Quinze ans après la suppression du service militaire (février 2005), la ministre de la Défense Zeina Acar a évoqué la semaine dernière lors d’une émission télévisée l’idée de le réhabiliter en instituant un service national. Celui-ci serait consacré à des missions civiques d’intérêt général, bien plus qu’à un apprentissage de pratiques militaires.
Interrogée par L’Orient-Le Jour, Mme Acar précise qu’il s’agit d’« une idée non encore concrétisée ». « Nous comptons œuvrer pour la transformer en projet », se contente-t-elle d’ajouter.
Selon une source informée, des concertations sont sur le point d’être entamées entre le commandement de l’armée – qui planche déjà sur la question – et le ministère de la Défense en vue de mûrir le projet. Pour que le service du drapeau entre en application, il faut qu’il fasse l’objet d’un projet de loi élaboré par le gouvernement, qui le transmettrait au Parlement pour être voté. Avant d’être adopté par la Chambre, le texte serait en outre susceptible de passer par les commissions parlementaires. Le processus est long, note une source militaire jointe par L’OLJ, avant de répondre aux questions de savoir pourquoi le service du drapeau est remis sur le tapis et quel serait son intérêt.
La culture de l’engagement
Pour cet officier qui a requis l’anonymat, il s’agirait d’une part de développer une culture de l’engagement en accroissant auprès des jeunes le sentiment d’appartenance et de responsabilité envers la patrie, et d’autre part d’épargner des dépenses à l’État, sachant que le salaire d’un conscrit est de loin inférieur à celui d’un militaire.
Un ancien ministre de la Défense réfute pourtant ce dernier motif, affirmant qu’en tout état de cause, le gouvernement avait décidé il y a deux ans de ne plus recruter, parce que d’un côté le nombre de militaires a atteint 82 000 hommes (à titre de comparaison, le Royaume-Uni en compte 80 000), et de l’autre le budget de l’État ne permet pas de dépenses sur ce plan. « D’où irait-on puiser les fonds pour réaliser un projet de conscription à l’ombre de notre grave situation économique ? » se demande l’ancien ministre, sceptique.
Omar, 20 ans, jeune étudiant en gestion des entreprises, estime à cet égard que le service national « coûterait beaucoup d’argent à l’État », alors que « les priorités doivent être ailleurs ». « Les gens meurent de faim, et c’est plutôt sur le remède à leur misère que l’État doit se focaliser », estime-t-il. Concernant les tâches qui seraient confiées aux jeunes conscrits, la source militaire précitée pense qu’il s’agira pour chacun de travailler dans son domaine de compétence. Les médecins, dentistes, ingénieurs et informaticiens fraîchement promus devront offrir leurs services au profit de la troupe et d’autres institutions publiques, que ce soit à l’Hôpital militaire, dans les centres de soins relevant de l’armée, dans les chantiers entrepris par la troupe ou encore dans les bureaux des ministères. Le travail communautaire des enseignants pourrait se faire à travers des leçons données à des élèves en difficulté, et celui des psychologues profiterait à de jeunes toxicomanes. Quant aux spécialistes d’autres disciplines auxquelles l’armée n’est pas directement intéressée, ils pourront occuper des postes administratifs afin d’être utiles. « Je crains qu’on nous assigne des emplois qui ne seront bénéfiques ni à nous ni à notre avenir », objecte Omar, dont le diplôme fera partie des disciplines non spécifiques.
Même les non-diplômés ayant des compétences techniques pourront être productifs, poursuit pour sa part l’officier, puisqu’ils seront en mesure d’effectuer des travaux « logistiques » dans les secteurs de l’électricité, de la mécanique, des réparations, etc. C’est vu sous cet angle qu’il évoque l’épargne que pourrait réaliser le gouvernement, sachant que les appelés au service du drapeau ne seront pas payés selon les tarifs sur le marché. Pour lui, l’idée prônée par la ministre Acar est opportune, notamment dans le contexte actuel, parce que sa concrétisation contribuerait à atténuer l’impact de la crise économique.
Un cadre rassembleur
Si l’ancien ministre cité plus haut estime que l’État ne peut se permettre de payer des salaires même réduits, il reconnaît cependant que « dans beaucoup de secteurs, les ministères et autres organismes manquent de travailleurs spécialisés », jugeant donc utile que « des professionnels apportent leur savoir et leur expérience au bénéfice de l’État ». L’avantage du service du drapeau serait en outre que les jeunes, dont un grand nombre sont affiliés à des partis et réfléchissent en tant que membre de telle ou telle confession, soient réunis dans le cadre rassembleur de l’institution militaire.
Malek Hamdane, un ingénieur âgé de 27 ans, souligne à ce propos que « le service renforcerait le sens patriotique au détriment des sentiments partisans et sectaires ». « Il sera l’occasion de présenter au sein d’un groupe unifié des services d’intérêt général, à l’instar du nettoyage des plages ou de la reforestation », souligne-t-il. Le jeune ingénieur propose toutefois une mise en place d’un mécanisme répartissant la conscription dans le temps. Une source proche du dossier note à cet égard que beaucoup d’éléments sont à délimiter, comme par exemple décider que les étudiants qui désirent poursuivre leur formation ne seront pas appelés tant qu’ils n’auront pas achevé leurs études, alors que ceux qui préfèrent servir avant d’entrer dans la vie active accompliront leur service pendant les saisons d’été.
La tranche d’âge des conscrits s’étalera de 18 à 30 ans, présume la source, et la durée de conscription sera vraisemblablement inférieure à un an. Il y aura aussi des dispenses qui restent à définir, sachant que sous l’ancienne loi sur le service militaire, les fils uniques et les jeunes atteints de maladies déterminées étaient exemptés. D’autre part, comme l’affirme Malek Hamdane, il ne faut pas que le mécanisme soit injuste à l’égard d’un jeune qui travaille dans une entreprise, ni à l’égard de celle-ci. « Il faudrait aménager les conditions permettant au salarié de préserver son emploi et à l’entreprise de n’avoir pas à rémunérer un travail non effectué », prône-t-il.Pour André, 19 ans, un autre étudiant en gestion des entreprises, le service du drapeau ne devrait pas être obligatoire. « Je veux bien servir mon pays en ces temps difficiles, mais refuse l’obligation de le servir », assure-t-il. Une source militaire affirme d’ailleurs qu’avant d’être supprimé, le service militaire était devenu facultatif. « Il doit s’agir d’une volonté, d’un choix et d’une conviction », martèle André. « Si j’étais ministre de la Défense, j’aurais organisé des campagnes de sensibilisation pour réveiller l’amour des jeunes pour leur pays, et je n’aurais recruté que ceux qui y auraient été sensibles. »
commentaires (8)
une bonne idée car il y a beaucoup de jeunes qui connaissent pas leur drapeau , le drapeau Libanais avec le cèdre et celui du Hezbollah i
Eleni Caridopoulou
17 h 04, le 17 juillet 2020