent les 86 000 dollars réceptionnés à ce jour par celle de L’Orient-Le Jour dont les cinq ONG sélectionnées pourront rapidement bénéficier.Les dons aux ONG peuvent toujours être effectués via lorientlejour.com ou directement sur la plateforme d’Impact Lebanon.

Suite à la double explosion qui a secoué le 4 août le port de Beyrouth et des pans entiers de la capitale, faisant les titres des médias du monde entier, un incroyable élan de solidarité internationale a convergé vers le Liban. Mais la corruption endémique qui gangrène l’ensemble de l’administration, ainsi que les restrictions illégales et informelles mises en place par les banques...

commentaires (2)

ATTENTION ! POINT DE CONFIANCE A PERSONNE. LE CONTROLE PARTOUT ET SUR TOUT.

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 47, le 20 août 2020

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Commentaires (2)

  • ATTENTION ! POINT DE CONFIANCE A PERSONNE. LE CONTROLE PARTOUT ET SUR TOUT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 47, le 20 août 2020

  • cet article apporte un debut de transparence sur les chiffres. bon a savoir.

    Hasbani Nadim

    14 h 29, le 20 août 2020

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