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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Le cri de désespoir des suicidés de Gaza

Le Hamas tente coûte que coûte d’étouffer la hausse du nombre de suicides dans l’enclave palestinienne.


Le cri de désespoir des suicidés de Gaza

Un jeune Palestinien sur une plage à Gaza, le 3 juillet 2020. Mohammad Abed/AFP

Une femme se pend à Rafah. Un professeur de l’Unrwa s’immole par le feu. Un jeune homme se jette du 5e étage dans le camp de réfugiés d’al-Shati. À Gaza, la mort est souvent tragique et prématurée. Elle peut aussi être volontaire. La pandémie de Covid-19 n’a frappé l’enclave palestinienne que de manière modérée. La mort y est généralement associée à des images spectaculaires de bombes ou de guerres. Mais c’est parfois plus insidieux. Au total, 30 personnes se sont suicidées depuis le début de 2020. 600 autres ont tenté de le faire. 87 % d’entre eux ont moins de 30 ans, et un peu plus de la moitié sont des femmes. Ils sont jeunes, souvent sans travail, et désespérés.

Le phénomène ne date pas d’hier. En 2019, 133 personnes ont tenté de se suicider. 22 y sont parvenues. 2018, 2017, 2016… : chaque année, des dizaines de Gazaouis se donnent la mort. Des centaines y échappent de peu. Dans les hôpitaux, les médecins ont pris l’habitude de soigner les patients sans toujours signaler les tentatives de suicide. Les chiffres de l’année 2020, en dessous de la réalité comme toutes les données officielles, signalent une forte accélération. Tous les indicateurs sont au rouge et, si la tendance se poursuit, le bilan atteindra de funestes records d’ici à la fin de l’année.

La récente détérioration d’une situation déjà précaire permet d’expliquer, au moins en partie, pourquoi cette hausse a lieu aujourd’hui, alors que le siège de Gaza et l’hégémonie du Hamas sont là depuis 2007. La fermeture en mars de la frontière avec l’Égypte, due au Covid-19, a par exemple accentué l’isolement de la population. Les perspectives d’une évolution politique sont au point mort : même les risques d’annexion d’une partie de la Cisjordanie n’ont pas réussi à sceller le rapprochement entre le Hamas et le Fateh, dont le divorce est consommé depuis 2007. Le plan d’annexion annoncé en janvier par l’administration Trump semble avoir signé la mort d’une solution à deux États. Comme ailleurs, les retombées financières du Covid-19 ont mis à terre une économie déjà plus que vacillante. « Des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur travail dans le secteur privé au cours des derniers mois dû à la crise financière », indique Mohammad Shuhada, journaliste originaire de Gaza résidant en Suède. Mais depuis mai, la retenue par Israël des taxes douanières destinées à l’Autorité palestinienne a également affecté les salariés de Gaza payés par l’AP.

Ces facteurs aggravants constituent un contexte particulièrement propice au désarroi collectif. « Les derniers mois ont été insupportables pour la plupart des habitants, les dernières lueurs d’espoir sont en train de disparaître… » résume Mohammad Shuhada. « La jeunesse a des aspirations et des rêves qui n’ont aujourd’hui aucune place », témoigne Heba Khaled, une jeune Gazaouie qui avoue parler sous un pseudonyme par peur des représailles du Hamas.

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Parmi les récents suicides, celui de Suleiman al-Ajouri a fait l’effet d’une bombe. Le 3 juillet, le jeune homme de 23 ans se tue par balle. Il y a un peu plus d’un an, il était l’un de ceux qui lançaient « We Want to Live » (« Nous Voulons Vivre »), un mouvement citoyen réprimé par le Hamas qui visait à obtenir les gages d’une amélioration des conditions de vie. La disparition aujourd’hui d’une des figures du renouveau pour un changement est fort en symboles. Il apporte, pour beaucoup, une preuve irréfutable de ce que le cri de désespoir des « suicidés » de Gaza est éminemment politique.

