
Le quartier de Mar Mikhaël, à Beyrouth, après la double explosion de mardi. Patrick Baz/AFP
La Banque du Liban a annoncé hier la mise en place d’un dispositif permettant aux entreprises comme aux particuliers dont les biens-fonds (logement, locaux commerciaux, etc.) ont été totalement ou partiellement détruits par la double explosion survenue mardi au port de Beyrouth de bénéficier de prêts à 0 % pour financer leur réhabilitation ou leur reconstruction.
Le dernier bilan s’élève à plus de 150 morts et 5 000 blessés, pour une facture des dégâts estimée à plusieurs milliards de dollars. Selon le gouvernorat de la capitale, 300 000 personnes au moins se seraient retrouvées sans domicile, tandis que des blocs entiers d’immeubles dans un rayon de moins de 5 km du port sont inhabitables car sur le point de s’écrouler. Selon Adnan Rammal, membre de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), les dégâts et les pertes subis par les citoyens et l’État oscillent entre 3 et 3,5 milliards de dollars, selon une première estimation. Le port abritait par exemple plus de 200 millions de dollars de marchandises et de matériels, les dégâts sur les réseaux de télécommunications et d’infrastructure pourraient atteindre 150 millions de dollars, entre autres estimations fournies. L’ACB a en outre précisé que 30 à 50 % des commerces ne pourraient pas rouvrir leurs portes si l’État ne les aide pas rapidement.
Prêts à 0 % remboursables sur cinq ans
C’est dans ce contexte qu’intervient le nouveau dispositif de la BDL, qui vise donc à apporter une réponse à une partie de ces chantiers. Selon le texte (circulaire principale n° 152, la deuxième publiée dans la journée, avec celle sur les transferts d’argent vers le Liban), ces crédits libellés en dollar pourront être contractés par les personnes éligibles via leurs banques et seront remboursables sur cinq ans maximum à partir du 31 octobre prochain. Les personnes – physiques ou morales – ne possédant pas de compte en banque ne pourront donc pas en bénéficier.
Une précision qui devrait exclure de nombreuses personnes, dans la mesure où le taux de bancarisation (personnes majeures possédant un compte en banque ou dans toute autre institution assimilée) du pays est de 45 %, selon le dernier indice Global Findex publié par la Banque mondiale en 2017 (la moyenne mondiale est de 69 %). L’étude ne fournit pas en revanche de données précises sur le taux de bancarisation dans la capitale où l’essentiel des dégâts ont été provoqués.
Au niveau des modalités prévues par le texte, les remboursements pourront être échelonnés sur une base mensuelle ou trimestrielle et pourront être effectués en livre libanaise « en fonction du taux de change dollar/livre en vigueur entre la BDL et les banques du pays ». Ce taux correspond normalement à la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, mais il n’est plus appliqué que pour une palette réduite de transactions bancaires et interbancaires, tandis que la livre n’a cessé de se dévaluer par rapport au dollar sur le marché des changes. Le taux en vigueur gravite autour de 8 000 livres pour un dollar sur le marché noir depuis quelques semaines, tandis que les changeurs agréés sont tenus d’appliquer un taux proche de 4 000 livres pour un dollar.
Ligue des déposants
La circulaire vise tous les particuliers ainsi que toutes les entreprises, à l’exception de celles opérant dans le secteur de la construction – sans plus de précisions. Les demandeurs souhaitant bénéficier de ce mécanisme devront fournir les devis nécessaires pour reconstruire ou réhabiliter les biens-fonds concernés. Les dossiers remplis doivent être envoyés par les banques à la BDL entre le 15 août et le 31 octobre. Mais les établissements n’auront cependant pas besoin d’attendre l’aval de la BDL pour octroyer les crédits.
Elles sont en revanche expressément tenues de conserver tous les documents fournis par leurs clients dans le cadre de cette procédure, une précision dont la BDL n’a pas justifié la nécessité. Contactée, une source bancaire a indiqué que les banques étaient encore en train de fixer l’ensemble des modalités qu’elles imposeront à leurs clients dans le cadre de cette procédure.
Enfin, la BDL s’engage de son côté à fournir les liquidités nécessaires aux banques qui ont octroyé les prêts, en devises et à un taux de 0 %, sans préciser si cette opération ne prendra pas simplement la forme d’un jeu d’écriture comptable, comme ce fut le cas pour un dispositif similaire adopté en mars – circulaire intermédiaire n° 547 – pour répondre à certaines conditions aux besoins de liquidités des entreprises fermées à cause des mesures de confinement imposées dès mars par les autorités pour faire face au Covid-19. La BDL a en effet plusieurs dizaines de milliards de dollars d’engagements envers les banques, entre dépôts et certificats de dépôt.
Il reste que le nouveau dispositif de la Banque du Liban pour octroyer des prêts à taux 0 % ne semble pas convaincre une partie des victimes de la catastrophe. Dans un communiqué publié hier, le président du syndicat des hôteliers, Pierre Achkar, a « rejeté » cette aide, estimant qu’elle revenait à faire assumer le coût de la reconstruction aux victimes plutôt qu’à l’État, qu’il juge responsable de la catastrophe. L’Association des commerçants de Beyrouth a de son côté émis des doutes concernant la mise en œuvre effective du mécanisme par les banques, établissant un parallèle avec les dysfonctionnements constatés par plusieurs entrepreneurs concernant les prêts à taux 0 % de la précédente circulaire.
« Certaines banques ont tout simplement refusé, et d’autres exigeaient un remboursement en dollars frais, ce qui était soit impossible, soit non rentable pour les commerçants qui avaient effectué la démarche. Les banques feraient mieux de laisser leurs clients accéder à leurs dépôts », a ainsi expliqué à L’Orient-Le Jour Adnan Rammal. Le commerçant a ainsi fait référence aux restrictions mises en place de manière unilatérale par de nombreuses banques dans le pays depuis près d’un an, et qui n’ont toujours pas été réglementées par les dirigeants, laissant les Libanais sans recours efficace devant la justice. Une situation dénoncée notamment par la Ligue des déposants, une association d’activistes qui s’est fixé pour mission d’aider les clients des banques à obtenir gain de cause face à leurs établissements bancaires respectifs. Dans un communiqué hier, l’organisation a exigé de ces derniers de « libérer » les dépôts de leurs clients.
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10 h 16, le 07 août 2020