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Nos Lecteurs ont la Parole

Réflexions un soir de pleine lune

Et me revoilà, une fois de plus, emmitouflée dans une couverture douillette, étendue sur une chaise longue au balcon. La nuit est douce. L’air est frais presque sucré. Tout dort. On entend le silence dans le village. Un sentiment de sérénité m’envahit, me submerge.

Je lève les yeux vers le ciel. Ici, le ciel n’est jamais triste. Il y a pleine lune ce soir. Le spectacle est féerique. Des ombres se dessinent entre les pins, des parents disparus qui veillent sur nous de là-haut ?

La lune est immense, j’ai l’impression qu’il me suffirait de tendre la main pour l’effleurer. Et si je m’échappais là-bas, le temps d’une nuit, pour contempler mon Liban et son avenir? Ce pays agonisant dont on fête le centenaire cette année ?

J’ai connu la guerre, l’incertitude des lendemains, les sous-sols et les caves exiguës dont on émergeait le matin, fourbu, fatigué, incrédule d’être encore en vie…

J’ai vécu des soirées infernales, où la mort se rapprochait chaque seconde, nous laissant éveillés, serrés les uns contre les autres, angoissés, terrifiés.

Je me souviens de journées entières passées dans les cages d’escaliers profitant d’une accalmie inespérée pour manger ou se rafraîchir.

Je revois les réserves de farine, de sucre et de lait en poudre dans les placards de cuisine, les boîtes de conserve précieuses qu’on n’ouvrait qu’en dernier recours.

Les queues d’attente devant les boulangeries ou les stations d’essence aux premières lueurs de l’aube. Je pense à toutes ces heures perdues, passées en vain au téléphone, attendant d’avoir la ligne pour prendre des nouvelles de ceux qui sont restés ou de ceux qui sont partis. Ceux qui ont quitté à la recherche d’une vie « normale ». Une vie où l’on ne se marie pas à la hâte, où l’on n’accouche pas dans les abris, où l’on n’étudie pas à la lumière des bougies. Une vie où la dimension humaine est respectée.

Beaucoup sont partis durant la guerre et moi j’y pense aujourd’hui. J’y pense, pour la première fois, trente ans après la fin de cette guerre…

J’y pense car tout à coup, sans prévenir, tout est tombé en poussière. Les étoiles qui brillaient à nouveau dans le ciel ont subitement dégringolé. L’horizon s’est figé. Les pendules ont remonté le temps pour nous ramener dans un monde de tourmente et d’insécurité sans fond. Rêves, espoirs et magie, tout a été englouti. Vivre est devenu épuisant. Les illusions de victoire se sont dissipées, nous laissant un pays en banqueroute, froidement gouverné par des rapaces cyniques qui continuent impitoyablement à tirer les ficelles du jeu. Un jeu d’échecs, sombre, machiavélique. Bientôt échec et mat ?

L’écart se creuse entre les dirigeants et le peuple. Les universités, les écoles, fierté du pays, ferment leurs portes. Les banques, principal pilier de l’économie, s’effondrent, emportant avec elles toutes nos épargnes, notre garantie de fin de vie digne. Les licenciements, les suicides se succèdent.

Personne n’est à l’abri. C’est l’apocalypse. C’est l’enfer. Le spectre de la famine plane. La faim est une arme ignoble, pire que la persécution politique. Qui donc me reprocherait de m’en aller, de déserter ce navire vacillant entre des vagues énormes qui cherchent à l’engloutir ? Personne, bien sûr ! On m’encouragera, on m’enviera même… mais comment me résoudre à abandonner mon pays, ce Liban que j’aime par-dessus tout !

Cet horizon qui a exalté en moi une sensation d’infini, ces montagnes qui m’ont pétrie d’invincibilité, cette mer qui a bercé mes rêves d’adolescente sur ses plages dorées au sable chaud, ces repas gargantuesques qu’on partageait en famille les dimanches, cette ville où j’ai connu mon plus grand bonheur, la naissance de mes enfants. Beyrouth, témoin de mes premiers amours, de mes premiers chagrins, mes réussites, mes échecs, mes projets, mes rêves…

Non ! Je ne trahirai pas mon pays ! Ils n’auront pas raison de mon amour pour ma patrie, ils n’auront pas ma dignité, ma fierté, mon appartenance et mon identité.

Résilience il faudra ? Résiliente je serai, avec devant les yeux tous nos martyrs et handicapés de guerre. Avec dans mon cœur notre drapeau. Ce drapeau qui sera à nouveau hissé un jour sur les toits de toutes les maisons, au son d’un seul hymne, l’hymne national !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Et me revoilà, une fois de plus, emmitouflée dans une couverture douillette, étendue sur une chaise longue au balcon. La nuit est douce. L’air est frais presque sucré. Tout dort. On entend le silence dans le village. Un sentiment de sérénité m’envahit, me submerge.Je lève les yeux vers le ciel. Ici, le ciel n’est jamais triste. Il y a pleine lune ce soir. Le spectacle est féerique....

commentaires (12)

Bravo Rolla j ai beaucoup aimé ce que tu as écrit car je pense que chaque libanais a vecu la meme peur et ressenti les mêmes sentiments. Elham

rolla aoun

10 h 17, le 19 juillet 2020

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • Bravo Rolla j ai beaucoup aimé ce que tu as écrit car je pense que chaque libanais a vecu la meme peur et ressenti les mêmes sentiments. Elham

    rolla aoun

    10 h 17, le 19 juillet 2020

  • Un vrai appel du cœur, ça m’attriste mais en même temps je garde espoir d’une renaissance! Bernard

    rolla aoun

    15 h 27, le 18 juillet 2020

  • Pour un instant j’ai cru que tu allais vraiment quitter! Ce qui se passe au liban , fend le cœur. Je pense à vous ?❤️ ZINA

    rolla aoun

    15 h 26, le 18 juillet 2020

  • Very nice . Tough times. It is very sad to see all of this happening! Walid

    rolla aoun

    15 h 22, le 18 juillet 2020

  • So sad but beautifully written; it could give hope to others to know you will still hold on Danielle

    rolla aoun

    15 h 20, le 18 juillet 2020

  • Tres tres bien écrit... C est qui est épatant !!!! C est qu avec toi la violence de la guerre paraît romantique.. RITOU

    rolla aoun

    15 h 17, le 18 juillet 2020

  • ????tres belle fin ? JIHANE

    rolla aoun

    15 h 15, le 18 juillet 2020

  • Tres beau tres emouvant et surtout quand tu dis vivre est devenu epuisant! Rita

    rolla aoun

    15 h 13, le 18 juillet 2020

  • ?????attachement, devouement, amour pour ta patrie... article debordant de sentiments et de sensations accompagne d un desir de la defendre et peut etre la sauver pour la remettre entre les mains du Seigneur.... puisses tu etre un modele pour tous les autres citoyens. CLAUDE

    rolla aoun

    15 h 12, le 18 juillet 2020

  • Rolla !!!! C'est quoi ça !!! Une pure merveille ! J'ai eu les larmes aux yeux ? Merci de tout coeur chère Rolla d'exprimer par écrit ce que les gens de notre génération vivent ?❤️???? Maggy

    rolla aoun

    15 h 09, le 18 juillet 2020

  • Je ne sais pas quoi répondre.... Les résilients ne sont pas pris en compte dans cet état... Tristesse, rage, résilience, c'est tout ce qu'il reste... Sylvie

    rolla aoun

    15 h 05, le 18 juillet 2020

  • Emouvant et authentique! NOEL

    rolla aoun

    14 h 07, le 18 juillet 2020

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