
L’hémicycle après la double explosion du 4 août au port de Beyrouth. Photo tirée du compte Flickr du Parlement
L’annonce samedi par Hassane Diab de son intention de proposer la tenue d’élections législatives anticipées constitue, si elle se concrétise dans les prochains jours, la première vraie brèche d’importance dans le dispositif de défense du pouvoir en place face au mouvement de contestation du 17-Octobre. C’est le début de la fin, serait-on tenté de dire, si le chemin qui reste à faire jusqu’à la victoire n’était pas encore long, sinueux et parsemé d’embûches.
Michel Aoun n’est pas Béchara el-Khoury et le Liban de 2020 ne ressemble en rien à celui de 1952, un État qui jouissait à l’époque d’un certain niveau de respect dans le monde, au moment où il entamait ses « Trente Glorieuses », et dont les partis politiques dominants, peu marqués idéologiquement, seraient assimilables à des organisations de boy-scouts si on devait les comparer à ce qui se fait aujourd’hui.
Sauf imprévu, il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’en raison de l’ébullition de la rue, l’actuel chef de l’État décide de lui-même de jeter l’éponge, comme l’avait fait son lointain prédécesseur, qui refusait que du sang soit versé à cause d’un entêtement à rester au pouvoir. Comme il ne faut guère s’attendre non plus à ce que les formations actuellement dominantes, à commencer par le Hezbollah et le bloc aouniste, n’en viennent sans contrainte à plier pour faciliter l’alternance au Parlement ou encore l’entrée dans l’hémicycle de forces nouvelles.
C’est donc par le maillon le plus faible du pouvoir, incarné aujourd’hui par le chef du gouvernement, que l’annonce d’une « proposition » de législatives anticipées a été faite. Jusqu’à hier soir, rien n’avait filtré dans les milieux des formations qui parrainent l’équipe ministérielle en place sur l’état d’esprit qui y règne à ce sujet, la scène ayant été accaparée par la pluie de démissions à la Chambre et au sein même du gouvernement en réaction à la catastrophe du port, à la réponse apportée par le pouvoir à cette tragédie et à la colère qu’elle a suscitée dans la rue.
La loi électorale
On se souvient de l’accueil négatif réservé par le Hezbollah et le Courant patriotique libre à la demande de législatives anticipées formulée par les contestataires lors des grandes manifestations de l’automne dernier, alors que les formations de l’opposition, actuellement minoritaires à la Chambre, y avaient adhéré. Tout dernièrement, le leader druze Walid Joumblatt a appelé à la tenue de ces élections, en plaidant pour l’adoption d’un mode de scrutin fondé sur la majoritaire uninominale (une circonscription = 1 siège), chère à l’ancien Amid du Bloc national, Raymond Eddé, et reprise ultérieurement par son successeur Carlos Eddé, puis par le PNL de Dory Chamoun et enfin les Kataëb de Samy Gemayel. À l’instar de ce dernier, M. Joumblatt a évoqué la possibilité de « déconfessionnaliser » les sièges à pourvoir, dans la mesure où le mode de scrutin en question suppose que les circonscriptions soient géographiquement les plus petites possibles, de sorte que l’enjeu confessionnel cesse de facto de se poser dans l’extrême majorité des circonscriptions (mais pas dans toutes).
On n’en est pas là, bien sûr, et la proposition de M. Joumblatt fait figure d’épouvantail destiné à effrayer principalement le Hezbollah, pour qui la majoritaire uninominale n’est rien moins qu’un projet satanique contre lequel il serait prêt à tout. D’ailleurs, s’il finit par se rallier à l’idée de la tenue d’élections anticipées, le parti de Dieu n’hésiterait pas de son côté, avec le soutien du mouvement Amal et des reliquats prosyriens, à remettre sur la table son propre épouvantail à destination de tous les autres, la circonscription unique, véritable cimetière des ambitions des partis chrétiens, druzes et, dans une moindre mesure, sunnites.
Tout cela pour dire que si un débat sur la loi électorale s’engage sous ces auspices, comme c’est le cas habituellement, les élections risquent non seulement de ne pas être anticipées, mais de ne pas se tenir même à leur date prévue normalement, c’est-à-dire au printemps 2022. D’où la nécessité pour le mouvement de contestation, s’il tient à ce scrutin – et il doit y tenir–, de ne pas se laisser entraîner dans des joutes et des blocages perpétuels. A-t-on oublié que la dernière fois que les formations libanaises se sont livrées à une foire d’empoigne autour du mode de scrutin, les législatives ont été retardées de cinq ans (2013 à 2018) ?
