Rechercher
Rechercher

Politique - Explosions de Beyrouth

L'état d'urgence décrété au Liban : de quoi s'agit-il et quelles sont ses implications ?

L'ancien général et député Chamel Roukoz, l'ancien ministre de l'Intérieur Ziad Baroud et l'avocate et présidente de Legal Agenda, Ghida Frangieh, répondent aux questions de L'Orient-Le Jour. 

L'état d'urgence décrété au Liban : de quoi s'agit-il et quelles sont ses implications ?

Des volontaires passant devant un militaire, lors d'opérations de déblaiement d'une rue dévastée du quartier de Gemmayzé, à Beyrouth, le 11 août 2020. Photo AFP / PATRICK BAZ

Le Parlement libanais a entériné jeudi l'état d'urgence, plus d'une semaine après les explosions dévastatrices dans le port de Beyrouth qui ont fait au moins 171 victimes et détruit des quartiers entiers de la capitale. Cet état d'urgence avait été décrété le 5 août par le gouvernement, désormais démissionnaire, de Hassane Diab, au lendemain de la catastrophe. Il donne au "pouvoir militaire suprême", qui aura pendant cette période -jusqu'au 18 août avec possibilité de prolongation dans le cas présent-, l'autorité sur l'ensemble des forces de sécurité du pays et la responsabilité de maintenir l'ordre.

Mais que signifie, dans les faits, l'état d'urgence ? Comment doit-il être décrété ? Quelles implications peut-il avoir pour les citoyens ? Est-il, dans les circonstances actuelles, nécessaire ? 

L'Orient-Le Jour a posé ces questions au député et ancien général Chamel Roukoz, à l'ancien ministre de l'Intérieur Ziad Baroud et à l'avocate et présidente de l'association Legal Agenda, Ghida Frangieh. 

Qu'est-ce que l'état d'urgence ? 

L'état d'urgence, tel qu'il a été décrété mercredi dernier par l'exécutif, se base sur le décret-loi 52 de 1957 qui prévoit que cet état soit notamment déclaré dans des circonstances qui peuvent être considérées comme des "catastrophes", ce qui est aujourd'hui le cas, indique l'ancien ministre Ziad Baroud. Il donne à l'armée le contrôle de la situation, dans la zone établie, dans ce cas la région du Beyrouth administratif. Avec ce pouvoir, l’armée a toutes les prérogatives pour donner des ordres aux autres agences sécuritaires, comme les Forces de sécurité intérieure, la sécurité de l’État et la Sûreté générale, ce qui lui permet notamment de contrôler la police municipale, précise Ghida Frangieh. Chamel Roukoz ajoute à cette liste la possibilité pour les militaires de procéder à des perquisitions sans autorisation de justice préalable. 

"En interne, les agences de sécurité gardent une marge de manœuvre, mais le commandement de l'armée est responsable de donner des ordres à ces organes, notamment en répartissant les tâches et ressources", précise M. Baroud.

En principe, qu'est-ce que cela implique ? 

Avec ces prérogatives exceptionnelles, l'armée peut, au cas par cas, imposer différents types de mesures dans la zone sous état d'urgence, comme par exemple un couvre-feu.

Me Frangieh souligne que, pendant l'état d'urgence, l’armée peut "procéder à des arrestations sans avoir recours à la justice, limiter la liberté de la presse et des médias, interdire les rassemblements voire même déporter des ressortissants étrangers". M. Baroud évoque entre autres, de son côté, la possibilité de forcer des assignations à résidence ou prendre des mesures spécifiques par rapport aux importations ou à la consommation de certaines marchandises. Pendant l'état d'urgence, toute personne commettant une infraction qui porte atteinte à la sécurité pourra enfin être déférée devant le tribunal militaire. 

