
Le secrétaire d’État adjoint américain pour les Affaires politiques, David Hale, et l'ambassadrice américaine au Liban, Dorothy Shea, écoutant un responsable militaire libanais, lors d'une tournée dans le port de Beyrouth, le 15 août 2020. Photo AFP / POOL / NABIL MOUNZER
Le secrétaire d’État adjoint américain pour les Affaires politiques, David Hale, a clôturé samedi sa visite de trois jours à Beyrouth, dévastée il y a onze jours par des explosions qui ont fait plus de 177 morts, en affirmant que "toutes les personnes au pouvoir au Liban ont une part de responsabilité" dans cette "tragédie", pointant notamment du doigt "des décennies de mauvaise gestion et de corruption". Au cours de sa tournée, entamée jeudi soir, le diplomate a rencontré une longue liste de dirigeants, mais il s'est aussi rendu auprès de la société civile, active dans les rues de Beyrouth depuis la catastrophe du 4 août.
"Nous nous tiendrons aux côtés des Libanais dans le processus de reconstruction et de récupération après cette catastrophe", a souligné M. Hale. Il a rappelé que jusqu'à présent 18 millions de dollars de nourriture, de médicaments et autres besoins essentiels avaient été envoyés par Washington au Liban et que la diplomatie américaine était prête à "travailler avec le Congrès pour assurer 30 millions de dollars supplémentaires", afin d'envoyer des céréales vers le port de Beyrouth, où les silos ont été détruits par les explosions. "Ces aides ne répondront qu'aux besoins urgents et humanitaires", a souligné David Hale, qui a précisé qu'elles seront gérées par le Programme alimentaire mondial, différentes ONG et le secteur privé. Il a par ailleurs appelé à une enquête "transparente et crédible" sur les circonstances des explosions, rappelant que des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) arriveraient sous peu pour aider à cette tâche. "Cet événement tragique n'est qu'un symptôme de maux bien plus profonds" dont souffre le Liban et qui "n'ont que trop duré", a déclaré le numéro trois de la diplomatie américaine dans une intervention télévisée. "Toutes les personnes au pouvoir assument d'une façon ou d'une autre des responsabilités" dans ce qu'il s'est passé, a-t-il déclaré, évoquant "des décennies de mauvaise gestion, de corruption et les échecs répétés des autorités libanaises à mener des réformes significatives et durables". Les autorités libanaises ont reconnu qu'elles savaient que les 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium, qui ont provoqué la déflagration qui a soufflé Beyrouth, étaient stockées au port sans mesures de sécurité adéquates depuis 2014,
Le Liban vit "un moment de vérité", a encore lancé David Hale, qui a appelé, au nom des Etats-Unis, les responsables libanais à "répondre enfin aux demandes légitimes" du peuple pour une meilleure gouvernance, des réformes économiques et financières et la fin de la corruption endémique. "Il ne peut y avoir d'échappatoire" pour les dirigeants, a-t-il déclaré, reprenant l'expression lancée par des activistes et volontaires lors de sa visite de terrain dans les quartiers dévastés. Il a dans ce cadre réitéré son appel à des réformes qui permettraient de débloquer des aides infrastructurelles de la part de la communauté internationale. "Ce sont les Libanais, pas les pays étrangers, qui doivent établir leur vision de l'avenir" du pays, a-t-il affirmé.
Le FBI à Beyrouth ce week-end
Plus tôt dans la journée, lors d'une tournée au port de la ville en compagnie de l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, M. Hale avait souligné être venu "voir de ses propres yeux la dévastation" qui a frappé les infrastructures portuaires. "C'est vraiment accablant", a reconnu le responsable US. "Le FBI arrive ce week-end à l’invitation des autorités libanaises pour s’assurer que toutes les réponses seront fournies au peuple libanais, afin qu'il sache ce qu’il s’est passé, et pour qu’une enquête sérieuse et transparente soit menée", a souligné M. Hale, réaffirmant l'annonce qu'il avait faite la veille. L'équipe de la police fédérale américaine est attendue dimanche.
Dans une claire critique adressée aux autorités libanaises David Hale a appelé au contrôle des frontières du pays. "Chaque État souverain doit contrôler de près ses frontières, ses ports et ses institutions", a plaidé le numéro trois de la diplomatie américaine. "Il ne peut y avoir de retour à l'époque où tout pouvait circuler aux frontières et dans les ports libanais", a prévenu David Hale, qui a refusé de répondre aux questions des journalistes au terme de son point de presse.
La contrebande frontalière d'armes et de marchandises entre le Liban et la Syrie est un problème endémique pour Beyrouth, qui peine encore à contrôler toutes ses frontières. Dans ce contexte, le Hezbollah, classé "terroriste" par Washington, est pointé du doigt par ses détracteurs qui l'accusent de stocker des armes à travers le territoire libanais, notamment dans le port de Beyrouth. Des accusations que le chef du parti chiite, Hassan Nasrallah, ne cesse de démentir.
Dans l'après-midi, M. Hale s'est entretenu avec le leader maronite Samir Geagea. Ce dernier a affirmé lors de la réunion qu'il n'y avait "actuellement pas d'échappatoire à la formation d'un gouvernement efficace et indépendant, qui oeuvre à répondre aux besoins immédiats et pressants des gens". "La solution la plus efficace possible pour sortir des crises est de réduire le mandat du Parlement actuel et de convoquer des élections anticipées, selon la loi électorale actuelle", a ajouté le chef des Forces libanaises. Le haut diplomate américain a en outre été reçu par le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, par le chef des Kataëb, Samy Gemayel, et par le chef du "Mouvement de l'indépendance", le député Michel Moawad.
Vendredi, le numéro trois de la diplomatie US avait été reçu par le président de la République, le Premier ministre démissionnaire et le président du Parlement. Il avait également rencontré le patriarche maronite et le chef du Courant du Futur, Saad Hariri, puis dîné à la table du leader druze Walid Joumblatt.
Au lendemain de la catastrophe qui a fait au moins 177 morts, plus de 6.500 blessés et 300.000 sans abris selon un bilan encore provisoire, le président de la République, Michel Aoun, avait refusé l'éventualité d'une enquête internationale, estimant qu'une telle option risquerait de "diluer la vérité". L'État a lancé dans ce cadre deux enquêtes. La première, administrative, est prise en charge par l'exécutif. Le Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, avait promis des résultats à ce sujet dans les cinq jours suivant les explosions, mais aucun rapport n'a encore été rendu public par la commission d'enquête. La seconde investigation a été lancée par les autorités judiciaires. Dans ce cadre, et alors que le dossier a été confié à la Cour de justice, un tribunal pénal d’exception, le juge Fadi Sawan a été chargé jeudi de l'instruction, après un bras de fer entre la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, et le Conseil supérieur de la magistrature. Le juge Sawan devrait débuter ses auditions dès lundi, après avoir réceptionné vendredi les dossiers de l'enquête et des poursuites engagées par le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, qui chapeautait jusque là l'enquête judiciaire. Dans le cadre de l'enquête lancée par les autorités, 25 personnes font l'objet de poursuites, dont 19 ont été placés en détention. Parmi eux, le directeur des douanes Badri Daher, son prédécesseur Chafic Merhi et le directeur général du port de Beyrouth, Hassan Koraytem.
TOUS ONT UNE PART, LES 99PCT REVIENNENT A LA MILICE.
09 h 34, le 17 août 2020