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Culture - Disparition

Halim Jurdak a déposé son béret

Il fut l’un des artistes phares de l’avant-guerre libanaise. Le peintre, dont l’œuvre s’est distinguée par ses couleurs vibrantes et son inspiration originale qui faisait feu de tout bois, s’en est allé hier matin, après une vaillante lutte contre la maladie, à l’âge de 93 ans.

Halim Jurdak a déposé son béret

Halim Jurdak et son éternel béret de rapin montmartrois. Photo Sarah Lee Merheb

Né en 1927 à Aïn el-Sindyaneh (à Choueir), Halim Jurdak est décédé hier matin à l’âge de 93 ans, après avoir lutté contre la maladie. Depuis la prime enfance, son parcours est dévoué à l’art, afin de percer à jour les techniques des gravures, des dessins et des tableaux. Son travail se caractérise par une frappante ténacité et une grande éloquence pour croquer la réalité. L’artiste apprend à manipuler burins, palettes, chevalets, pinceaux et tubes de couleur grâce à de grands maîtres, rencontrés tant lors de sa maîtrise de l’École nationale des beaux-arts à Paris qu’en fréquentant l’atelier Brianchon pour la peinture ou les ateliers Cami et Bercier pour la gravure, sans oublier ses formations à l’atelier Goetz et Brayer, à l’atelier de peinture André Lhote et à l’académie de la Grande Chaumière. Il sera d’ailleurs lui-même un excellent pédagogue, enseignant la peinture et la gravure à l’Université libanaise à Beyrouth, sa capitale de cœur, d’élection et de prédilection. Jurdak est l’un des premiers au Liban à insérer le collage dans ses toiles et gravures. Son atelier grouillait en permanence d’amis artistes (Helen Khal, Etel Adnan, Aref Rayess, Yvette Achkar), de critiques (Joseph Tarrab, Samir Sayegh) et d’une foule d’étudiants fascinés par des toiles ou des sculptures aux mille reflets qui ne manquaient jamais de générosité et d’innovation créative, et parlaient en toute liberté du devenir de l’homme.

Une toile de Halim Jurdak datant de 1978, réalisée avec des pastels Caran d’Ache et de l’encre, 40 x 55 cm. DR

« Quand j’ai commencé à peindre, mon but n’était pas d’accumuler des expositions mais d’égaler les maîtres de la peinture… » aurait glissé Halim Jurdak, en guise de confidence, à l’oreille d’Etel Adnan, dont il partageait l’amour, la ferveur et le jeu des mélanges des couleurs et des formes.

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Qui (ne) connaît (pas) Halim Jurdak ?

Qu’il se tranquillise, lui qui, par-delà son superbe doigté à équilibrer le contraste du noir et du blanc (en apparence pourtant si simple), savait si bien doser l’harmonie des lignes et des couleurs. Chez lui, le plaisir de peindre revêtait une magie, une attraction et une énergie particulières. « Au plaisir de peindre », murmurait-il entre ses dents en tirant sur son papier de riz où l’aquarelle, en fusant en toute clarté et sans bavure, avait une extraordinaire fluidité, une transparente luminosité…Dans son œuvre, les couleurs et les formes ont porté des expressions diverses : du cubisme à l’abstraction géométrique en passant par les horizons d’un Orient métissé des figures des tapis persans ou des ombres japonaises. L’artiste avait coutume de répéter : « Peindre pour moi, c’est me baigner dans les couleurs, pour une balance entre chaleur et fraîcheur, entre tonalités graves et légères. »

Modestie et discrétion natives

Halim Jurdak parlait avec ce savoureux accent de la montagne dans un arabe délicieusement guttural et Paris, par-delà sa foisonnante frivolité et mondanité, accentuait, comme un réflexe de défense, sa modestie et sa discrétion. Lui, coiffé de son béret de rapin montmartrois, avait le goût de l’amitié, de la culture et des discussions constructives où ne manquait jamais la réflexion sur une certaine philosophie de la vie et de la dignité humaine. Sa carrière s’est affirmée dans les années 60, bien avant que la cacophonie des armes ne vienne tout basculer. Membre actif de plusieurs associations artistiques, aussi bien au Liban qu’aux frontières avoisinantes, Halim Jurdak, dont le talent et la griffe sont reconnus tant par la presse que par le public, accrochera ses toiles sur de nombreuses cimaises. De l’Europe aux États-Unis, en passant par les pays arabes, il a exposé dans des endroits prestigieux, loin de tout tapage médiatique, et se voit primé et récompensé à de multiples reprises.

Halim Jurdak « Sans titre », 2 000, collage sur gravure 47x71cm. DR

C’est avec ce même plaisir qu’il avait de peindre que l’on jette un regard gourmand, parfois intrigué, sur une œuvre polymorphe, secrète, pointant en toute discrétion les failles de la société, moderne (à l’époque, c’est-à-dire il y a 50 ans déjà, résolument avant-gardiste). Une œuvre qui va du simple paysage aux configurations géométriques tout aussi abstraites en passant par des nus féminins aux seins lourds et aux chairs opulentes, aux confins de l’expressionnisme… Et pourtant les images sont là, guère tranquilles ou sereines, ou si rarement, ponctuées d’éclats d’incendie et de couleurs comme des langues de braises. Avec, bien sûr, des moments de répit et d’euphorie. Même en ellipse, l’art a la vocation de tout dévoiler. Il faut seulement savoir lire. Et l’artiste laisse comme héritage un message à lecture multiple.

Même lorsque le monde s’écroule autour de lui et que la guerre fait rage au Liban, Halim Jurdak n’a jamais arrêté de travailler, de peindre et de créer… Une force tranquille ou surtout une force vigilante faisant fi d’un environnement toxique et destructeur ? Témoin et observateur actif de différentes époques, comme un vrai miroir aux alouettes aux multiples facettes, d’un Liban qui traverse des orages de plus en plus violents, Halim Jurdak laisse une empreinte indélébile sur le monde de l’art libanais.

Né en 1927 à Aïn el-Sindyaneh (à Choueir), Halim Jurdak est décédé hier matin à l’âge de 93 ans, après avoir lutté contre la maladie. Depuis la prime enfance, son parcours est dévoué à l’art, afin de percer à jour les techniques des gravures, des dessins et des tableaux. Son travail se caractérise par une frappante ténacité et une grande éloquence pour croquer la réalité....

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