Pendant cet état d'urgence, l'armée ne remplace donc pas le pouvoir politique, mais peut imposer un certain contrôle de la situation. En outre, aucun mécanisme de coordination n'est prévu pour que la troupe rende des comptes au pouvoir, comme le souligne la présidente de Legal Agenda. Cela a toutefois été fait au cours des derniers jours, notamment avec la réunion ayant rassemblé, mercredi, le président Michel Aoun et le commandant en chef Joseph Aoun. 

Dans les faits, qu'est-ce qui a été appliqué depuis le 5 août

Pour Chamel Roukoz, l'armée n'a pas encore réellement appliqué l'état d'urgence. "On ne sent pas encore les effets d'un réel état d'urgence, parce que la troupe n'a pas pris de mesures qui sortent du cadre militaire, elle n'a pris que des mesures de terrain", estime pour sa part Ziad Baroud. 

Lors de la séance parlementaire de jeudi, le président de la Chambre, Nabih Berry, a souligné que pendant les premiers jours de l'état d'urgence, "l'armée n'a pris aucune mesure dont les citoyens pourraient avoir peur, elle n'a pas réprimé la presse, malgré le chaos médiatique, et elle a laissé aux manifestants la possibilité de se rassembler". Une déclaration que Ghida Frangieh s'empresse de commenter : "M. Berry a oublié de dire que c'est sa milice, la police du Parlement, qui a utilisé la violence contre les manifestants samedi dernier, dans une démonstration de force comme on n'en avait jamais vue depuis le 17 Octobre et avec des armes qui n'avaient jamais été utilisées avant, et que l'armée n'a rien fait pour arrêter cela".

Lire aussi

Des armes illégales ont-elles été utilisées contre les manifestants samedi ?

Comment est-il décrété et prolongé ? 

L'état d'urgence est un décret qui doit être pris en Conseil des ministres, contrairement aux décrets ministériels qui peuvent être émis par les ministres concernés, individuellement. Si l'état d'urgence est décrété pour un délai excédant une semaine, il doit être, durant ce laps de temps, entériné par le Parlement. Ce dernier doit notamment vérifier si le texte peut porter atteinte aux libertés publiques, selon l'ancien ministre de l'Intérieur. 

Me Frangieh soulève toutefois que le suivi de ce décret "pose des doutes sur sa légalité", notamment en raison du fait qu'il n'a été signé que le 7 août et publié au Journal officiel que le 11 août. Dans la situation actuelle, le délai a été respecté de justesse. M. Baroud souligne toutefois que "l'urgence" de la situation était moins palpable que dans d'autres occurrences de l'application de cette autorité sécuritaire, comme par exemple lors de la guerre des Six jours, où le gouvernement libanais avait décrété l'état d'urgence le 5 juin 1967, au lendemain de l'attaque menée par Israël contre l'Egypte, et le Parlement l'avait entériné le même jour. 

En cas de prolongation de l'état d'urgence, le gouvernement doit à nouveau se rassembler en Conseil, "ce qui est difficile étant donné que le cabinet actuel expédie les affaires courantes, mais pas impossible", comme le souligne Ziad Baroud. Le Parlement doit ensuite à nouveau statuer sur la décision du gouvernement, dans un nouveau délai de huit jours. Par ailleurs, le Parlement et le gouvernement gardent leur souveraineté et peuvent mettre fin à l'état d'urgence à n’importe quel moment s'ils jugent que cela est nécessaire, souligne encore Me Frangié.  

La déclaration de l'état d'urgence était-elle justifiée ?

Les avis au sujet de l'imposition de l'état d'urgence dans le cadre du drame de Beyrouth divergent. Pour le député Chamel Roukoz, il est effectivement nécessaire. L'ancien ministre Ziad Baroud est plus nuancé. "Devant l'ampleur de la catastrophe, il fallait, au moment-même, donner à l'armée la possibilité de gérer la situation". Toutefois, selon lui, "dans l'état actuel des choses, une prolongation au-delà du 18 août ne sera pas nécessaire". 

