Mobilisée depuis samedi pour dénoncer l'incurie des autorités après les explosions meurtrières au port de Beyrouth, le 4 août, qui ont fait près de 160 morts et 6.000 blessés et laissé des dizaines de milliers sans abri, la rue ne décolérait pas lundi soir, malgré la démission du gouvernement de Hassane Diab annoncée dans la soirée. Le drame a en effet relancé la contestation populaire déclenchée le 17 octobre 2019 qui s'était essoufflée avec la pandémie de coronavirus, et le gouvernement a fini par vaciller face à la colère de la population qui rend l'ensemble de la classe politique responsable de l'explosion meurtrière. La démission du gouvernement ne devrait cependant pas satisfaire le mouvement de protestation populaire qui réclame le départ de toute la classe politique.
Lundi soir, de violents affrontements ont de nouveau opposé des dizaines de manifestants aux forces de l'ordre, dans la rue Weygand, près du Parlement, dans le centre-ville de Beyrouth. La police antiémeute et les protestataires se sont retrouvés dans un face-à-face lors duquel les forces de l'ordre ont fait usage de bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants. Les contestataires ont même réussi à ouvrir une brèche dans le mur en béton qui bloque l’une des entrées de la place de l’Étoile, où se trouve le siège du Parlement. Mais la confrontation n’a pas duré longtemps avant que les manifestants ne se dispersent.
En outre, à Tripoli (Nord), deux personnes ont été blessées par des balles perdues alors que des protestataires tiraient en l'air pour célébrer la démission du cabinet.
Selon la version officielle, la double explosion de Beyrouth a été déclenchée par un incendie dans un stock de 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium stockées au port depuis 2014, sans mesures de sécurité, de l'aveu même du Premier ministre. Le président de la République, Michel Aoun, a pour sa part évoqué l'hypothèse d'une bombe ou d'un missile. Il a rejeté les appels à une enquête internationale, estimant qu'elle "diluerait la vérité".
Cette tragédie a exacerbé la colère de la rue après la dévastation causée dans de nombreux quartiers de la capitale, dans un pays déjà frappé par une crise économique inédite dans son histoire moderne aggravée par l'épidémie de Covid-19. Près d'une semaine après cette déflagration, les autorités accusées de corruption, de négligence et d'incompétence par la rue, n'ont toujours pas répondu à la principale question : pourquoi une énorme quantité de nitrate d'ammonium était entreposée au port, au beau milieu de la ville? Le dossier a été transféré aujourd'hui à la Cour de Justice.
Les manifestations de samedi et dimanche ont été émaillées de violences, faisant un tué parmi les policiers et des centaines de blessés parmi les protestataires et les forces de l'ordre. Les manifestants ont appelé à la "vengeance" et réclamé des comptes à une classe politique totalement discréditée. "La démission des ministres n'est pas suffisante. Ils doivent rendre des comptes", a affirmé dimanche Michelle, une jeune manifestante dont l'amie a été tuée dans l'explosion. "Nous voulons un tribunal international qui nous dise qui l'a tuée, car ils (les dirigeants, ndlr) vont dissimuler l'affaire".
Samedi, M. Diab avait indiqué qu'il était prêt à rester dans ses fonctions pendant deux mois, jusqu'à l'organisation de législatives anticipées. Les élections anticipées ne sont pas une des principales revendications de la rue, car le Parlement est contrôlé par les forces traditionnelles qui ont élaboré une loi électorale calibrée pour servir leurs intérêts.
Est-ce que la rue a une liste de noms en qui ils ont entièrement confiance, et capable de prendre le relai? On sait en qui ils n'ont pas confiance, mais en qui ont-ils confiance? De plus, je ne connais pas toutes leurs revendications pour l'avenir...
02 h 50, le 11 août 2020