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Culture - Littérature arabe

Découvrir le Soudan à travers l’un de ses brillants auteurs, Amir Taj al-Sir

L’écriture, pour cet écrivain de race, est une passion dévorante, qu’il qualifie de « maladie incurable ».

Découvrir le Soudan à travers l’un de ses brillants auteurs, Amir Taj al-Sir

Amir Taj al-Sir, un écrivain sensible et un poète humaniste. Photo DR

Du Soudan, pays de Tayeb Saleh, auteur du roman arabe culte Saison de la migration vers le nord, vient cette voix qui parle de la douleur de vivre. Et de l’espoir. Une voix d’ailleurs. Un cri lancinant issu des terres écrasées de soleil et de misère, avec ce roman Sirat al-wajaa (« Récit de la douleur », 245 p., Naufal Hachette-Antoine), signé par Amir Taj al-Sir. Un auteur dont l’œuvre considérable, avec plus d’une douzaine de romans traduits déjà en plusieurs langues, est en lice pour les prix de la compétition internationale Booker. Une œuvre d’actualité axée sur le Soudan profond.

Dans le sillage de son inspiration antérieure qui fouille la nature humaine et scanne les travers de la société et des gouvernants, surtout au Soudan, sans toucher directement à la politique, Amir Taj al-Sir, poète à part entière, approche ses personnages et son univers de fiction d’une façon lyrique. Une fiction au plus près d’une réalité qu’il observe en toute finesse, passion et méticulosité. Une authentique déclaration d’amour à sa patrie, lui qui est né dans l’obscur village de Karmakul (et qui fut le titre éloquent de son premier opus littéraire), et une véritable ode à une terre vénérée.

À soixante ans, ce romancier soudanais installé à Doha (Qatar) suit une carrière parallèle : celle de gynécologue. Si sa vie littéraire est intense (avec de nombreux ouvrages salués par la presse et la critique), sa carrière de médecin n’en est pas moins active car de son propre aveu, elle assure substantiellement les besoins du quotidien...

Avec le manque d’intérêt pour la littérature et surtout la lecture dans le monde arabe, Amir Taj al-Sir reprend à son compte la formule du dramaturge Anton Tchekov, lui aussi écrivain et médecin. Et qui disait : « La médecine c’est ma femme, la littérature mon amante. »

Pour Taj al-Sir, l’écriture est une passion dévorante, qu’il qualifie de « maladie incurable ». Il ne conçoit d’ailleurs cette passion que comme celle de la vie d’un fonctionnaire voué à la discipline d’une mission sacrée et qui ne déroge à aucun moment à la studieuse régularité de tenir sa plume et de noircir les pages…

Dans Sirat al-wajaa, Amir Taj al-Sir fouille de fond en comble sa terre natale jusqu’aux frontières de l’Érythrée. Toutes les clameurs de l’Afrique, ses manques, sa désorganisation, ses failles, ses faillites, son dénuement, son passé colonialiste, ses richesses inexploitées, surgissent de cette écriture au lyrisme ardent et soutenu. Ainsi que ses paysages écrasés de soleil, sa misère, ses traditions ancestrales, ses beautés de climat semi-désertique entre poussière et chaleur torride, habitées par une végétation particulière et unique… Et c’est en connaissance de cause qu’il évoque la gomme arabique, le sésame, l’arachide et une population vaquant, si bravement et dignement, à ses harassantes et parfois stériles tâches quotidiennes… En l’absence de toute structure civique et étatique sérieuse. Restent la magie et le mystère de la vie. Et ce sont les hommes qui les entretiennent ainsi que le talent de la plume de l’écrivain.

Portraits colorés

Dans ce livre aux textes libres, sans être vraiment un recueil de nouvelles, Amir Taj al-Sir propose une longue et profonde déambulation, doublée d’un esprit contemplatif, dans un pays aimé mais quitté avec regret à cause des maigres possibilités et ressources qu’il offre. Une promenade guidée par un narrateur au regard aiguisé, compassionnel, tendre mais non dénué de sens critique.

Il brosse des portraits colorés saisis sur le vif : un chevrier en haillons, des officiers de l’armée chamarrés de médailles, un scribe public aux lettres étranges et émouvantes, un poète de second ordre sous un arbre desséché… Des personnages ruraux truculents ou ternes, perdus dans des campagnes solitaires, lointaines… Sans oublier les profils de femmes aux tatouages remarquables qui s’activent, coincées entre des époux autoritaires ou passifs et leur marmaille, parfois confrontées à la solitude pour affronter les détails les plus anodins d’un quotidien rude…

Se succèdent au fil des pages un chapelet de petits récits, comme des souvenirs égrenés entre humour, gravité et détachement. Les descriptions de la nature et des hommes abondent dans toutes leur diversité. La faune et la population hantent une terre livrée à elle-même comme une dualité inséparable d’un mode de vie presque hors du temps, au rythme du soleil et de la lueur de la lune dans des nuits où le temps se rafraîchit notablement en une caresse enveloppante…

Amir Taj al-Sir aborde le désarroi et la douleur de vivre d’une société archaïque, en prise à de violentes difficultés comme si la modernité l’avait oubliée. Mais qui, malgré tout, se construit. Il y a là un esprit de contentement, de résignation, de confondante humilité, d’acceptation. Mais sans nul doute une volonté de vaincre l’adversité et de triompher du vide.

Et l’auteur restitue tout cela dans un souffle dans une prose chargée de poésie. Celle de l’émouvante grandeur des opprimés et des démunis qui gardent la tête haute. Amir Taj al-Sir est avant tout un poète humaniste. Il confesse que cette suite de textes est née de la fusion entre la fiction et la réalité. Des souvenirs, vivaces et vivants, qui se sont quand même effilochés avec une mémoire soumise à l’érosion du temps.

Il ne s’agit pas ici d’un témoignage ou d’un reportage. Ce sont la vision et l’imagination de l’écrivain qui prêtent à la réalité soudanaise toute la puissance d’une force d’évocation et la grâce touchante de la solidarité humaine. Avec des pointes critiques, sans gratuité ou méchanceté aucune. Devant tant de détresse, de pauvreté, d’abandon, de négligence... on pense à l’actuelle déroute du peuple libanais, à la différence qu’au Soudan, l’argent n’a pas tant de pouvoir. Ce qui magnifie ce livre, c’est l’utilisation d’une langue arabe irisée, ciselée et somptueuse, dans sa simplicité même. Le Soudan, un pays à découvrir par la voix de l’un de ses plus brillants écrivains.

« Sirat al-Wajaa » d’Amir Taj al-Sir (Hachette-Antoine, 245 pages), en vente en librairie.

Du Soudan, pays de Tayeb Saleh, auteur du roman arabe culte Saison de la migration vers le nord, vient cette voix qui parle de la douleur de vivre. Et de l’espoir. Une voix d’ailleurs. Un cri lancinant issu des terres écrasées de soleil et de misère, avec ce roman Sirat al-wajaa (« Récit de la douleur », 245 p., Naufal Hachette-Antoine), signé par Amir Taj al-Sir. Un auteur...

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