Dans un communiqué publié peu après la remise de sa démission, Nassif Hitti indique les raisons de son départ et dresse un tableau sombre du Liban actuel.
Le Premier ministre, Hassane Diab, a accepté cette démission et s'est entretenu au palais de Baabda avec le chef de l'Etat, Michel Aoun, pour "étudier les options" en vue de nommer un successeur à M. Hitti.
"Choisir entre agir et renoncer"
"Tout d'abord je voudrais souligner ma reconnaissance envers tous ceux qui ont exprimé leur confiance en ma personne et pour ma désignation au poste de ministre des Affaires étrangères. Ma décision d'assumer cette responsabilité n'était pas simple, à l'ombre de la révolte populaire contre la corruption (...) et pour la construction d'un Etat de la justice sociale (...)", écrit M. Hitti dans ce communiqué.
"Qu'il est difficile de choisir entre agir et renoncer d'être au service de la nation, même si la possibilité de réaliser des accomplissements dans un système plein de défis existentiels et qui manque de bonne volonté est faible", reconnaît le ministre.
"Pas de compromis"
"J'ai porté de grands espoirs dans le changement et la réforme, mais la réalité a fait avorter l'espoir en des débuts prometteurs (...)", déplore Nassif Hitti. "Non, je n'ai pas fait de compromis et ne ferai pas de compromis concernant mes principes, mes convictions et ma conscience au profit d'un poste ou d'un pouvoir quelconque", écrit encore le ministre démissionnaire.
Pour Nassif Hitti, "Le Liban d'aujourd'hui n'est pas le Liban que nous avons aimé et voulu comme un phare et un exemple. Le Liban d'aujourd'hui se transforme en un Etat failli, et je me demande, comme beaucoup de personnes, à quel point nous avons manqué à notre responsabilité de protéger cette nation (...)", ajoute-t-il.
"Après réflexion, et dans l'impossibilité d'exercer mes responsabilités dans ces circonstances historiques et existentielles, et en l'absence de vision pour le Liban libre, indépendant (...) auquel je crois, ainsi qu'en l'absence d'une volonté efficace de mener des réformes structurelles globales réclamées par notre société et par la communauté internationale, j'ai décidé de démissionner de mes fonctions", explique Nassif Hitti. Il affirme ensuite "souhaiter que le gouvernement et ceux qui sont responsables de la gestion de l'Etat remettent en question de nombreuses politiques et pratiques afin de donner la priorité aux citoyens et à la nation au-dessus de toute autre considération (...)".
Et Nassif Hitti de conclure : "Pour la construction de l'Etat, il faut des cerveaux et une vision claire, ainsi que des intentions sincères et une culture des institutions, une souveraineté de l'Etat de droit, de même que la reddition des comptes et la transparence".
Le ministre démissionnaire a dans ce contexte critiqué "certaines analyses superficielles dans les médias" concernant les raisons de sa démission.
"Intenses pressions"
Dimanche, des sources concordantes avaient indiqué à L'Orient-Le Jour que le ministre des Affaires étrangères subirait d'intenses pressions pour le dissuader de démissionner.
Selon des sources diplomatiques libanaises, M. Hitti, un diplomate chevronné, était déjà irrité depuis sa nomination par plusieurs questions, dont la façon dont se font les nominations au ministère des Affaires étrangères, ou le fait que ce n’est pas le chef de la diplomatie qui a été dépêché récemment auprès de pays arabes à qui le Liban a demandé de l'aide. Début juillet, c'est le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, qui s'était ainsi rendu au Koweït.
Mais la goutte qui a fait déborder le vase aurait été, selon des sources politiques, l’attitude du Premier ministre Hassane Diab à l’égard du chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, avec lequel M. Hitti entretient de bonnes relations.
Hassane Diab avait estimé la semaine dernière que "la visite du ministre français des Affaires étrangères n’avait rien apporté de nouveau" et que M. Le Drian "manquait d’informations concernant le processus de réformes" menées par son gouvernement. Deux jours après ses propos controversés, le Premier ministre libanais, Hassane Diab, avait néanmoins reçu, jeudi au Sérail, une délégation de l'ambassade de France et avait salué les "profondes relations" franco-libanaises.
Réunion Aoun-Diab
Le Premier ministre a accepté lundi la démission de M. Hitti et a lancé des contacts pour "étudier les options" en vue de lui nommer un successeur, indique un communiqué publié par la bureau de presse de la présidence du Conseil des ministres. Le Premier ministre s'est rendu à Baabda à deux reprises à intervalle de quelques heures, pour un entretien avec le chef de l'Etat, Michel Aoun, pour discuter des "prochaines étapes". Ils devraient nommer une personnalité diplomatique pour lui succéder, selon notre correspondante Hoda Chedid. Selon des informations de presse, un conseiller proche du président de la République, l'ancien diplomate Charbel Wehbé, serait pressenti pour succéder à Nassif Hitti. Selon la chaîne locale LBCI, la nomination serait imminente.
Selon un décret daté du 5 mars, signé par le président Michel Aoun et qui définit la liste des "ministres par intérim" en cas d'absence des ministres en exercice, c'est le ministre de l'Environnement, Damien Kattar, qui devrait occuper le cas échéant les fonctions de ministre des Affaires étrangères par intérim.
Le gouvernement de Hassane Diab a été formé fin janvier, plusieurs mois après la démission de Saad Hariri et de son équipe. M. Hariri a démissionné sous la pression d'un soulèvement populaire inédit déclenché en octobre 2019, dénonçant l'intégralité d'une classe politique accusée de corruption et d'incompétence, quasi inchangée depuis des décennies.
Le gouvernement a adopté fin avril un plan de sauvetage économique visant à relancer la croissance et à assainir les finances publiques mais les réformes, notamment dans le domaine de l'électricité, peinent à se concrétiser. Les autorités ont initié mi-mai des négociations avec le Fonds monétaire international mais le processus reste au point mort. Près de la moitié des habitants vivent dans la pauvreté et 35% de la population active est au chômage, selon des statistiques officielles.
Il a été poussé à la démission par le Hezbollah pour placer un autre ministre plus docile en vue des pressions et/sanctions internationales notamment après le verdict du 7 août 2020. Mr Hitti a eu le courage de s’exprimer librement et dire la vérité. Le Hezbollah avec la collaboration active d’Aoun et de Bassil est entrain de modifier l’ADN du Liban...
17 h 13, le 03 août 2020