Ghida Frangieh est beaucoup plus critique à l'égard de cette déclaration de l'état d'urgence, notamment parce que le Liban est déjà dans un état de mobilisation générale depuis mars pour faire face à la pandémie de coronavirus. Cette mobilisation civile donne au gouvernement les prérogatives nécessaires pour faire face à la catastrophe du 4 août, ainsi d'ailleurs qu'aux autres crises qui secouent le Liban, estime-t-elle. "Pourquoi instaurer un état d'urgence militaire, qui limite les libertés publiques et les droits civiques dans un contexte politique très divisé", alors que la mobilisation générale est en vigueur et aurait pu être mieux utilisée face aux crises ? s'interroge l'avocate.

Le Parlement libanais a entériné jeudi l'état d'urgence, plus d'une semaine après les explosions dévastatrices dans le port de Beyrouth qui ont fait au moins 171 victimes et détruit des quartiers entiers de la capitale. Cet état d'urgence avait été décrété le 5 août par le gouvernement, désormais démissionnaire, de Hassane Diab, au lendemain de la catastrophe. Il donne au "pouvoir...

commentaires (8)

SVP, l'OLJ et les journalistes libanais en général, chaque fois que vous interviewez une personnalité publique, posez-lui la question pour savoir s'il/elle était au courant du stockage macabre au port. S'il/elle vous réponde oui, terminez l'interviewe avant de l'entamer car vous seriez en face d'un criminel par défaut qui ne doit avoir aucune influence sur la vie publique au Liban.

Shou fi

12 h 58, le 14 août 2020

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • SVP, l'OLJ et les journalistes libanais en général, chaque fois que vous interviewez une personnalité publique, posez-lui la question pour savoir s'il/elle était au courant du stockage macabre au port. S'il/elle vous réponde oui, terminez l'interviewe avant de l'entamer car vous seriez en face d'un criminel par défaut qui ne doit avoir aucune influence sur la vie publique au Liban.

    Shou fi

    12 h 58, le 14 août 2020

  • S’ils impliquent aussi l’armée dans leur complot, on n’est pas sorti de l’auberge. Ils cherchent à museler les libanais par tous les moyens qui leur ont été offerts sur un plateau d’argent et procèdent par étape à instaurer une dictature qui ne dit pas son nom et à mouiller l’armée pour mettre le peuple contre elle et ainsi détruire tous les remparts et le peu d’espoir auxquels les libanais s’accrochent désespérément . La justice, l’armée et les forces de l’ordre à leur ordre ils s’installeront tranquillement encore pendant des décennies forts de leur appuie étatique. Y aurait il un héros qui viendrait nous sauver de leurs griffes? La solution ne peut être que libano-libanaise. HÉ HO NOUS SOMMES EN TRAIN DE LERDRE NOTRE PAYS.

    Sissi zayyat

    11 h 55, le 14 août 2020

  • Imposer le couvre feu pour permettre a qui vous savez de retirer en catimini les preuves accablantes de son ingerence....

    IMB a SPO

    20 h 18, le 13 août 2020

  • L'état d'urgence ça va si l'armée est cent pour cent libanaise ?

    Eleni Caridopoulou

    19 h 14, le 13 août 2020

  • L’état d’urgence militaire n’est pas justifié et il n’y a aucune raison de le faire sauf à étouffer la contestation des beyrouthns et des libanais aussi..

    PPZZ58

    17 h 44, le 13 août 2020

  • N,A-T-ELLE PAS LE POUVOIR DE DISSOURE LES MILICES ETRANGERES ET LES DEPORTER VERS LES PAYS DONT ILS SE SENTENT CITOYENS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 27, le 13 août 2020

  • Il donne au "pouvoir militaire suprême" l'autorité sur l'ensemble des forces de sécurité du pays SAUF si celles-ci sont chiites...

    Gros Gnon

    17 h 22, le 13 août 2020

  • Tirer avec des. VRaies munitions sur les thawwars Deviendra « légal » On continue à enterrer nos morts passés présents et futurs ......

    Robert Moumdjian

    17 h 00, le 13 août 2020

Retour en haut