« Empêchés de vivre et empêchés de mourir »

Mais il est difficile d’établir avec certitude les raisons qui entourent une mort. « L’élément déclencheur de cette soudaine vague de suicides est bien trop multidimensionnel et complexe pour être réduit à quelques éléments », nuance Mohammad Shuhada. Quelle que soit la cause immédiate, le sentiment de détresse la précède largement. « L’idée de suicide est présente dans l’esprit de la plupart des jeunes que je connais à Gaza, elle résulte du fait d’être bloqué dans un état où ils sont empêchés de vivre et empêchés de mourir. » Incapables de se construire, la plupart cherchent une échappatoire « à travers l’émigration, les drogues qui aident à faire abstraction de l’environnement, ou en se donnant la mort », poursuit-il.

La honte entoure beaucoup de ces moments tragiques qui représentent pour certains la seule alternative pour mettre fin à une situation d’échec vécue comme embarrassante. « Les jeunes sentent que leur simple survie est devenue un poids pour leurs familles, une existence douloureuse et une question de honte à l’approche de la trentaine, lorsqu’ils se retrouvent sans travail, sans économies, incapables d’assurer une vie décente ou de fonder une famille », estime Mohammad Shuhada. La honte se trouve également du côté de la société et de l’environnement familial, qui regardent le suicide comme un tabou. « Le suicide contredit une pratique palestinienne, l’idée de “sumud” (résilience). Surtout, il est considéré par beaucoup comme une promesse d’éternité en enfer. Que des centaines de jeunes aient perdu l’espoir au point de préférer l’enfer de Dieu plutôt que celui qu’est devenu Gaza est un puissant signal d’alarme. »

La chape de plomb qui pèse sur ces sujets est aggravée par le climat de censure et de répression imposé par le Hamas, qui semble tout faire pour taire le phénomène. « Personne ne s’aventure à parler de ces sujets », admet Heba Khaled. Le 4 juillet, le jour des funérailles de Suleiman al-Ajouri, les autorités ont arrêté par exemple 9 personnes lors de trois incidents distincts. Le même jour, deux journalistes qui avaient couvert le suicide sont arrêtés. « Le Hamas tente de minimiser l’ampleur du phénomène, en parlant de cas anecdotiques », Mohammad Shuhada. Si chaque annonce de nouveaux suicides secoue la population, les verrous sociaux et politiques contribuent à clore le débat et à empêcher des élans de solidarité publics comme on peut en voir ailleurs lors de pareilles circonstances. « Il est presque impossible d’organiser des évènements ou des activités sur le terrain, le Hamas les arrêterait ou refuserait de leur accorder un permis », déplore Mohammad Shuhada avant de conclure : « Les gens ne peuvent se tourner que vers les réseaux sociaux. »

Une femme se pend à Rafah. Un professeur de l’Unrwa s’immole par le feu. Un jeune homme se jette du 5e étage dans le camp de réfugiés d’al-Shati. À Gaza, la mort est souvent tragique et prématurée. Elle peut aussi être volontaire. La pandémie de Covid-19 n’a frappé l’enclave palestinienne que de manière modérée. La mort y est généralement associée à des images...

commentaires (1)

On est censés nous en soucier? Qu’ils se débrouillent. A cause d’eux, la guerre du Liban a eu lieu Aujourd’hui, nos suicidés potentiels au liban , on essaie de les sauver et sauver le pétrin dans lequel nous sommes...désolé mais ca ne touche pas. On est arrivés à un tel point de désastre au liban, qu’ils peuvent s’estimer heureux. Il leur suffit de faire la paix et instruire leurs jeunes avec les centaines de millards de dollars encaissés depuis des décennies , donations des pays arabes du pétrole.

LE FRANCOPHONE

19 h 31, le 24 juillet 2020

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Commentaires (1)

  • On est censés nous en soucier? Qu’ils se débrouillent. A cause d’eux, la guerre du Liban a eu lieu Aujourd’hui, nos suicidés potentiels au liban , on essaie de les sauver et sauver le pétrin dans lequel nous sommes...désolé mais ca ne touche pas. On est arrivés à un tel point de désastre au liban, qu’ils peuvent s’estimer heureux. Il leur suffit de faire la paix et instruire leurs jeunes avec les centaines de millards de dollars encaissés depuis des décennies , donations des pays arabes du pétrole.

    LE FRANCOPHONE

    19 h 31, le 24 juillet 2020

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