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Nos Lecteurs ont la Parole

Lettres ouvertes au Hezbollah

Lettre 1 : Ce que vous êtes

Après des mois de lamentations sur l’état du Liban, je m’adresse aujourd’hui directement à vous dans ces messages adressés par un Libanais d’outre-mer, modéré, à un parti qui n’écoute pas toujours les Libanais.

Mon pays natal a fait naufrage et vous en êtes responsables, tout comme les autres politiciens avec vous, vos alliés, vos ennemis, vos partenaires, les chiites, les sunnites et les chrétiens. Oui, vous êtes tous coupables de cette débâcle. Mais il y a une chose qui démarque votre parti et son drapeau jaune des autres, c’est lui qui tire les vraies ficelles de ce pauvre pays à la dérive.

Tout d’abord, un aveu : je n’ai franchement pas beaucoup de sympathie pour vous. Je n’aime pas la nature islamiste de votre parti, elle n’est pas inclusive et elle menace (volontairement ou pas) les gens qui ne partagent pas vos croyances et vos coutumes. Pour beaucoup de Libanais, elle s’oppose à notre mode de vie et à notre histoire, elle nie notre petite civilisation levantine ouverte sur le monde. Et contrairement à vous, des gens comme moi ne voient pas en la République islamique d’Iran une source d’inspiration ou de progrès pour le Liban. Comment nous le reprocher ? Cette république est régressive, autocratique, souvent violente, et son propre peuple souffre quotidiennement.

Ensuite, une concession pour éviter tout malentendu : je reconnais et admire que vous ayez tenu en échec Israël et réussi à libérer le sud du pays malgré la surpuissance militaire de l’occupant. Cela nous a évité la colonisation et l’annexion unilatérale de nos terres, comme l’État hébreu les affectionne. Mais je pense que cette victoire, si prestigieuse soit-elle, ne justifie pas ce chèque en blanc que vous vous êtes octroyé sur l’avenir du Liban. Les médailles de guerre ne sont pas des sceptres. Malgré son rôle pour libérer son pays des nazis, de Gaulle avait bien dû renoncer au pouvoir en 1946.

Vous vous êtes, au contraire, accrochés à vos armes et vos passe-droits et accaparé le pouvoir en coulisses. Puis vous avez lâché vos hordes sur le gouvernement en 2008. Vous avez trempé dans des assassinats politiques. Et vous avez ensuite mené des guerres qui ne sont pas les nôtres. Votre soutien militaire au régime syrien est une gifle à tous vos compatriotes qui ont souffert de cette dictature tyrannique. Vous avez envoyé de jeunes Libanais mourir pour maintenir en place des despotes.

Je vous reconnais vos contributions sociales au bénéfice de votre communauté chiite et votre capacité à bien vous organiser pour servir cette partie de la population. Dommage que vous n’ayez utilisé cette discipline que de manière sectaire ou belliqueuse et que vous ne l’ayez jamais propagée pour le bien de tous. Vous auriez pu par exemple réorganiser notre agriculture et la moderniser. Vous auriez pu combattre le gaspillage et la corruption généralisée. Mais vous étiez trop occupés ailleurs, à jouer aux vassaux zélés d’un obscur et lointain ayatollah.

Lettre 2 : Si vous ne changez rien

Vous êtes actuellement le seul parti qui ait du pouvoir dans ce pays. Et peu vous importent nos lamentations sur le Liban d’avant, désormais disparu. C’était un système qui, à tort ou à raison, paraissait injuste et défavorable à votre communauté chiite longtemps stigmatisée et démunie. Mais je veux vous rappeler que le Liban d’aujourd’hui est bien votre problème : sous votre coupe depuis des années, vous y faites la pluie et le beau temps, vous ne pouvez plus cracher dessus et vous en dédouaner. Vous ne pouvez plus être antisystème, vous êtes le système.

Le vrai danger est que vous pourriez continuer sur le même chemin de destruction avec cette bande d’incapables à vos côtés. Finir de transformer le beau Liban en décharge polluée et arriérée. Un pays isolé, en faillite, au ban des nations et embourbé dans ses contradictions. Vous réussiriez enfin à vous débarrasser des élites que vous méprisez. Exit le vieux Liban occidentalisé, votre Liban sera un dominion des ayatollahs, pauvre, laid, malheureux et revendicatif. À la moindre révolte, vous lâcherez vos loups pour terroriser ceux qui osent encore protester. Un Liban voyou, toujours prêt à en découdre, à s’autodétruire dans une guerre pour se reconstruire, vite et mal.

