Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Une fierté douloureuse

On n’avait (presque) jamais autant parlé du Liban dans les médias étrangers. De ce point de vue-là aussi, il y a « un avant et un après-4 août ». Aussi, pour la première fois, les médias occidentaux parlent du pays en étant libéré du prisme de la politique occidentale et des grilles de lecture qui peuvent être appliquées à l’UE ou aux États-Unis. La chronique « Géopolitique » de la matinale de FranceInter n’a jamais aussi bien décrit l’enfermement du peuple dans un système lui-même enfermé et muselé par les influences régionales, plus ou moins proches ; les autres médias écrits semblent réaliser les implications concrètes de l’assertion « Le Liban est une république qui n’a de république que le nom ». L’analyse simpliste – et fortement biaisée – de Mediapart qui voulait que la crise libanaise ne soit qu’une crise du libéralisme est dépassée : on comprend enfin ce qu’est le confessionnalisme mercantiliste à la libanaise.

Je n’encense pas ici la stratégie de feu Rafic Hariri, qui mise tout sur le secteur tertiaire pour redresser le Liban (racine de la crise actuelle, selon Mediapart), mais je pense qu’il faut bien avoir conscience que cela n’explique pas tout : 30 ans sont passés depuis la fin de la guerre civile, 30 ans durant lesquels nous avons (re)pris

conscience de tout le potentiel agricole et industriel du Liban, trente ans aussi durant lesquels ces secteurs n’ont eu aucune opportunité de développement parce qu’ils ne rapporteraient pas assez aux adolescents effrénés assis autour du Liban, table de Monopoly qu’ils s’approprient dans un équilibre qui fait que personne ne perd... mais qu’aucun terrain n’est exploité. En somme, plein de ressources, mais une crise de liquidité, liée à l’absence du libre accès au marché au Liban : dans l’absence de cette caractéristique fondamentale de la concurrence capitaliste, la crise du Liban est bien plus, voire tout autre, qu’une crise du néocapitalisme.

Cela donc, on semble enfin le comprendre en Occident. Le président Macron en visite au Liban l’a bien montré en promettant à ces travailleurs, à ces soignants, à ces chômeurs, de ne verser l’aide immédiatement promise par la France qu’aux ONG et à la société civile. Cela fait du bien de voir la racine de la crise libanaise enfin reconnue... Mais en ces temps douloureux, d’autant plus durs que je reste bloqué à 3 200 km de Beyrouth en raison de la crise sanitaire mondiale, il y a aussi une autre image du Liban que j’aimerais voir beaucoup plus mise en avant. C’est celle de ces Libanaises et de ces Libanais qui, jeunes ou vieux, travailleurs ou chômeurs, beyrouthins ou montagnards, chrétiens, musulmans ou athées, s’activent main dans la main pour déblayer, pour dégager, pour nettoyer, comme une prémisse du nettoyage qui doit avoir lieu à un autre niveau, de Baabda à la place de l’Étoile. Ma douleur liée à l’éloignement est vive. Je n’ai pas ressenti avec eux le souffle, le tremblement, l’ébranlement de l’explosion. Je pleure mais je ne saigne pas, et l’éloignement physique me permet de prendre un certain recul qui peut me faire dire autre chose : l’explosion du 4 août a soufflé une ville (et, je l’espère, entraînera quelques têtes dirigeantes dans son sillage), mais elle a enfanté un peuple : le Liban est mort dans le gouvernement, mais il est éternel par son peuple. J’espère ne pas devoir toujours attendre de telles catastrophes pour que se manifestent ces valeurs-là du peuple libanais, qui font notre fierté à tous. Car aujourd’hui, cette fierté est très douloureuse.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

On n’avait (presque) jamais autant parlé du Liban dans les médias étrangers. De ce point de vue-là aussi, il y a « un avant et un après-4 août ». Aussi, pour la première fois, les médias occidentaux parlent du pays en étant libéré du prisme de la politique occidentale et des grilles de lecture qui peuvent être appliquées à l’UE ou aux États-Unis. La chronique...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut