Plaidant depuis deux semaines pour un règlement politique de la crise que traverse actuellement le pays, le patriarche maronite Béchara Raï a pour la première fois directement dénoncé « la mainmise du Hezbollah sur la politique et le gouvernement qui fait que nous sommes délaissés par les pays arabes, par l’Europe et les États-Unis ». « La neutralité du Liban est déchirée », a-t-il constaté dans un entretien publié hier sur un site du Vatican, appelant la communauté internationale à protéger cette « neutralité positive » qui est la vraie « vocation du Liban ».
En cours de journée, hier, dans ce qui ressemble fort à une contre-offensive diplomatico-religieuse à la campagne en faveur de la neutralité du Liban que le patriarche mène depuis deux semaines, l’ambassadeur de la République islamique d’Iran, Mohammad Jalal Firouznia, avait rendu visite au patriarche à Dimane, tandis qu’une délégation du Rassemblement des ulémas musulmans (pro-Hezbollah) était reçue en audience au palais présidentiel de Baabda, où se trouvait la veille le chef de l’Église maronite.Du siège estival du patriarcat maronite, le diplomate iranien a affirmé avec aplomb que son pays, principal allié et soutien du Hezbollah, « n’interférait pas dans les affaires intérieures » du Liban, alors qu’il est de notoriété publique que l’Iran est le principal pourvoyeur en armes et en argent du parti chiite.
« L’Iran se tient toujours aux côtés du Liban et il est prêt à l’assister et à l’aider, qu’il s’agisse de son gouvernement ou de son peuple », a affirmé M. Firouznia à l’issue de la rencontre, insistant sur le fait que « cette aide et ce soutien s’inscrivent dans le contexte de la coordination et de la coopération avec le gouvernement, et dans l’intérêt de tous les Libanais ». Pour le diplomate iranien, « le Liban, qui traverse une crise très difficile, a d’abord besoin de se renforcer sur le front intérieur et de consolider son unité nationale. Tous les efforts doivent aller dans ce sens ». « L’Iran n’interfère pas dans les affaires intérieures libanaises », a-t-il par ailleurs assuré.
Ces déclarations interviennent alors que le patriarche Raï multiplie depuis plus d’une semaine les appels à la neutralité du Liban et les critiques à l’encontre de la majorité au pouvoir, et implicitement du Hezbollah, dans des prises de position saluées par de nombreuses figures politiques ainsi que par les chancelleries européennes et américaine.
Le 5 juillet, Mgr Raï avait prononcé une homélie dans laquelle il avait appelé à la neutralité du Liban « seule garante de l’avenir ». Au cours de cette homélie, il avait pressé le président de la République Michel Aoun de « briser le siège imposé à la libre décision nationale », demandé à la communauté internationale « de voler au secours du Liban » et à l’ONU de « proclamer la neutralité » du pays.
Mercredi, le patriarche avait été reçu au palais de Baabda, où à l’issue d’un entretien de 50 minutes les milieux proches du dossier ont expliqué qu’il n’y a « pas (eu) de désaccord entre le président de la République et le patriarche, mais une divergence de points de vue ». Recevant une délégation du Rassemblement des ulémas musulmans au palais de Baabda, le président a précisé hier son approche de la neutralité en affirmant : « Le Liban n’a absolument pas l’intention d’agresser qui que ce soit, ou de soutenir des conflits et des guerres. Pour autant, nous sommes tenus de nous défendre, que nous soyons neutres ou non. »
Neutralité déchirée
Dans une large partie de l’opinion, y compris dans certains cercles ecclésiaux, on regrettait hier qu’à sa sortie de Baabda mercredi, le patriarche n’ait pas été « plus précis » au sujet du camp politique qui entrave ou aliène « la libre décision nationale », et qu’il ait fait assumer cette responsabilité aussi à ceux qui boycottent le palais présidentiel. Et ces mêmes milieux de rappeler d’autre part que le chef de l’État s’était engagé, aussitôt après son élection, à convoquer une conférence nationale dans le but d’élaborer une stratégie de défense où la question de l’armement du Hezbollah serait abordée de front, mais qu’il a failli à cet engagement sans s’en expliquer.
Le sentiment de déception de l’opinion a toutefois disparu avec la publication par l’agence officielle du Saint-Siège, Vatican News, d’une transcription de l’entretien accordé par le patriarche à la correspondante de Radio-Vatican, Manuella Affejee. Cette transcription a été publiée hier sur le site web du Vatican, vaticannews.va.
Ainsi, interrogé sur la neutralité qu’il souhaite pour le Liban, le patriarche a déclaré : « La neutralité est là, en pratique, mais il y a la question du Hezbollah qui fait ses guerres et entraîne le Liban avec lui en Syrie ou au Yémen… Cela n’est pas normal. Cette neutralité du Liban, qui fait partie de son essence, est aujourd’hui déchirée. Et malheureusement la mainmise du Hezbollah sur la politique et le gouvernement fait que nous sommes délaissés par les pays arabes, par l’Europe et les États-Unis. » Par ailleurs, sur son appel à la communauté internationale et à l’ONU, le patriarche a affirmé : « Par communauté internationale, j’entends l’ONU. La décision d’un statut de neutralité du Liban devrait être de son ressort et il faut aussi qu’il soit accueilli favorablement par le monde arabe. La majorité de la population libanaise, ou presque, aspire à ce statut de neutralité. C’est en ce sens que j’ai lancé cet appel à la communauté internationale. »
Endiguer l’émigration
Sur ce que signifie à ses yeux la neutralité, le patriarche a répondu : « Que le Liban devienne le défenseur de la paix, sans se mêler des politiques et conflits régionaux ou internationaux. C’est ce qu’on appelle la “neutralité utile” ou “positive”. Cela ne veut pas dire qu’il ne doit s’intéresser à personne, non ! Mais plutôt qu’il soit actif à promouvoir les valeurs de paix, de justice, de vivre-ensemble, de liberté. C’est cela la vraie vocation du Liban. C’est ce que signifiait le saint pape Jean-Paul II quand il disait que le Liban était “plus qu’un pays”, qu’il était “un message” pour l’Orient et l’Occident. » Le patriarche a enfin affirmé craindre que la crise n’entraîne une nouvelle vague d’émigration, notamment parmi les chrétiens, et de préciser : « Endiguer l’émigration, c’est une question politique. Quand la question politique sera réglée, la question économique le sera aussi, puisqu’elle en est une conséquence. »
Il a l'air encore plus chafoin que les autres de son obédience.
19 h 43, le 17 juillet 2020