Mais sachez que vos enfants n’en seront pas plus riches ou heureux pour autant. Au contraire, les barrages hydrauliques mal construits auront pollué leur eau potable, leurs plages seront encore plus sales et bétonnées, l’air qu’ils respireront sera vicié et ils n’auront toujours pas d’infrastructures ou de transports dignes de ce nom. Ils seront encore plus désavantagés (“mah7roumine”) que leurs aïeux avec la maigre et odieuse consolation que tous les autres se seront effondrés à leur niveau. Les belles pierres et les tuiles rouges auront définitivement fait long feu. Les autres villages seront désormais, eux aussi, construits avec des maisons en béton laides et inachevées. Les communautés chrétiennes et les élites musulmanes se déliteront, perdant l’avantage que leurs écoles et universités occidentalisées leur conféraient. Ces établissements qui faisaient du Liban un bastion culturel dans une région obscurantiste seront morts par manque de fonds et d’élèves. Les banques que vous honnissiez car symboles de cette opulence injuste sont d’ores et déjà annihilées. Les citadins sunnites appauvris cesseront peut-être enfin de vous prendre de haut, mais l’hydre du fanatisme et de la misère se sera enracinée dans leurs quartiers. Et elle est souvent encore plus terrifiante et misérable que vos propres démons.

Lettre 3 : Libérez-vous de vos démons

Vous pourriez, au contraire, avoir un sursaut patriotique. Une voix intérieure qui vous soufflerait : « On a remboursé nos dettes à l’Iran et à la Syrie, c’est le moment de nous occuper de nos propres problèmes, de notre terre et de nos enfants. »

Rêvons donc que vous puissiez renoncer au terrorisme et tourner le dos à votre passé violent de preneurs d’otages et d’assassins. Accepter que notre frontière sud ne soit plus le problème principal du Liban depuis 2006, et qu’elle ne nécessite vraiment pas des obus iraniens pointés en permanence sur des villages israéliens. Essayer de tuer des civils innocents en Galilée ne vous avancera à rien, bien au contraire. Je ne vous demande pas de vous réconcilier avec Israël et d’accepter son régime d’apartheid. Je vous demande d’arrêter de servir l’Iran aveuglément. Vos enfants ont mieux à faire que de jouer aux héros et mourir pour servir les ayatollahs. Même si le Liban restera solidaire avec les Palestiniens et ne signera la paix qu’en même temps qu’eux, il n’a vraiment aucun intérêt à harceler une frontière reconnue internationalement par quasiment tous les pays du monde depuis 1948, y compris par les Palestiniens eux-mêmes. Remettez vos armes à l’armée libanaise et renforcez-la plutôt que de lui faire de l’ombre.

Établissez une relation apaisée mais distante avec la Syrie. Renouez avec les monarchies pétrolières. Émancipez-vous de la tutelle de vos maîtres persans, arrêtez de gesticuler contre l’Occident. Négociez avec tous et faites-vous respecter par tous. Le Liban est trop petit, trop fragile pour avoir plein d’ennemis. Être non-aligné dans cette région est une force, pas une défaite.

En interne, lâchez vite vos sordides alliés. Arrêtez cette alliance avec un chef du Parlement pourri et au pouvoir depuis trente ans. Faites-le arrêter et juger pour tout l’argent public qu’il a volé. Abandonnez ce président de la République et son beau-fils détesté, la « couverture chrétienne » qu’ils prétendent vous donner n’est plus qu’un vulgaire épouvantail. Trouvez-vous de vrais partenaires compétents dans la société civile qui puissent gouverner un Liban neutre, ouvert et maître de lui-même. Comprenez enfin que le progrès et la civilisation ne sont pas une soumission à l’Occident mais juste une clé du bonheur.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Lettre 1 : Ce que vous êtesAprès des mois de lamentations sur l’état du Liban, je m’adresse aujourd’hui directement à vous dans ces messages adressés par un Libanais d’outre-mer, modéré, à un parti qui n’écoute pas toujours les Libanais.Mon pays natal a fait naufrage et vous en êtes responsables, tout comme les autres politiciens avec vous, vos alliés, vos ennemis, vos...

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