Un objectif : abattre le seuil d’éligibilité
Si la loi adoptée pour le scrutin de 2018, fondée sur une proportionnelle bridée, est loin d’être idéale, si elle apparaît trop compliquée ou taillée sur mesure pour certaines formations, elle n’en a pas moins le mérite d’exister, d’être en vigueur. Aller vers des législatives anticipées sur la base de cette loi économiserait beaucoup de temps et d’énergie. Il se trouve cependant que ce texte contient un piège, et de taille, destiné tout simplement à fermer autant que possible la porte à l’accès de forces nouvelles, indépendantes, au Parlement. Il s’agit de l’article fixant le seuil d’éligibilité à ce qu’on appelle le coefficient électoral.
Explication : pour que dans une circonscription donnée, une liste de candidats puisse obtenir au moins un siège, il faut que son score atteigne ce coefficient électoral, un chiffre qu’on obtient par la division du nombre de votants sur le nombre de sièges dans cette circonscription. Ainsi, dans une circonscription comptant 100 000 votants et 10 sièges, le coefficient électoral sera de 10 000. Une liste qui aura obtenu 10 100 voix aura forcément un siège, une autre avec un score de 9 900 n’aura rien du tout… Dans cet exemple, le seuil d’éligibilité atteint 10 %, ce qui était, lors des élections de 2018, le cas à Beyrouth I (Achrafieh, Rmeil, Saïfi, Medawar), où une candidate de la société civile, Paula Yaacoubian, a pu faire son chemin jusqu’au Parlement. Dans la plupart des pays optant pour la proportionnelle, un seuil à 10 % serait considéré déjà comme prohibitif et inacceptable, et pourtant dans d’autres circonscriptions libanaises, le seuil peut atteindre 18 %, en raison des données démographiques, qui font qu’il y a plus de votants pour moins de sièges, comme par exemple dans la deuxième circonscription du Sud (Tyr-Zahrani). À ce niveau, ce n’est plus un seuil d’éligibilité, c’est une barrière infranchissable que les groupes de la société devraient chercher à abattre s’ils entendent investir la Chambre. D’où la nécessité de concentrer l’action du mouvement de contestation dans cette direction.
Or il faut prendre conscience du fait que c’est le Parlement actuel qui est appelé à amender cet article pour permettre l’entrée de forces nouvelles au Parlement, l’objectif premier de la révolution du 17-Octobre étant justement le renouvellement de la classe politique. Il faudra donc beaucoup de pression sur les grands blocs parlementaires actuels pour les amener à scier une partie de la branche sur laquelle ils sont assis. Et cette pression devra être d’autant plus forte que les démissions de députés qui seraient plus ou moins favorables à cette ouverture ont d’ores et déjà commencé à pleuvoir.
Faute d’obtenir la levée du seuil d’éligibilité, la contestation devra se contenter d’une simple redistribution des cartes au sein de l’hémicycle, qui pourrait d’ailleurs n’être que relative et ne concerner essentiellement que les chrétiens. Dans ce cas, on peut supposer qu’étant donné l’évolution des choses et l’état actuel du « mandat fort », le CPL risque dans une certaine mesure de perdre sa position dominante au profit d’autres partis chrétiens. Cela serait-il suffisant pour faire basculer la majorité parlementaire d’un camp à l’autre ? C’est à voir.
En revanche, un abaissement conséquent ou même une levée du seuil d’éligibilité permettrait aux nouveaux groupes et partis de la société civile, s’ils s’y prenaient bien, d’envoyer 10, 15 ou 20 députés à la Chambre, si l’état de l’opinion demeurait le même qu’aujourd’hui, bien sûr. Dans un pays comme le Liban, de tels scores sont importants et pèsent énormément sur la marche de la vie politique. La brèche, alors, se transformerait en victoire.
Heureusement que le reste des députés de l’opposition comme les Kataëb et Paula (surtout cella elle se prend vraiment pour la Jeanne d’arc du 21 siècle) car sinon on aurait donner le parlement au complet au président et au hezb ... D’un autre côté comment faire des élections législatives avec la présence des armes ?!?!?!
15 h 02, le 10 août 2020